Neuilly Plaisance

Voici quelques extraits de ses courriers d'époque où il raconte ce qu'il faisait a cette époque dans les camps d'Emmaüs.

En plus, quelques photos personnelles qui ont été prise à ces moment-là.

Neuilly Plaisance Le 12-03-54

Je suis arrivé à 3 h. de l’après-midi à Neuilly Plaisance (banlieue de Paris). Paul (n° 1 de l’association d’Emmaüs) étant absent, j’en ai profité pour revisiter le tout et prendre davantage contact avec toute l’équipe. Ça n’est pas du tout cuit, beaucoup s’en faut. Je suis entré en plein dans la bagarre.

Le service transport de la « chine » est difficile, m’a-t-on dit, plus d’un s’y est cassé le nez.

Enfin ce n’est rien.

Cinq bonshommes étaient encore très excités des libations de la veille : donc fichus à la porte, dont un des responsables, pourtant bien sympathique avec de très belles références.

Ici c’est un milieu tout à l’envers de ce pauvre monde, rien que des cœurs et des corps torturés, qui sont devenus désaxés. Pas gai du tout.

Demain matin, je commence l’inventaire d’un magasin, ensuite seulement je commencerai mon travail.

Noisy le Grand - Château de France le 2-7-1954

Voici bientôt une semaine que je suis de retour.

Cette semaine a été extrêmement dure. Les difficultés ont atteint leur maximum hier matin. Cela s’est terminé par l’expulsion de mon adjoint et de deux ou trois autres : beuverie avec le vin des copains et leurs cigarettes que je tenais dans mon bureau.

Aujourd’hui grosse surprise : 33 bénévoles sont arrivés, conduits par deux frères de l’école de saint Joseph du Nord. J’ai un réfectoire pour 15, il y avait déjà deux services, cela en fait quatre maintenant.

Pour les loger, j’ai fait vider une grande tente destinée primitivement aux familles. Ils dormiront sur des lits de camps sans matelas et resteront 15 jours.

Au début de la semaine prochaine il m’en arrive 20 autres. Je fais de la corde raide pour avaler tout ce monde. Heureusement que j’en avais déjà vu…

Hier soir j’ai été déjeuné chez les Bériot. (Industriel dans la chicorée). Claude Bériot m’a reconduit et donné cinq mille francs pour pouvoir continuer à améliorer la nourriture.

Le bulldozer est arrivé, et dès le début de la semaine prochaine, je peux recevoir le camp de Vanves. Camp de triste réputation. Enfin ça ira quand même.

Noisy le Grand - Château de France le 6/7/54

La vie continue toujours avec le même temps froid et brumeux. Pluies sans cesse, mais je n’ai pas le temps de m’ennuyer le moins du monde.

Maintenant. Que le travail est bien organisé mes journées sont calmes et moins fatigantes.

Des familles arrivent tous les jours, j’en suis actuellement à 42, j’en attends autant d’ici la fin de la semaine. Elles arriveront probablement samedi. 40 gars environ arriveront encore ces jours-ci. Cela va faire le centre le plus important de tous. C’est curieux je démarre souvent à zéro, avec le plus petit et cela s’amplifie du tonnerre.

J’attends avec impatience la visite de Papa dimanche. Tu peux venir à l’heure que tu voudras, je préfère que tu viennes dimanche car une fois celle-ci bien partie on m’enverra sans doute très prochainement dans une autre : car deux communautés, du moins une communauté et un centre dégringolent rapidement. J’y aurai droit j’espère.

Patrice

P.S. Un peu d’argent s’il vous plaît. .J’ai besoin d’une paire de sandalettes.

Noisy le Grand Château de France le 8/7/1954

Le centre de Vanves arrive samedi et dimanche. Un arrivage le matin et un autre l’après-midi. C’est la cadence normale, ce sera très intéressant pour Papa.

Avec les hommes ça va. Ceux que j’attendais ne sont pas encore arrivés.

Visite du Père (l’Abbé Pierre) hier, avec un tas de personnalités. Tout s’est très bien passé.

Noisy le Grand Château de France le 30/7/54

Les communautés viennent de subir un assez grand changement dans la direction. Le Père est évidemment toujours le grand directeur. Paul le second, Le troisième Marcel Montay a neuf communautés : Les peupliers, la Réserve, l’Usine à Gaz, etc. (C’est l’ancien responsable de Boulogne Billancourt dont le Père Gérard était l’adjoint).

Le Père Heine (Hollandais) à trois communautés dont Emmaüs.

Le quatrième est Jean Yves, les communautés en construction, dont je suis passé officiellement l’adjoint. Jean Yves a ses 3 adjoints qui sont soit avec lui, ou responsables de communautés plus les responsables de petits chantiers.

Je ferai sans doute prochainement un stage à Pontault, là où il termine un gros chantier.

Noisy deviendra le plus gros chantier de l’Abbé. Ils veulent en faire une chose magnifique. Espérons qu’ils m’en laisseront le responsable. Aucune importance.

J’ai vu Mme Renard, la responsable de la communauté femmes. Elle trouve Marie Pierre (la sœur de Patrice) un peu jeune, vu les difficultés énormes et la mentalité. Enfin nous la visiterons un dimanche, quand vous voudrez. Elle est là tous les dimanches.

Noisy le Grand - Château de France le 3 Aout 1954

Enfin il fait beau depuis hier. La chaleur serait très vive s’il n’y avait beaucoup d’air. Mais ce n’est pas désagréable par ce temps.

Il y a du nouveau. Je pars jeudi pour faire un stage de 15 jours à Pontault-Combault théoriquement et 8 jours ensuite au centre de chine de Jean-Yves à Fontainebleau, puis retour à Noisy.

J’ignore donc quel sera mon travail et la possibilité d’être libre dimanche prochain.

Depuis vendredi soir je n’ai eu que des bagarres. Un garçon qui a failli être tué d’un coup de pied là ou je pense, coup de rasoir, couteau, …Très amusant… Tous les soirs même comédies. Avec la chaleur cela n’arrange rien.

Le champ de pommes de terre est en cours d’arrachage. Nous prêtons la main d’œuvre pour compenser la perte due à l’arrachage avancé.

Le temps est bien couvert, mais il fait bon. La chaleur hier a été effrayante.

On vient de nous signaler un vol de 6 draps et des serviettes. Je fais venir la police sans prévenir personne. Autant chercher une aiguille dans une botte de foin. Mais cela signifie que nous ne sommes pas prêts à nous laisser marcher sur les pieds.

Noisy le Grand - Château de France le 12 Aout 1954.

Le Père vient dimanche célébrer la Messe et introniser la Ste Vierge à 9h30.

Noisy le Grand Château de France le 13 Aout 1954

Ici rien de changé. Le temps devient de plus en plus mauvais. Il a plu de 3 h à 6 h ce matin. Nous commençons à avoir une jolie boue.

Dimanche comme je vous l’avais déjà dit, le Père vient, nous avons lancé quelques invitations pour la forme. Peut-être aurons-nous des visites, mais lancées ce matin c’est un peu tard.

Les familles nous arrivent toujours : 4 ce matin. Nous en avons à peu près 125. Ordre nous est donné de ne pas les nourrir, mais des contres ordres arrivent aussitôt. Nous en sommes submergés. C’est la grosse pétaudière.

Les abris ne sont pas encore commencés. J’espère que cela ne tardera.

Noisy le Grand- Château de France le 22 Septembre 1954.

Je suis toujours à Valenton (un des camps de l’Abbé Pierre), mais ne terminerai certainement pas la semaine en France, mais où ?

À part ça rien de neuf. La baraque avance, on y met actuellement le toit.

Hier matin Grand-messe solennelle ici. J’y tiens le rôle de Cérémoniaire, quelques cafouillages, mais j’y fus toujours très digne, c’était le principal.

Aussitôt après je fonce à Bougival et à toute allure. J’y arrive au bout de 2 h30 de transports. A Paris pour se déplacer, c’est fou ce que l’on va vite.

Bougival, grande fête, j’ignore sincèrement en quel honneur elle a eu lieu.

Là j’y rencontre le Père, comme il me l’avait demandé et s’y trouvent différentes personnalités dont le Capitaine Jean, responsable du dépôt de la gare d’Orsay en février et mars, qui doit fonder à Lille une communauté, gars riche qui possède une usine. Le Père devait lui donner quelques gars. Donc toujours théoriquement je vais à Lille.

A la fin de la conversation je lance un mot en l’air pour voir ce qu’il fera : « Orléansville ». Le Père le rattrape ce que j’espérais et dit avec un soupir : « Cela fait longtemps que j’y pense ». L’Afrique du Nord lui tient à cœur depuis très longtemps. Réaction suivante automatique, quand quelqu’un propose quelque chose on lui répond toujours pourquoi pas toi, ce qui faisait mon affaire. Le Père ajoute en effet : « pourquoi pas », « bien sûr » je réponds.

Le soir, le raccompagnant en voiture, il me donne tous les tuyaux nécessaires. Le matin rue des Bourdonnais (siège des bureaux d’Emmaüs) je téléphone au Service Volontaire International et ils sont d’accord. Le Père et eux se chargent du prix du transport pour 4, nourriture et logement à la charge du Service Volontaire International. Réponse définitive mercredi matin, ce qui fait que jeudi nous pouvons partir très probablement. J’accélère afin de ne pas arriver le dernier.

Durée là-bas imprévisible (théoriquement 1 mois). Je vous écrirai mercredi pour confirmation

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