Edouard Dornic

5 Juillet 2008

Edouard Dornic

Né le 8 février 1922

Je suis parti comme S.T.O le 9 mars 1943 et suis revenu à Neuvy le 22 mai 1945.

Monsieur Millet, Garde Champêtre, m’a apporté le papier de réquisition alors que j’étais en train de bêcher dans le jardin, à la ferme de Marvy, propriété de Mr. Robert Pasquette.

Mon père adoptif Gaston Dumont m’a dit : «Edouard va chercher une chopine à la cave» Nous l’avons bue avec le Garde Champêtre qui m’a remis le papier de réquisition.

Mr. Vignelle a été réquisitionné le même jour, mais il est parti à Cosne sur Loire en vélo, je ne l’ai jamais revu. Quand à moi j’ai pris le train à Neuvy pour Nevers. Arrivé à Nevers, rejojgnant d’autres requis comme moi, nous avons été conduit à l’Ecole Normale en autocar. De cette école, le lendemain nous avons été reconduits à la gare de Nevers. Pour nous transporter, ont nous a fait monter dans des wagons à bestiaux, encadrés par les gendarmes français. Nous avons été jusqu’à Dijon. Pour manger nous n’avions que ce que nous avions emporté dans nos musettes.

Le premier arrêt en Allemagne a eu lieu à Stuttgart où un très gros orage éclata avec des éclairs fantastiques, puis nous avons été conduit jusqu’à Dresden. Nous y sommes restés quelque temps, pour creuser les fondations d’un nouveau camp, je suppose.

Puis Breslau (en polonais actuel : Wroclaw) Nous sommes arrivés, vers les minuits, auprès d’un des camps d’Auschwitz, je ne sais lequel exactement.

Tout d’abord j’ai vu une femme derrière un grillage de barbelés, qui demandait à manger. Je lui ai donné un morceau de pain, un de mes camarades me donna un grand coup de poing dans la figure, me disant que je manquais de faire fusiller tout le monde en ayant donné un morceau de pain.

En arrivant au camp, sur chaque pilier il y avait un dessin avec une tête de mort. Ensuite nous avons été logés dans une baraque en bois, n° 444, chambre 4. Nous étions 12 par chambre, avec des lits superposés. Je couchais toujours en haut. Le camp se trouvait de l’autre côté de la Vistule, par rapport à Auschwitz, il s’appelait…..

Le lendemain de notre arrivée, au réveil les Allemands criaient : « Arbeit, Schnell »

Ils nous ont donné des pelles pour charger des wagons de sable. Il fallait construire un château d’eau en béton. Nous avons saboté autant que possible notre travail en ne respectant pas les dosages d’eau de sable et de ciment par exemple.

Le chef de chantier nous donnait des tickets pour que nous puissions manger et comme ça il pouvait contrôler ceux qui étaient présents

Comme S.T.O. nous étions relativement libres. Le soir nous pouvions sortir après le travail. Il m’arriva une fois de casser mes lunettes. Le chef de chantier m’a fait un papier pour aller en consultation et obtenir d’autres lunettes, il me donna en plus trois jours de repos de même que l’oculiste me donna trois jours lui aussi.

Un jour en nous promenant en ville avec un copain, nous léchions les vitrines et on voit un chevreuil mort allongé sur un chariot, deux allemands de l’autre côté de la rue, képi sur la tête, casque à la ceinture. L’un des deux nous cria en français : « Gueulez pas si fort les Français, on vous connaît » Ils traversèrent la rue et ils nous ont dits qu’ils étaient alsaciens.

Je n’ai travaillé que dans la maçonnerie avec pelle, pioche et brouette Nous faisions surtout des allers et retours sans grand rendement.

Une fois, pour améliorer l’ordinaire nous avons acheté une oie placée sous une mue (cage grillagée) le 24 décembre 1944 pour Noël. Cette nuit là les avions sont venus bombarder et notre oie à disparue. Nous ne touchions pratiquement pas d’argent et il nous était pratiquement impossible de nous acheter quoique ce soit.

Entre autres travaux nous avions construit un abri en béton armé, dans lequel le jour d’un bombardement 80 personnes environ se sont cachées. Nous n’avons pas eu le droit d’y aller. Nous nous sommes cachés dans une maison à côté, ce qui nous a sauvé la vie. Une bombe est tombée en plein sur l’abri et tous ont été tués.

A la fin c’était une pagaille monstre et nous en avons profité pour nous enfuir au milieu des civils, car il n’existait plus aucun contrôle. Nous avons emprunté un chariot à une flèche sur lequel nous avons mis nos bagages, et nous nous sommes attelés tous ensembles pour le tirer. Un vieux gardien Allemand était avec nous, il avait tellement de mal à marcher que nous l’avons fait monter sur le chariot que nous poussions et tirions de toutes nos forces.

Dans un champ, au milieu de la foule des réfugiés, se trouvaient une quantité de chariots identiques, nous avons laissé notre chariot au milieu des autres et nous avons pris nos pauvres bagages à la main.

Nous sommes rentrés tout seuls, sans l’aide de personne, et pris le train de nous-mêmes. Je me rappelle parfaitement de notre passage sur le pont de Kehl, pont à une seule voie, dans un bruit effrayant. Arrivés à Paris, à la gare de l’Est, on nous a donné à manger et dans toutes les gares qui suivaient, il y avait du ravitaillement.

Raymond Gourdet (fleuriste) est venu me chercher à la gare et m’a conduit à la ferme de Marvy où j’avais été élevé.

Je voudrais encore ajouter quelques précisions

Un de nos camarades s’appelait Bertrand. En travaillant avec nous comme S.T.O. pour l’organisation allemande TODT, il avait appris du polonais et de l’allemand. Il nous servait donc d’interprète. Pour gagner quelques sous, nous ramassions des morceaux de ferraille où nous pouvions. Avec, nous fabriquions des armatures de sacs tyroliens; les Polonais ne nous les achetaient pas bien cher.

Je ne suis allé qu’une seule fois au restaurant polonais au bord de la Vistule. Dans ce restaurant on croyait aller manger du lapin, mais nous avons remarqué au bout des pattes que c’était du chat. C’est la sauce qui nous a fait manger le plat. Par contre lorsque l’on pouvait boire de la bière elle était excellente, surtout la brune, je n’en ai jamais plus bu d’aussi bonne.

Comme c’était la débandade, arrivés à Aussig-Stadt-Zwittau, environ 100 Km du camp Auschwitz, nous avons laissé le chariot à un timon et décidé de prendre le train qui allait à Prague. Notre ami Bertrand nous a demandé à chacun de l’argent pour le billet. En payant nos billets nous avons pu prendre le train sans difficultés. Nous avons parcouru ainsi 289 km. C’était toujours ça de pris.

Le train était composé de wagons à bestiaux. Il s’arrêtait tout le temps, deux, trois heures de suite, je ne sais pas exactement. Pour le redémarrage, des coups de sifflet pour prévenir.

Nous avions faim, mais là, c’était le pire si c’était possible. Nous n’avions rien, Nous avons mangé de l’herbe, peut-être des pissenlits, des je-ne-sais-quoi et n’importe quoi. On mangeait-le tout tel quel. Nous crevions de faim.

Une fois revenu, je ne supportais plus la nourriture. Je ne pouvais au début boire que du lait, manger un peu de fromage et des aliments très simples. J’ai mis plus de 6 mois à m’en remettre, je n’avais plus de force

Je travaillais dans un des camps annexes d’Auschwitz. Lorsqu’un jour comme je passais par-là, le long du camp principal, le long des barbelés, j’ai vu et entendu un orchestre qui jouait des marches funèbres pour des prisonniers juifs qui accompagnaient un de leur copain allongé sur une couverture, le tout traîné sur les cailloux du ballast.

Arrivés au pied de l’orchestre, un énorme SS, avec une canne recourbée le prit par le cou, il y avait aussi un très gros chien. Le SS prenait de cette manière tous ces malheureux qui ne pouvaient plus travailler et ils partaient immédiatement dans les fours.