Voter en Algérie de 2012, le "ghachi" reproduit ses gâchis !

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Titre original : Pourquoi je n’irai pas voter ?

« Dites qui transforma en femmes de ménages les descendantes de la Kahéna ?

Ne croyez pas bâtir sur nos dépouilles votre nouveau monde »   Kateb Yacine

Pourquoi aller voter ? Voilà la question à un dinar symbolique que se pose chaque algérien convié à se rendre aux urnes le 10 Mai prochain.  « Voter pour qui vous voulez », répètent les organisateurs de ces législatives, mais « soyez nombreux » ! Le pouvoir n’a pas peur du résultat, apparemment connu d’avance dans son essence, son contenu, quelques que soient les formes   d’alliances que dégagera le scrutin ! Toute majorité sanctionnant ce scrutin continuera le programme du président en préparation des prochaines présidentielles ! Majorité islamiste nette ou majorité islamo-nationaliste,  voire même une majorité éphémère au sens du droit constitutionnel français, elle sera soumise au verrou du sénat lui-même verrouillé par le tiers présidentiel ! Le système actuel  généré par cinquante ans de luttes internes entre les divers cercles concentriques du pouvoir traversés par les clans légitimistes et les sectes tribales, sied comme un « kamis » sur mesure  à la vision islamiste. Le partage des sphères de décision avec la technocratie pétrolière  dans toutes ses variantes  compradore, patriotique et la bureaucratie des renseignements militaires disséminée dans l’administration jacobine est une étape plus ou moins longue inévitable pour asseoir définitivement la théocratie à l’iranienne !

Les islamistes-maison, sauront faire patienter leurs frères des maquis deux années, le temps de remercier Bouteflika pour toutes les concessions qu’il leur a faites et qu’ils n’ont jamais imaginé pouvoir obtenir en un si court laps de temps et de l’accompagner gentiment mais fermement vers la sortie du palais !  La seule nouveauté sera l’expression politique de la force économique et financière émergente –la bourgeoisie compradore- alliance naturelle du cartel des importateurs et des technocrates de la finance nationale, qui était derrière les émeutes de janvier 2011 et devant laquelle l’exécutif s’est avoué incapable d’appliquer les lois qu’il a lui même initié et que les députés du parlement croupion avaient votées. Le premier ministre avait reconnu son impuissance face à cette nouvelle force  avec laquelle il valait mieux composer  et partager les rentes !

Ces élections n’ont pas de lien avec notre vie quotidienne

              Pour le commun des algériens taraudé  par l’insignifiance de son pouvoir d’achat, la douleur des fins de mois, tenté journellement par la révolte et l’envie de s’immoler par le feu du désespoir, ces élections sont un non événement, voire une diversion ! Ces élections  sont-elles une solution pour crier sa consternation, la mal vie des siens, l’insupportable hogra qui l’accable ? Voter n’a aucune relation avec sa vie quotidienne !  Il sent encore une fois qu’on se moque de lui. Le président  a qualifié   ce futur scrutin de second Novembre 54 ! En 1954  nos parents connaissaient l’ennemi ! Ils s’étaient unis  quelqu’aient été leurs croyances leurs projets leurs visions et leurs itinéraires, Pourvu que la France soit battue ! Quel est l’ennemi aujourd’hui monsieur le président ? N’est-ce pas cette caste d’importateurs qui peuvent en 24 heures mettre l’incendie à tout le pays ? Mais ne voilà-t-il pas que qu’elle  aura ses députés  au futur parlement grâce au pouvoir sonnant et trébuchant de la chkara ? L’ennemi n’est-ce l’intégrisme religieux omnipotent qui a stérilisé le pays de ses  créateurs, ces artistes, les porteurs d’idées et tous les semeurs de libertés ! Cette force du mal n’a-t-elle pas ses représentants  ses listes électorales ou des représentants dans toutes les listes électorales même celles qui se targuent d’être indépendantes ? S’abstenir c’est   rejeter en bloc toute mascarade sortant de ces joutes électorales ! C’est signifier au pouvoir que pour éviter l’explosion sociale et politique du pays à la suite des pays voisins,  cette démarche n’est pas la bonne, qu’il a mis la charrue avant les bœufs !

A l’exception sans doute des organisateurs des ces futures joutes sans enjeu, des animateurs des anciens partis politiques qui participent au partage de la rente et des nouveaux partis qui  ont obtenu des agréments en contrepartie de leur participation et leur engagement à faire monter le taux de participation avec des candidats aux objectifs mercantiles  évidents, la masse des citoyens simples qui comprend les tenants et les aboutissants politiques de l’opération  ne se sent pas concernée par le renouvellement d’un parlement  croupion honni  par l’ensemble de la population, symbole d’allégeance et de soumission de la représentation populaire à un pouvoir rentier tyrannique et corrompu ! Tout comme elle refuse la recomposition du pouvoir avec les mêmes forces politiques qui ont généré la misère sociale, le sous développement économique, l’indigence intellectuelle et le désespoir comme programme pour la jeunesse.

La nouvelle configuration de l’allégeance

Le partage du pouvoir  imposé par l’armée des frontières au lendemain de l’indépendance est remis en cause de façon cyclique faisant entrer le système politique dans une période de crise réglée par la violence dont l’issue est une nouvelle répartition des fonctions et des centres de décision générateurs  de prébendes  et de rentes de situation. L’élection du 10 Mai n’échappe pas à ce mode de fonctionnement ! Elle sanctionnera un nouveau partage qui inclura  des forces sociales et politiques qui ont exprimé leur nuisance dans la rue ou dans l’administration et qui prétendent à leur part du butin  par l’expression institutionnelle de leur poids sociopolitique ou économique  nouvellement acquis.

L’articulation   entre les services de sécurité  de l’armée et l’administration  napoléonienne héritée de la colonisation, sous l’enveloppe politique globale du parti unique a constitué jusqu’en 1988 l’essentiel des sphères d’élaboration et d’exécution des décisions subies par la population. Erodé par les forces politiques théocratiques qui ont gagné le combat entriste mené  dans  les institutions  de l’Etat républicain inachevé  et dans les appareils successifs du FLN, parti unique, le pouvoir réel a fini par accepter un nouveau partage des sphères de décisions avec les forces islamistes depuis l’avènement de Bouteflika à la magistrature suprême.

 Le troisième mandat de Bouteflika  a vu  l’émergence d’une nouvelle force politique  qui s’est imposée par sa capacité de nuisance dans les circuits économiques informels qui prennent de plus en plus d’importance dans l’économie nationale jusqu’à pouvoir étrangler le marché  de biens de consommation de première nécessité autrefois tenu par les offices étatiques ! Cette bourgeoisie compradore- Liée au marché mondial- prétend exprimer son poids économique et financier par une représentation politique au parlement ! Les listes électorales confectionnées sous le diktat de la Chkara  appartiennent toutes à cette nouvelle force socio économique ! Ces élections  organiseront le nouveau partage du pouvoir et de la rente, acte éminemment politique  et leurs organisateurs nous invitent à les plébisciter.

Pouvoir apparent et pouvoir réel.

Ce scrutin a pour objectif de recomposer le pouvoir apparent  enjoliveur du pouvoir réel  et dont le rôle  est de donner le label institutionnel moderne et démocratique  à des décisions  élaborées par le noyau du pouvoir réel et ses cercles concentriques ! L’APN est l’espace par excellence du pouvoir apparent qui plébiscite les décisions prises par les cercles du pouvoir réel qui dans la configuration globale  a pris le soin de mettre des gardes fous à la sortie du système : Le Senat avec son tiers bloquant !

A la sortie  de ces élections nous aurons un parlement composite où les anciennes forces légitimistes  partageront l’allégeance au pouvoir réel avec des forces nouvelles, les islamistes plébéiens domestiqués par la magie de la rente, les islamistes mercantiles tenants de la distribution dans le marché informel , et les importateurs coalisés avec les tenants de la finance nationale et des signatures vitales  qui octroient les lignes de crédit et autorisent les transferts de capitaux  vers les  paradis fiscaux ! Aucune force politique ne représente la population pauvre, les petits salariés, les ouvriers de l’industrie et les manuels de l’agriculture. La plèbe  n’a pas droit à la représentation dans les palais des prédateurs ! Non nous ne cautionnerons pas cette dérive, ce bond vers le capitalisme sauvage sous la teinte théocratique ! Devant le précipice nous ne ferons pas un pas en avant.

Zawali ou Fhel c’est fini                          

J’ai entendu  un militant d’un parti politique qui a fraîchement renoncé à la pratique du boycott qui l’a caractérisé durant deux décennies, crier  sa peur de voir le pays envahi par l’OTAN , si on ne votait pas ! Voilà un raccourci  bien significatif du ralliement  suspect de partis mis dans la confidence du résultat final et qui après avoir chanté  durant des décennies « Min Djibalina talaa Sawt el Ahrar » se mettent  à entonner pour leurs  anciens militants médusés «  Hadikati aana el awan an naftarika » !!

Un leader de parti qui vient d’obtenir son agrément contre la promesse de rameuter la jeunesse vers les centres de vote , nous explique dans les colonnes d’un quotidien  national qu’il faut voter pour mettre fin à la légitimité historique comme fondement du pouvoir réel en Algérie !  Voilà un élève studieux du régime ! On lui  a dit que le temps de passer le flambeau est arrivé, que le système est  irremplaçable, que le véhicule est bon mais que c’est juste le conducteur qui a vieilli et qu’il faut remplacer ! Que le fondement de la crise est un conflit de générations ! Il suffirait  de rajeunir le personnel politique et la machine   repartira de plus belle !

Non ! La population  ne participera pas au relancement  de la machine  à broyer  les valeurs de nos martyrs et les idéaux séculaires de notre nation inachevée. Non la population ne participera pas  à la reconduite  des tenants du système  de la Hogra, où les décideurs,  protégées par la force des armes et une justice aux ordres,  ne sont ni  comptables  ni responsables de leurs actes !

La population n’adhère pas au renouvellement d’institutions qui ont échoué et failli mener le pays vers le précipice ! Avec ces élections l’Algérie fera le pas fatidique ! « Le pays est devant le précipice, grâce à Dieu nous avons fait un pas en avant »! Disait feu Gaid Ahmed  le candide  chef du parti unique  au temps de sa splendeur ! Le pouvoir exécutif  de l’alliance présidentielle, lui-même, reconnaît  l’inanité  de ce parlement affirmant à maintes reprises que durant les cinq années du dernier mandat aucune proposition de loi n’a émané des députés  qui à défaut de gymnastique spirituelle, se contentaient de lever le bras  comme des soldats qui acceptaient la reddition ! « Haut les mains la loi va passer »  semblait leur dire le chef du gouvernement sous la surveillance du maître du perchoir !

Edifié sur le nationalisme spécieux des décideurs du pays, la nature compradore du régime qui a recyclé dans ses rouages les serviteurs de la puissance coloniale, le citoyen broyé par une administration corrompue omnipotente aux réflexes jacobins colonialistes et aux coutumes prévaricatrices , exclut d’assumer encore  le profil du nationaliste «  Zawali we fhel », le rôle d’enjoliveur historique qui crédibilise le système fou, une bureaucratie cupide et aveugle, vassale de l’Occident et de l’Orient, dirigée par des prédateurs sans foi ni loi !

« Chaque fois que je vote  c’est Elle qui gagne »

 « Chaque fois que je vote  c’est Elle qui gagne » ! dit Si Ali le cordonnier de mon  quartier. Elle, c’est la « Houkouma »,  la « Dawla », le pouvoir ! Cette confusion dans la perception de l’Etat et du pouvoir est bien significative. Les tenants du pouvoir se servent de l’Etat pour leurs propres intérêts ! Dans les moments de partage de la rente concomitants aux effroyables épisodes de la  répression des forces populaires juvéniles qui s’expriment par l’émeute, Etat et Pouvoir n’en font qu’un ! Une puissance, celle  qui décide de notre vie quotidienne, de l’avenir de nos enfants ! Ces cercles hermétiques de prédateurs en chefs, qui vivent des richesses du pays sans compter, qui boivent en riant la sueur des ouvriers, qui consomment le grain blond des paysans, qui digèrent et s’approprient les généreuses idées des intellectuels après les avoir exilés ou assassinés, qui chevauchent et dénaturent les rêves des artistes, vieillissent et ruinent les espoirs de la jeunesse !  

Aller voter c’est reconduire ces mêmes prédateurs ou leurs enfants ou encore les enfants de leur système qui naissent adultes avec barbe, moustaches et surtout un appétit vorace  et un amour illimité du pouvoir !  Boycotter est le seul acte citoyen qui répond à la situation actuelle du pays, il faut que le taux de participation soit très bas pour que le pouvoir reconsidère ses rapports avec la société civile, qu'il accepte d'aller vers une 2ème république avec une assemblée constituante fondatrice ! 

Rachid Oulebsir             Bejaia le 20 Avril 2012

Notre autre sujet à propos des législatives 2012