Presse algérienne, le Web t'attend au tournant !

Les mutations de la communication humaine, depuis ses balbutiements innés et primitifs, suivent les créations et les acquis du savoir. L'avènement d'Internet célèbre, comme au temps de l'instauration de l'écriture ou bien la mise en industrie de l'imprimerie, une nouvelle ère. Non pas une rupture, mais une continuité !

La presse algérienne a été inventée en plein tâche historique qui a porté la couverture de la souveraineté nationale, puis avec l'acquisition de la pluralité après le 5 octobre 1988, elle s'est faite à l'enrichissement de se diversifier. Ressource économique aussi, cette activité d'informer (voire d'expliquer les pans actifs de la société) a des acteurs qui ont l'air de demeurer dans des réflexes bien archaïques et contre les nouvelles et imparables exigences...

Ni ces opérateurs, ni les journalistes et ni les cadres de cette activité ne résisteront au Web, alors à priori le débat passe aussi par la croissance...   

Titre original :   Sale temps pour la presse

Par : Noureddine Khelassi

De fait, l’organisation de la profession, avec notamment l’application du nouveau Code de l’information, est aujourd’hui plus que jamais urgente.Elle passe nécessairement par un assainissement du secteur qui ne serait laissé qu’aux gens de la profession connus et reconnus, l’élaboration d’un code de déontologie et par la reprise en mains de la diffusion, secteur vital mais abandonné à des camarillas locales et maffia de la roto qui se sucrent, en toute impunité, sur le dos de la pauvre bête.

En Espagne, le prestigieux El Pais, crée en 1976 durant la transition démocratique, 400.000 exemplaires et plus de deux millions de lecteurs par jour, supprimait récemment le tiers de ses emplois de journalistes. Et pourtant, il appartient au plus important groupe de médias espagnol, Prisa. Depuis quelque temps, la crise de la presse dans le riche Occident a changé de rythme et de dimension. Et c’est au tour du célèbre Newsweek américain d’annoncer l’arrêt de son édition papier le 31 décembre 2012 pour passer à un “format entièrement numérique”. Comme c’est souvent le cas, cette mutation n’est pas sans dommages humains et sans dégâts sociaux. Le passage au numérique s’accompagnera donc d’un plan de licenciements. La direction du journal a prévenu en effet qu’elle allait réduire ses effectifs de journalistes aux Etats Unis et à l’étranger. Voici donc un autre prestigieux titre, crée en 1933, qui tire en moyenne à 3 millions d’exemplaires aux USA et à un peu plus de 4 millions à l’international, et qui est diffusé dans 190 pays, qui est frappé aussi par la crise. La situation n’est pas plus reluisante dans la riche Allemagne. Et pourtant, la situation s’y dégrade également. Coup sur coup, les quotidiens Frankfurter Rundschau, né en 1945, et Financial Times Deutschland, lancé en 2000, ont annoncé qu’ils cessaient de paraître.

Le tableau n’est pas plus réjouissant en France. Le fameux France-Soir, lancé en 1944, a disparu avec pertes mais sans fracas en 2012. Le quotidien La Tribune, produit d’une longue lignée de feuilles économiques depuis 1824, a disparu lui aussi cette année. Ce journal, crée en 1985, qui se voulait être le Wall Street Journal français, tirait à 80.000 exemplaires en 2010. L’hebdomadaire Témoignage chrétien, né dans la Résistance aux nazis et qui fut à la pointe de nombreux combats progressistes, dont une constante opposition à la guerre d’Algérie et à l’ordre moral intégriste, est désormais contraint d’espacer ses publications pour devenir mensuel dès janvier 2013. 

Face à la tempête de la crise économique, la plupart des titres finissent par répondre à la nécessité de se transformer en journaux semi-gratuits, qui proposent au lecteur des prix cassés grâce à l’apport des annonceurs. Ceci, quand ils ne deviennent pas des publications subventionnées, grâce à la tirelire des aides publiques. Journaux bradés : comment qualifier autrement des magazines généralistes cédés par abonnement 1 euro le numéro avec des gratifications en prime ? Subventionnés : les aides publiques à la presse représentent près de 15 % du chiffre d’affaires du secteur et, de l’avis des experts, presque aucun titre ne survivrait sans l’aide cruciale de l’Etat. Quid alors de la presse algérienne, publique et privée, en 2012 ? 50 ans après l’indépendance du pays et 22 ans après la promulgation de la loi No 90-07 du 3 avril 1990 portant Code de l’information, remaniée par la loi organique No 12-05 du 12 janvier 2012, la presse écrite et audiovisuelle est toujours en attente de cadres d’organisation, de règles de régulation, d’instances d’arbitrage, d’aides publiques directes clairement définies, transparentes et justes, et d’établissements de codes d’éthique et de déontologie. Sans oublier dans ce tableau de bord, la structuration du marché de la diffusion. Et, surtout, la nécessaire et inéluctable organisation du marché publicitaire, conformément à la loi économique de l’offre et de la demande et des principes d’équité, d’équilibre et de transparence. 22 ans après la création de la presse privée, c'est-à-dire, du lancement de ce qui a été appelé, par doux euphémisme, “l’aventure intellectuelle”, facilitée alors par le volontarisme politique du gouvernement Hamrouche, il y a bien loin de la coupe aux lèvres ! 

En termes de nombre de quotidiens, à vocation nationale, l’Algérie détient un record absolu et insolite à l’échelle mondiale : 140 titres, en arabe et en français, et la liste est encore ouverte, sachant que les aménagements apportées au Code de l’information en 2012 assouplissent substantiellement les conditions d’éligibilité à la création de journaux. Cette poussée inflationniste, comparable à une germination printanière de sporanges, est à apprécier à l’aune des réalités de la presse dans les pays les mieux développés. A titre d’exemples, les Etats Unis disposent de 25 quotidiens nationaux. La France ne dispose pour sa part que de sept titres généralistes et spécialisés, de dimension nationale, contre neuf quotidiens au Royaume Uni. Au Japon, sept quotidiens tandis que la Chine ne propose que son célèbre Quotidien du Peuple. En Afrique, les kiosques à journaux sud-africains proposent 16 titres, cependant que l’Egypte, autre grande puissance continentale, offre une quinzaine de quotidiens nationaux, en arabe et en anglais. 

L’extraordinaire inflation de quotidiens en Algérie, peut tourner vite à la stagflation dans la mesure où la croissance économique de la presse est en général assez faible. La surabondance de titres est certainement une malsaine prolifération, car elle ne repose pas sur des entreprises de presse dignes de ce nom, la plupart des journaux étant en quelque sorte des dazibaos, fonctionnant comme une source de captation possible d’une rente publicitaire. Celle-ci est constituée, d’une part, par les annonceurs privés, essentiellement des entreprises de l’agro-alimentaire, de l’automobile et de la téléphonie mobile. Par les annonceurs publics, dont la manne est gérée par la centrale d’achat qu’est l’ANEP, l’agence étatique d’édition et de publicité, d’autre part. Comme on l’observe, le camembert de l’annonce publicitaire est partagé d’abord par des opérateurs privés qui n’obéissent pas toujours, de manière stricte, à la mécanique de l’offre et de la demande. S’agissant des annonceurs publics, la majorité de leurs insertions est orientée vers la presse écrite publique, le reste, c'est-à-dire une part variable, allant vers des quotidiens privés, selon des critères qui ne relèvent pas toujours de la logique commerciale. 

Dans le lot, certains quotidiens, notamment les titres publics, sont maintenus sous perfusion financière, alors qu’il s’agit souvent d’entreprises économiques non viables, même si certains titres possèdent des actifs propres tels les rotatives. C’est aussi le cas de certains titres privés et privilégiés, conservés artificiellement en vie ou généreusement financés à coups de pages de pub étatique régulière. Une publicité parfois conséquente, dont l’apport permet de consolider, au fil des ans, les bilans comptables, avec des soldes positifs. 

La question de la régulation du marché de la publicité, avec une loi-cadre, est aussi vitale qu’urgente à régler. Il en va alors de la bonne santé éditoriale et financière de la presse, elle-même baromètre de l’état démocratique du pays. L’élaboration d’une loi sur la publicité, qui mettrait de l’ordre dans un marché qui n’obéit pas à des règles économiques et juridiques précises, doit aller de pair avec l’organisation de la profession, avec notamment l’application du nouveau Code de l’information. Cela passe par un assainissement du secteur qui ne serait laissé qu’aux gens de la profession connus et reconnus. Cela implique aussi l’élaboration d’un code de déontologie défini par la profession, l’établissement d’un organisme de justification de la diffusion, à l’image de l’OJD français ou de l’Audit Bureau of Circulations américain. Et, in fine, par l’organisation de la diffusion, secteur vital mais abandonné à des camarillas locales qui se sucrent, en toute impunité, sur le dos de la pauvre bête qu’est la presse algérienne.