Jean Amrouche, figure d'une identité qui transpire l'authenticité profonde.

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Si les journalistes algériens devaient s'inspirer des grosses têtes, des théoriciens du métier, du devoir d'informer et de l'éthique de leur profession, les parcours d'héros de la plume qui écrit à la sauvette, rase les murs et dénonce les tares, ils seront éclairés et conduits par nombreux. Camus, Kateb et Djaout se situent à l'apogée de la reconnaissance sociale, voire la parfaite traduction du métier, en ayant aussi brillé dans la littérature. 

Jean El-Mouhouv Amrouche semble être celui qui traduit ce que la langue française a fait de presque tous les Rédha Malek, Mourad Bourboune et Assia Djebar, pour citer des gens de la presse algérienne... De simples vivants rigoureux et humbles par delà les immenses satisfactions des victoires. Le journaliste qu'était Jean Amrouche à son époque, c'était de la stature des grands intellectuels de la francophonie de son époque. Songer qu'en ces temps, les années 40-50-60, la technologie merveilleuse des ondes radiophoniques était comparable à celle de la TV ou bien Internet actuellement. Et c'était son heure de décortiquer les livres et d'interviewer les noms dont il était plus ami que critique. 

Et vous verrez le talent, la probité, le savoir et la communion d'un homme épris de s'émanciper de tous les carcans, comme tous les défis de son peuple qui ne consomme jamais son avidité de liberté. Y compris ceux qui roucoulent, à longueur d'un demi-siècle d’indépendance, pour faire dormir le peuple sur les glorioles et les lauréoles de la souveraineté combien peu reluisante, il a impulsé au devant la particularité nationale ! 

Ce lien à la littérature, via la radio, a exposé Jean El-Mouhoub Amrouche à être comme l’est, via la TV, le critique de bouillon de culture et d’apostrophe, le brillant Bernard Pivot. Il avait travaillé pendant des années (1945-1959) et ou il a fondé, notamment, un genre de critique littéraire novateur : “les grands entretiens“. 

Ses origines algériennes pour certains, sa foi chrétienne pour d’autres ; les séquelles de la guerre d’indépendance sont encore loin d’être réduites. Bien qu’il ait été reconnu par des grands tels que Gide, Claudel, Mauriac, Giono, le Professeur J. Berque, Léopold-Sedar Senghor, Aimé Césaire, Mohamed Dib, et surtout De Gaulle qui a écrit : « Jean Amrouche fut une valeur et un talent... Par dessus tout il fut une âme. Il a été mon compagnon », Kateb Yacine pouvait encore écrire : « Amrouche, cet inconnu ».

… Inclassable dans le sérail, il le dépasse par-dessus l’amour à l’Algérie. Bien plus haut comme fondateur d’une identité enracinée en Massinissa ! Et indomptable pour le colonisateur !

Titre original : Clôture du colloque sur Jean Amrouche : de la résistance antinazie à la résistance anticolonialiste

  Beaucoup d’Algériens et de Français ignorent totalement que l’homme de lettres, Jean  El Mouhoub Amrouche, avant d’être témoin et militant résolument engagé pour la décolonisation en Algérie, fut d’abord un intellectuel résistant contre le nazisme du temps de l’occupation de la France.

Cet aspect méconnu du parcours de Jean Amrouche a été dévoilé par Michel Carassou, directeur littéraire des éditions «Non lieu», lors de la dernière journée du Colloque international consacré à Jean El Mouhoub Amrouche, organisé au théâtre régional de Béjaïa. «Si Amrouche n’était pas un résistant de la première heure, comme bon nombre de métropolitains, sa propre réflexion va se rapprocher davantage de la résistance dont il appréciait les valeurs de fraternité et de justice sociale. Il était devenu très critique envers le régime de Vichy», dira d’emblée l’orateur, en rappelant qu’Amrouche avait hébergé chez lui, à Tunis en 1942, son ami, André Gide, traqué par le régime de Pétain. En 1943, à Alger, avec le soutien de Gide, il fondait une revue, L’Arche, publiée par les Editions Charlot, l’éditeur de la France libre.

«C’était aussi pour contrecarrer l’autre revue, NRF, coupable de collaboration», estime M. Carassou qui a édité, en 2009, le journal intime de Jean Amrouche (1928-1962), ouvrage présenté par l’anthropologue Tassadit Yacine. «Investi de fonctions importantes, Amrouche s’implique en tant qu’intellectuel dans la France libre», a ajouté cet éditeur. Dès son arrivée à Alger, en 1943, Amrouche rédigeait pour les généraux de Gaulle et Catroux une note sur la politique de la France en Afrique du Nord. Le vendredi 10 décembre, il fut reçu à déjeuner et questionné par de Gaulle. Edgar Faure, homme politique français,  écrit dans ses Mémoires que Jean Amrouche était un de ceux qui ont largement inspiré le discours de de Gaulle, place de la Brèche à Constantine, le 12 décembre 1943. Amrouche fera un compte-rendu très positif de ce discours à Radio Alger et tout autant du discours de Brazzaville, en janvier 1944.

A partir de ce moment, la confiance d’Amrouche à de Gaulle visait à faire évoluer la condition coloniale dans le sens de la justice sociale. Mais, ses aspirations d’appliquer les valeurs de la résitance en Afrique ont été balayées par les événements. En effet, cette confiance en la France «mythique» volait en éclats en raison de l’abandon des réformes promises et des massacres du 8 Mai 1945 qui sont venus anéantir ses espoirs d’un avenir commun entre Français et Algériens. Sa pensée politique prend un tournant. Depuis, l’intellectuel colonisé ne ratait pas l’occasion de dénoncer le racisme du système colonial. Etant irréformable, le système colonial français devait être aboli, selon Amrouche. Dans ce combat, L’éternel Jugurtha, son héros nord-africain, est son texte le plus célèbre publié en 1947.

«Jean Amrouche décèle en Jugurtha l’esprit de révolte, l’amour de la liberté et la quête de l’égalitarisme», a fait savoir Tarik Mira, professeur de sociologie. Si l’auteur d’Etoile secrète était un personnage contradictoire en raison de ses multiples attaches, il était en revanche, d’après M. Mira, doué d’une «vision clairvoyante». Et ce n’est pas un hasard si Amrouche avait choisi Jugurta comme figure «insaisissable, indomptable et étrange». De son côté, Hervé Sanson, chercheur en littérature maghrébine, s’est longuement appesanti sur les textes politiques d’une rare radicalité publiés dans la grande presse française par Jean Amrouche. Ces textes  informaient de la situation politique de l’époque, témoignaient des dures conditions dans lesquelles végétaient ses compatriotes algériens et revendiquaient la reconnaissance de la personnalité algérienne. Avec l’écrivain Albert Memi, Amrouche, a rappelé M. Sanson, était allé jusqu’à récuser les grilles de lectures opposées par des cercles français pour justifier la colonisation.

«Il expliquait aux Algériens la nécessité de se soulever afin d’imposer le respect», dira-t-il. Autre spécificité des textes politiques, la place centrale du langage chez Amrouche. «Ceci constituait la singularité de l’intellectuel colonisé (…) il aura rendu visible, par sa parole, la cause de libération de l’Algérie et ses arguments», a souligné M. Sanson. Quand bien même peu nombreuse, l’assistance, composée essentiellement d’hommes de culture et d’universitaires, a fortement dénoncé l’ostracisme qui frappe toujours l’enfant du «pays crucifié», 50 ans après l’indépendance  de l’Algérie,  et appelé à rendre à Jean ce qui appartient à El Mouhoub. Les travaux du colloque ont été clôturés dans la soirée de dimanche par un intermède musical méditerranéen. On déplore la défection de certains invités. Les organisateurs de ce colloque ont fustigé la non-contribution de certains sponsors, pourtant sollicités à y contribuer. Si le colloque a eu lieu à Béjaïa, c’est grâce au bel entêtement et à l’engagement désintéressé des différents organisateurs, notamment la Ballade littéraire de Béjaïa, le directeur du TRB et des conférenciers, dont certains, venus de France, ont payé les billets d’avion de leurs propres deniers..

 

Hocine Lamriben