10ans plus tard : Le regard des algériens pour le 11 septembre.

Il y a 10 ans, le 11 septembre 2001, l'écrivaine et journaliste algérienne Ghania Mouffok avait été frappée par le regard désemparé du président américain Georges Bush qui était ce jour-là en visite dans une école primaire. 

Quand New York devient Alger

Par Ghania Mouffok - Alger  

Titre original :  Le 11 septembre vu d'Alger -  Quand New York devient Alger

Subitement New York c’était comme Alger : terrorisme, Gia, El Qaïda, Ben Laden, le deuil et la désolation. Bush alors président ressemblait à Zeroual, ce président algérien qui s’était rendu célèbre après un grand massacre en demandant alors qu’il était au chevet d’une femme victime traumatisée du terrorisme : "Qu’y a-t’il lieu de faire ? "

Les yeux de Bush, depuis cette école où il apprend la nouvelle, semblaient aussi désemparés : « Qu’y a-t’il lieu de faire ? » Malheureusement il répondit à cette question par le pire, à la manière des généraux algériens, il répondit : la guerre, les guerres. Là où l’on aurait pu espérer dans ce moment historique de deuil massif autour de ce pays détestable pour une partie de l’humanité, un questionnement, une attention aux autres, rien, le monstre blessé voulait du sang et de la haine. Nous serons servis. Le pays, le modèle de démocratie, se comporta comme n’importe quel dictateur du tiers monde. Lois d’exception, torture, Guantanamo, guerre en Irak, en Afghanistan, menaces sur tous, de l’Iran au Liban en passant par la Palestine, l’axe du mal « globalement et dans le détail », allait trouver son redresseur. 

Les tours fumaient encore que Tony Blair, alors fringuant Premier ministre britannique, travailliste de surcroît, donnait la couleur des nouvelles fractures, après le péril rouge il annonçait le péril vert. L’islam en conflit contre l’occident chrétien, choc des civilisations, Huntington et Ben Laden, même combat.   

La guerre totale contre le terrorisme que j’avais combattue en Algérie devenait la nouvelle idéologie des puissants, le tout sécuritaire au détriment de la politique allait envahir le monde avec les mêmes méthodes déshumanisantes, sanglantes. Pendant que La bataille  d’Alger de Pontecorvo, magnifique film en noir et blanc devenait un instrument, une initiation à la psychologie des arabes quand ils se transforment en « terroristes ». 

« Terroriste », mot fourre tout de ce XX siècle finissant qui permet l’économie de la réflexion, la haine en guise de bouclier, la violence en échange de la violence celle des Etats se décuple contre les sectes intégristes en une justice expéditive. 

Même discours de part et d’autre, à chacun son bien et son mal. L’islam contre l’occident chrétien, chez moi c’était l’intégrisme contre la république. Tu parles ! La république des chars, des disparitions, de la torture, du errements des âmes en quête de ses deuils impossibles. L’Algérie mon beau pays, chant de deuil, champs de ruines, pendant qu’à l’ombre de la haine de soi, (ne sommes nous pas un peuple violent, analphabète, pauvre et ridicule avec ses prétentions à l’humanité ? ) les oligarques se préparent à l’enrichissement naturel, au marché des mafias circulant en Hummer sur le corps d’un peuple épuisé, comme en Irak, comme en Afghanistan. 

Et, encore une fois, on nous somme de choisir entre le pire et son frère, entre sa vie contre celle des autres. L’autre est musulman indiscutablement, son image défile à longueur de journaux télévisés, il est insaisissable, dans les camps en Palestine, dans les banlieues d’Alger, dans les bidonvilles de Marrakech, dans les palaces de Djeddah, dans les universités de technologie, sur Internet, il est barbu et sa femme porte une burka, noire, bleue, il la cache comme il se cache pour détruire l’Occident. 

Et comme en Algérie des années 90, tous ceux qui par le monde tentent de faire entendre une autre voix, celle de l’humiliation quotidienne, celle des écrasés en dictature, celle des suppliciés par des régimes détestables et détestés sont renvoyés à leur humanisme bêlant dans le meilleur des cas, ou à leur traîtrise dans le pire, complices des actes de violence, indiscutables, qui transforment la planète en champ de suspicion. 

Les arabes, les musulmans seraient définitivement réfractaires à la démocratie, les islamistes seraient d’une autre planète et leurs terroristes ne rêvent que de Djihad, de paradis et de Houris qui leurs sont promises par leur prophète qui lui-même n’est rien d’autre qu’un guerrier. 

INUTILE DE RABACHER : LES FAITS SONT CONNUS  

En Algérie cette stratégie va sauver le régime, d’accusé il se transformera en procureur, on vous l’avait bien dit que ces gens là ne comprennent que la langue des bâtons, en précurseur fier de faire partager son savoir militaro-policier avec les flics de la planète, son savoir-faire pour transformer des milliers de ses citoyens en poussière. 

En dépit des larmes et du sang, de l’échec évident de ce régime honni par les Algériens, 20 ans plus tard, les rois de la lutte anti-terroriste sont encore là, forts de cette légitimité internationale et inespérée. 

Quelles armes nous a laissé la démocratie américaine   en se transformant en dictature du tiers monde ? Le plus incroyable, c’est que cette super puissance en pleine déconfiture a décidé en même temps d’investir le monde arabe et de lui demander : « Pourquoi tu nous détestes ? » J’ai rencontré moi-même l’un de ces spécimens à Alger. Il était blanc, aussi blanc que sa chemise blanche impeccable, et il faisait connaissance avec « la société civile ». Tel un démarcheur, il était en quête des nouvelles élites et s’intéressait plus particulièrement aux scouts, ce qui n’était pas bête. Il voulait investir les nouvelles générations et leur apprendre à aimer la démocratie américaine. 

Sa méthode était simple, il avait du fric, « nous sommes prêts à investir beaucoup d’argent en Algérie », comme on s’achète des amitiés… Je lui répondis que je connaissais une autre méthode pour se faire aimer des arabes, comme quitter l’Irak et rendre ce pays aux siens, et puis peut-être aussi arrêter de soutenir aveuglement Israël, considérer que les Palestiniens avaient peut-être droit à un pays qui s’appellerait la Palestine, etc, etc… 

Mais je crois que son budget ne prévoyait pas ce type d’investissement et je n’avais, au fond, rien à dire à cet homme. 

Une décennie plus tard, la rue arabe occupe le monde, elle défile et crie liberté, ma génération regarde éberluée cette nouvelle génération qui la renvoie à son  âge, nous avons vieilli à l’ombre des chars américano-arabes, mais paradoxalement la rue ne veut que la tête des arabes et se tait sur les chars venus d’Amérique.  Et c’est bien la première fois que des manifestations aussi massives ne brûlent aucun drapeau américain… Les arabes auraient-ils appris à aimer l’Amérique ?