50ème anniversaire de l'indépendance : les images parlantes.

La Révolution par l’image. Les services d’information du FLN pendant la guerre d’indépendance algérienne.

Par Marie Chominot -  

En ces temps de cinquantenaire de l’indépendance algérienne, un photographe algérien est porté en pleine lumière : Mohamed Kouaci[i]. L’occasion de présenter ici une version enrichie et avec images d’un article écrit en 2007 et publié en 2010 (« Quand la photographie vint à la Révolution. Petite contribution à l’histoire des services d’information du FLN pendant la guerre d’indépendance algérienne », dans Omar Carlier (dir.), Images du Maghreb, images au Maghreb. Une révolution du visuel ?, cahier du Groupe de recherches sur le Maghreb et le Moyen-Orient (GREMAMO), Paris, L’Harmattan, 2010, pp. 239-255).

A la mémoire de Mahieddine Moussaoui

Dans les derniers mois de l’année 2006, une figure quasiment oubliée de la guerre de libération a été remise en lumière à Alger : le photographe Mohamed Kouaci, mort en 1996[ii]. Les manifestations organisées autour de son œuvre ne pouvaient que réjouir l’historienne qui, l’année précédente, avait passé de longues journées à parcourir la capitale algérienne à la recherche d’indices et de documents sur ce photographe dont je ne savais guère que le nom. Les hasards et les bonheurs des réseaux algérois ayant fait leur œuvre, j’ai eu la chance de rencontrer quelques-uns de ses proches et plusieurs personnes qui avaient travaillé avec lui à Tunis, du temps de la guerre d’indépendance algérienne. Cet article s’appuie donc sur leurs témoignages, mais aussi sur la consultation des archives qu’ils ont conservées et les collections originales des journaux publiés par le Front de libération nationale (FLN) pendant la guerre : Résistance Algérienne et El Moudjahid[iii].

Nous avons désormais accès à l’œuvre de Mohamed Kouaci, qui ne l’avait jamais publiée de son vivant. Mais que savons nous de lui, de son parcours, de son expérience, de son rôle au sein de la Révolution algérienne ? Plutôt que d’en faire une figure isolée, cette étude voudrait s’attacher à le relier à l’équipe au sein de laquelle il a travaillé, anonymement comme tous les autres. Une équipe qui a animé, à l’extérieur de l’Algérie par la force des choses, une politique sans faille de communication avec comme principal horizon l’internationalisation du conflit. La photographie était loin d’occuper une place subalterne dans cette action multiforme d’information.

L’étude de cette politique  permet de questionner la notion de « guerre inégalitaire », problématique proposée pour rendre compte d’une éventuelle « guerre des images » entre les deux camps en présence[iv].  Il y eut certes une inégalité criante des moyens de production (tant humains que matériels) et, d’un point de vue quantitatif, les quelque cent‑vingt mille clichés produits par le seul service photographique de l’armée française (SCA) écrasaient de leur masse les images produites par les Algériens. Pourtant, si l’on déplace le curseur du domaine de la production vers celui de la diffusion, la perspective est tout autre. La direction de la Révolution algérienne a diffusé, via tous les supports d’information qu’elle a pu maîtriser, un nombre considérable de photographies. Une faible proportion de ces clichés avait certes été produite par les Algériens eux‑mêmes. Doit-on pourtant renoncer à considérer une image comme algérienne dès lors que, produite en dehors des forces qui luttaient pour l’indépendance du pays, elle fut cependant convoquée par ces dernières au rang des instruments pour mener ce combat ? N’est-il pas possible, au contraire, d’assimiler toutes les photographies exogènes mais intégrées à la lutte comme des « prises de guerre », selon la belle expression de Kateb Yacine pour désigner la langue française ? C’est dans le cadre de cette réflexion que je voudrais présenter ici l’itinéraire et le travail du photographe Mohamed Kouaci.

Mohamed Kouaci, La délégation algérienne en route pour le festival de la jeunesse à Moscou, août 1957, collection Kouaci.

"Unes" en français et en arabe de Résistance Algérienne, édition B, n° 11, 1er novembre 1956.

À Tétouan, Mohamed Boudiaf réunit autour de lui une équipe de jeunes gens instruits pour assurer la rédaction, la mise en pages et la diffusion du journal qui publia trente-six numéros, de juillet 1956 à juillet 1957. Mohammed Saddek Moussaoui fut le premier recruté. Dès la fin de juillet 1956, Ali Haroun le rejoignit, puis Hocine Bouzaher et Ahmed Bouabdelli et enfin Zohir Ihadaden. Mahieddine Moussaoui resta la cheville ouvrière du journal, chargé à la fois du secrétariat de rédaction, de la coordination, de la mise en page et de la gestion financière. Quand il se lança dans cette aventure, Mahieddine n’avait comme seule expérience journalistique que sa longue fréquentation avec les journaux en tant que lecteur. Comme lui, aucun des hommes qui firent Résistance Algérienne puis El Moudjahid n’étaient des journalistes. Tous apprirent ce métier et toutes ses subtilités techniques sur le tas, au marbre.

Mohamed Kouaci, L’équipe du journal El Moudjahid à l’imprimerie de La Presse de Tunisie ( Mohammed Yazid, Mahieddine Moussaoui et Pierre Chaulet), avril 1959, collection Kouaci.

Dans la continuité, une « édition C » de Résistance Algérienne fut lancée à Tunis à l’automne 1956 : le premier numéro sortit le 1er novembre en arabe et le 21 décembre en français. L’équipe rédactionnelle était composée de Frantz Fanon, Abdallah Cheriet, Mohammed El Mili, Lamine Bechichi, Aïssa Messaoudi et Brahim Mezhoudi. Il est probable qu’un embryon de service photo ait été institué à Tunis dès cette période. Le cinéaste Djamel Chanderli, qui travaillait à Alger pour le compte des Actualités Françaises, mais avait aussi été rédacteur et photographe pour le journal du PPA l’Algérie Libre au début des années 1950, en fut sans doute le créateur. Contacté au début de l’année 1956 à Paris par la Fédération de France du FLN via Salah Louanchi, il gagna Tunis avec deux caméras, muni d’un mot de recommandation de la Fédération de France. Là, on le chargea de « mettre sur pied un service cinéma-photo », tâche dont il s’acquitta en montant, avec des moyens de fortune, un laboratoire dans une cuisine[xvii].

Chanderli passa en Algérie dès le mois de décembre 1956, accompagnant une caravane d’armes menée par Hacène Bouderbala, dit “Si Tahar”, qui le conduisit jusqu’au cœur de la wilaya 2 dont il était un des chefs de région. Chanderli resta quasiment un an dans les maquis du Nord-Constantinois, notamment dans le massif de Collo, où il filma les troupes de l’ALN et la répression menée par l’armée française contre les villageois[xviii]. En son absence, l’édition tunisienne de Résistance Algérienne fut fortement dépendante du fonds iconographique rassemblé à Tétouan.

A peine arrivé au Maroc, après qu’il ait dû quitter la capitale algérienne en proie à la « bataille d’Alger », Abane Ramdane reprit en main l’activité d’information menée par l’équipe de Résistance Algérienne et chargea cette dernière de relancer la publication d’El Moudjahid. Les deux éditions de Résistance Algérienne durent alors s’effacer, laissant la place au « seul organe de la Révolution algérienne ». L’équipe de Tétouan fut rapidement étoffée par la venue d’une partie des rédacteurs de l’ « édition C » (Frantz Fanon, Mohammed El Mili) et le recrutement de Redha Malek, qui venait juste de quitter la France pour rejoindre Rabat. Le numéro 8 d’El Moudjahid, « organe central du FLN », sortit au Maroc le 5 août 1957.

En septembre, Abane Ramdane décida de quitter le Maroc espagnol et une ville trop enclavée, qui n’offrait pas suffisamment de possibilités sur le plan de l’acquisition et de la diffusion des informations. Une centralisation des moyens de communication du FLN s’opéra alors à Tunis, où les archives (fonds photographique compris) furent expédiées par la voie aérienne, via Madrid et Rome, pour éviter toute saisie par les autorités françaises. C’est à Ahmed Dahraoui, alors responsable du service photo, que furent remises les archives photographiques rapatriées de Tétouan. Les équipes des éditions B et C de Résistance Algérienne fusionnèrent et se consacrèrent au seul journal El Moudjahid : à partir du numéro 11 (1ernovembre 1957) et jusqu’à l’indépendance, ce dernier fut donc imprimé à Tunis[xix].

"Unes" du journal El Moudjahid : n° 8, 5 août 1957, imprimé à Tétouan et n° 46, 20 juillet 1959, imprimé à Tunis.

Des publications multiformes

Si la publication d’un journal à la périodicité hebdomadaire constitua la première réalisation concrète autour de laquelle convergèrent les énergies, les services d’information du FLN (qu’ils soient installés au Caire, à Tétouan ou à Tunis) menèrent de front l’édition régulière d’une presse (Résistance Algérienne puis El Moudjahid) et la publication circonstanciée de plaquettes, brochures d’information ou petits livrets sur des questions particulières, dont un certain nombre étaient abondamment illustrés. Les équipes n’étaient pas suffisamment étoffées pour qu’il existât des sous-sections et les mêmes hommes rédigeaient, mettaient en pages et faisaient imprimer journaux et brochures. Ces dernières portaient la signature des  « éditionsRésistance Algérienne » (éditions El Moudjahid à partir de l’automne 1957), appellation qui visait peut-être à donner de l’activité de communication du FLN une vision plus ample que la réalité. Car derrière les « éditionsRésistance Algérienne », on ne trouvait personne d’autre que les hommes qui faisaient le journal.

Pour illustrer ces brochures, les équipes puisaient dans un même fonds iconographique, constitué à l’origine pour alimenter le journal et dont les images circulaient, d’un pôle à l’autre, sous forme de duplicata qui servaient de base à l’impression (d’où la qualité très souvent médiocre des reproductions photographiques dans ces documents). En novembre 1956, à l’occasion du deuxième anniversaire du déclenchement de l’insurrection, les différents services d’information du FLN furent ainsi en mesure de publier conjointement plusieurs brochures. Tandis que le service de propagande et d’information du FLN au Caire diffusait, via la Ligue Arabe, une nouvelle brochure en arabe abondamment illustrée  (L’Algérie combattante), les éditionsRésistance Algérienne éditaient la plaquette What is Algeria ? à Tétouan et le bureau du FLN à New York faisait imprimer à Washington un petit livret intitulé Fighters for Freedom[xx].

Couvertures des brochures What is Algeria ?, publiée par les éditions Résistance Algérienne, à Tétouan, et Fighters for Freedom éditée par le bureau du FLN à New-York, novembre 1956, ANOM.

Quelques mois plus tard, l’équipe de Résistance Algérienne réalisait un Almanach 1957, puis un numéro spécial du journal, sorte de tiré à part photographique de quatre pages, légendé en arabe, français, anglais et espagnol[xxi]. En vue de la 12e session de l’assemblée générale de l’ONU, qui devait s’ouvrir en septembre, les éditions Résistance Algérienne publièrent en juillet une épaisse brochure illustrée de plus de quatre-vingt-dix pages : Aspects de la Révolution Algérienne, tandis que le bureau de New York en tirait un dépliant, sorte de digest, en deux versions bilingues (français/arabe et anglais/arabe)[xxii]. En septembre, le Croissant-Rouge algérien s’adressa à l’équipe de Tétouan pour obtenir les photographies qui lui permettraient d’éditer plusieurs affiches dans le cadre d’une campagne d’information mettant en avant son action pour réduire les souffrances engendrées par la répression française.

D’une publication à l’autre, mais aussi du journal aux brochures, on retrouve les mêmes clichés, signe de l’étroitesse du fonds iconographique disponible, de la faiblesse et de l’irrégularité de son approvisionnement et donc de son renouvellement. Mais les rédacteurs préféraient occuper le terrain de l’image (et entrer par là en concurrence avec l’information adverse), quitte à publier plusieurs fois le même cliché, plutôt que d’abandonner à l’adversaire la bataille des images. Face à l’indigence des moyens de production internes à l’organisation, les services d’information du FLN firent feu de tout bois pour intégrer régulièrement des images dans leurs publications.

Faire feu de tout bois : les filières d’approvisionnement en images

L’équipe de Résistance Algérienne « édition B » ne comprenait pas de photographe. Pourtant, malgré cette absence et la mauvaise qualité du papier et de l’impression, le journal publia régulièrement des photographies[xxiii]. La livraison photographique fut fluctuante d’un numéro à l’autre, certains des premiers en étaient même entièrement dépourvus, mais elle atteignit régulièrement une dizaine de clichés par numéro à la fin de l’année 1956 et un peu plus d’une quinzaine en moyenne de mai à juillet 1957. La proportion de photographies dans El Moudjahid fut un peu inférieure : dix clichés par numéro en moyenne en 1957, neuf en 1958, onze en 1959, sept en 1960 et onze en 1961. Sur le modèle des quotidiens et des hebdomadaires français à grand tirage, la presse du FLN ne se concevait pas sans le recours à la photographie : il faut noter ce souci précoce et jamais démenti par la suite d’intégrer l’image à la gamme des moyens de communication, signe d’une maturité politique et médiatique du mouvement de libération nationale.

À quoi bon éditer un journal s’il n’était pas lu par le plus grand nombre ? Pourquoi risquer de se cantonner à un cercle de lecteurs déjà convaincus par les idées du FLN ? Comment conquérir de nouveaux publics ? Le recours à la photographie fut l’un des moyens pour rendre la presse du FLN attractive. Ses promoteurs avaient bien compris que la presse n’était pas seulement une question de contenu mais aussi, et peut‑être avant tout, une affaire de contenant et que la forme donnée à l’information participait de la création de celle-ci et assurait sa diffusion la plus large. Par ce choix, Résistance Algérienne puis El Moudjahid tendaient à entrer dans les canons formels de la presse occidentale et étaient donc susceptibles de la concurrencer sur son propre terrain. De ce point de vue, même avec des moyens réduits, les nationalistes algériens ont bien mené contre les Français une guerre des images, en raisonnant selon la même logique médiatique que leurs adversaires : pas d’événement sans image[xxiv].

Mais d’où venaient ces photographies si aucun photographe-maison n’était en mesure d’alimenter le journal ? De partout et de n’importe où, serions-nous tentés de répondre. En effet, pour la rédaction, l’origine d’une image importait moins que l’impact que, judicieusement légendée, elle pourrait avoir sur le public. Ainsi, le journal n’hésita pas à publier des photographies de source française (SCA et Paris‑Match) pour rendre compte de la grève des huit jours à Alger, en janvier‑février 1957[xxv]. Ces clichés, sur lesquels on voit des soldats français ouvrir de force les rideaux de fer de quelques boutiques, cherchaient à illustrer, du point de vue de l’armée française, l’efficacité des forces de l’ordre dans l’entreprise de briser la grève. Publiées dans Résistance Algérienne à l’appui d’un article intitulé « Le sacrifice des commerçants algériens », elles dénonçaient la brutalité de cette opération qui laissait les commerçants face à la ruine : une fois les rideaux de fer arrachés ou tordus par les engins militaires, leurs boutiques étaient livrées au pillage.

Toutes les photographies étaient bonnes à prendre et les sources internes à l’organisation se mêlaient aux sources extérieures. Dans les tout premiers numéros, les photographies venaient quasiment toutes des militants algériens disséminés à travers les villes du Maroc, qui fournissaient également une grande partie du contenu rédactionnel. Bon nombre de clichés représentant les soldats de l’ALN furent très probablement pris dans les camps d’entraînement au Maroc ou lors d’exercices à la frontière, sans que cela n’écorne en rien leur potentiel iconique et symbolique.

Rapidement, l’équipe de presse qui était en contact avec l’état-major de la wilaya 5, stationné à Oujda au Maroc, lui demanda de faire dresser un état des appareils photographiques disponibles au sein des groupes de l’ALN en Oranie, de donner des ordres nets afin que soient réalisés des clichés montrant les combats et les destructions opérées par l’adversaire, puis d’assurer leur collecte et leur acheminement jusqu’à la rédaction. Les images des maquis de l’intérieur étaient essentielles pour prouver de façon tangible, non seulement à l’opinion étrangère mais aussi et surtout à l’opinion algérienne, l’existence d’une réelle lutte militaire sur le terrain. Elles s’attachaient à montrer des groupes d’hommes en tenue militaire, dotés d’armes individuelles et d’armes lourdes ou semi‑lourdes, c’est-à-dire une armée constituée, présentant tous les signes d’une armée conventionnelle (uniformes, même s’ils étaient dépareillés, prises d’armes et revues de troupes devant le drapeau, même s’il était hissé sur un mât de fortune) et s’opposant indubitablement aux propos français sur ces bandes de « hors‑la‑loi », ces bandits de grand chemin coupeurs de routes et de poteaux électriques.

Amorcée en wilaya 5, cette collecte de photographies de maquis s’étendit à la totalité du territoire algérien après le congrès de la Soummam, en août 1956. Dans la perspective de l’internationalisation du conflit, la plate-forme politique issue de ce congrès préconisait une vaste action de propagande « par [les] propres moyens [de l’organisation] », via des publications, mais aussi « par la photo et le film ». Dans ce but, des services de presse et d’information (SPI) devaient être créés dans chaque secteur, afin de diffuser au sein du peuple et des combattants les mots d’ordre du FLN et ses publications (tracts, presse, brochures), mais aussi pour recueillir des informations et des documents susceptibles d’être exploités par la presse et la diplomatie du FLN, à l’extérieur[xxvi]. Dans la foulée, des correspondants de guerre de Résistance Algérienne furent désignés dans les maquis, souvent parmi les commissaires politiques qui possédaient déjà un appareil photographique, comme ce fut le cas d’Abdelhamid Benzid en wilaya 5[xxvii]. À l’été 1957, la rédaction d’El Moudjahid demanda « à tous les chefs de wilaya de désigner deux ou trois jeunes par zone qui seront les correspondants de ce journal. Ces correspondants enverront régulièrement des comptes‑rendus sur les exactions de l’ennemi, les exploits de l’ALN, sans oublier les documents photographiques »[xxviii]. Les ravages provoqués dans les maquis par les opérations militaires du « plan Challe » et par les purges internes désorganisèrent les SPI jusqu’à les réduire à l’inaction. La documentation interne à l’organisation, enfin, s’enrichissait des photographies envoyées par les bureaux du FLN ouverts petit à petit dans les capitales étrangères[xxix].

Les responsables de Résistance Algérienne organisèrent par ailleurs des filières d’approvisionnement en dehors de l’organisation afin de s’assurer une ouverture vers les sources photographiques occidentales. Ils cultivaient des contacts avec les journaux marocains, les agences locales et les journalistes étrangers qui avaient accès aux clichés diffusés par abonnement par les grandes agences photographiques européennes et mondiales (AFP, AP, Keystone…). Via une société espagnole qui servait de prête‑nom, la rédaction récupérait même une grande partie des clichés qui passaient par le bélino[xxx], en provenance ou à destination des agences de presse représentées à Tanger. Tous ces réseaux conjugués formaient comme un entonnoir qui assurait au journal l’arrivée d’un flux constant (même s’il restait mince) de clichés photographiques.

En septembre 1956, l’équipe inaugura une nouvelle technique pour se procurer des images : elle « recruta » deux reporters américains travaillant en free lance et leur proposa une sorte de reportage « clé en mains » à l’intérieur des maquis algériens[xxxi]. Après avoir été reçus et « briefés » à Tétouan, Herb Greer et Peter Throckmorton passèrent clandestinement la frontière. De septembre 1956 à janvier 1957, l’ALN prit totalement en charge leur sécurité, leur subsistance et leurs déplacements en wilaya 5, dans la région de Nédromah et dans l’Atlas saharien. Les reporters photographièrent et filmèrent, dans des campements de l’ALN, la vie quotidienne des maquisards et des séances d’entraînement. Deux prises d’armes furent même spécialement organisées à leur intention. Alors que la plupart des médias occidentaux parlaient encore de « bandes », ces quelques dizaines de combattants de l’ALN étaient photographiés comme n’importe quel détachement d’une armée régulière, bien équipée et disciplinée. Afin de démontrer la capacité offensive et la puissance de feu de l’ALN, les reporters furent intégrés à de petits groupes de combat pour filmer trois embuscades, les véhicules incendiés, les cadavres des soldats français et même deux prisonniers. On les invita enfin à suivre la tournée d’une équipe médicale du Croissant-Rouge algérien auprès des populations civiles et à témoigner des ravages de la répression sur les biens et les personnes. Après cinq mois de vie clandestine sur le sol algérien, Greer et Throckmorton rentrèrent au Maroc, où certaines de leurs bobines avaient déjà été rapportées par un agent de liaison de l’ALN en octobre 1956 pour une exploitation immédiate par les services d’information du FLN.

Avant de rejoindre les Etats-Unis au début de l’année 1957, et conformément à leur engagement, ils laissèrent un jeu complet de leurs images au service d’information basé à Tétouan. Ce corpus fut très abondamment utilisé, dans l’immédiat et par la suite, tant pour illustrer le journal que dans le cadre de brochures publiées sous la griffe « éditions Résistance Algérienne ». Le Bureau du FLN à New York parvint même à faire diffuser sur la chaîne de télévision américaine NBC, le 28 octobre 1956, les premières images tournées au maquis par Greer et Throckmorton[xxxii].

L’expérience relevait d’un partage d’intérêts. Les reporters américains emmagasinaient ainsi des clichés sensationnels et inédits : un scoop facile à monnayer dans le monde entier, dans la mesure où les correspondants installés à Alger ne pouvaient travailler que du côté français. Dès leur retour du Maroc, Greer et Throckmorton diffusèrent ainsi leurs images dans la presse internationale. Ils placèrent notamment des reportages dans des magazines illustrés allemand (Der Stern, 13 avril 1957), suisse (Die Woche, 20 avril 1957) puis américains (Cavalier, juillet 1957 et Brave, novembre 1957), sans pour autant atteindre des journaux à très forte audience. Peter Throckmorton frappa cependant un grand coup en obtenant la diffusion de son film de trente minutes « La vie derrière les lignes rebelles » sur la chaîne NBC, dans l’émission-phare du journaliste Chet Huntley (Outlook, 9 juin 1957). En parallèle, au moins deux agences de presse américaines – INP (International News Photo) et UP (United Press) – distribuèrent dans le monde entier quelques images tirées du film de Throckmorton sur les maquis, relançant leur diffusion à grande échelle. Ainsi insérés dans le système médiatique international, les clichés gagnèrent une crédibilité et une audience que n’auraient pu leur donner à eux seuls les services d’information du FLN.

Peter Throckmorton, « Rebel Fury in Ambush », Brave, novembre 1957, pp. 34-35 et back cover.

En recrutant ces professionnels, l’ALN se donnait quant à elle les moyens de construire pour l’opinion étrangère une image de l’armée de libération qui démente les thèses françaises, avec des images de qualité qu’elle n’était pas en mesure de produire en interne. Cette expérience de reportage en sous-traitance fut une grande réussite pour le FLN, engagé dans une guerre inégalitaire. Cette initiative pionnière a tendu à devenir un système à partir de la fin de l’année 1957, alors que les services d’information, regroupés à Tunis, puis le ministère de l’Information du GPRA accueillaient de nombreux journalistes étrangers. Ces derniers restèrent cependant cantonnés aux bases de l’ALN en Tunisie et au no man’s land entre la Tunisie et l’Algérie, zone née de l’édification du barrage électrifié sur la frontière. Les maquis de l’intérieur n’étaient plus accessibles.

Mohamed Kouaci, photographe du GPRA

Tous les documents photographiques collectés par ces différentes voies furent transférés à Tunis en septembre 1957 et constituèrent la base du fonds d’archives dont hérita Mohamed Kouaci lorsqu’il fut nommé responsable du service photographique au sein du ministère de l’Information du GPRA. À Tunis, l’équipe poursuivit son activité de presse et d’information selon les mêmes principes qu’à Tétouan et élargit progressivement son action au cinéma et au son (une section « Images et Sons » fut confiée à Mahieddine Moussaoui).

Dans le cadre du GPRA, Mohamed Kouaci reprit, amplifia et officialisa la politique photographique du FLN : il pouvait désormais apposer au dos des clichés le tampon du « Service Photo du ministère de l’Information, GPRA », puis celui de l’agence « Algérie Presse Service » (APS) après sa création en décembre 1961. Il y ajouta une dimension essentielle de production endogène, puisqu’il était photographe. Son activité de reportage se trouva cependant fortement contrainte par l’existence de la ligne Morice. Après l’arrestation de Dahraoui, Clément et Zelloul, le GPRA n’envoya plus de reporters dans les maquis. Les missions de Kouaci se concentrèrent donc sur la frontière, où il photographia l’ALN dans ses camps d’entraînement et sesmerkez et la suivit parfois dans les actions de harcèlement lancées contre le barrage ou les postes français implantés dans le no man’s land entre les deux lignes électrifiées.

Sous son objectif se déroulaient des revues de troupe et des défilés parfaitement orchestrés. Les hommes possédaient uniformes et armement standardisés et impeccables, ils marchaient au pas cadencé, la tête haute, le regard dur, ou en chantant. Plus rien à voir dans ces représentations avec les groupes de combattants de l’intérieur qui, sous les coups du « plan Challe », étaient à l’époque en mauvaise posture et en pénurie constante d’armes et de matériel. Mohamed Kouaci consacra également de nombreux clichés aux réfugiés algériens. Ses portraits de femmes et d’enfants, réalisés dans un style humaniste maîtrisé, servirent, tout autant que ses photographies de combattants, à éveiller la conscience internationale au problème algérien. Ils furent régulièrement publiés dans El Moudjahid et illustrèrent des brochures : notamment, Les Réfugiés algériens, éditée par le Croissant-Rouge en juin 1959,  La Révolution algérienne par le peuple et pour le peuple, Génocide en Algérie, les camps de regroupement et A travers les wilayas d’Algérie, publiées par le GPRA respectivement en mai, octobre et en novembre 1960). A l’été 1961, ils permirent  d’éditer trois pochettes de dix cartes postales, imprimées en Yougoslavie pour le compte du ministère de l’Information du GPRA : « Images de l’ALN », « Enfants » et « Réfugiés »[xxxiii].

Couverture des brochures Les réfugiés algériens, éditée par le Croissant-Rouge Algérien, juin 1959, et A travers les wilayas d’Algérie, éditée par le ministère de l’Information du GPRA, novembre 1960, ANOM et collection Chaulet.

En dehors de ses missions à la frontière, Kouaci travaillait à Tunis où il photographiait tous les faits et gestes qui scandaient la vie interne du GPRA. Il ne se déplaçait pas à l’étranger. Selon une technique désormais bien rôdée, les délégués du GPRA rapportaient avec eux les clichés des manifestations auxquelles ils avaient participé, réalisés par les photographes locaux[xxxiv]. Parallèlement, la collecte de documents iconographiques à toutes les sources disponibles se poursuivait inlassablement. À Tunis, comme à Tétouan autrefois, des filières de récupération de documents furent montées. Elles étaient complétées par des réseaux activés en France, en Suisse et en Belgique, dans le cadre de la Fédération de France et des réseaux de soutien au FLN. Beaucoup de clichés d’agences occidentales parvenaient ainsi rue des Entrepreneurs et l’on trouve au verso des tirages issus des archives du GPRA des mentions aussi diverses que Associated Press, UPI, Universal Photo, AGIP, Dalmas, Keystone, AFP et Intercontinentale.

On ne s’étonnera pas de tomber régulièrement dans El Moudjahid sur des clichés pris par l’armée française puisque les archives du GPRA renferment nombre de tirages originaux du SCA, de format 13×13 ou 18×18, avec tampon au dos et accompagnés de leur fiche de légende. C’est sous cette forme que l’armée française (via le service d’information du Gouvernement général, le service Presse Information du commandement, à Alger et le service de l’information du ministère de la Défense nationale, à Paris) faisait parvenir chaque semaine ses clichés aux journaux et aux agences de presse, dans des « enveloppes » gratuites, avec pour consigne de ne pas indiquer la source lors de la publication, « pour éviter de donner l’impression d’une information dirigée »[xxxv]. Sporadiquement, l’équipe complétait cette documentation par des repiquages sauvages dans la presse ‑ la presse d’Algérie, mais aussi un hebdomadaire à grand tirage comme Paris-Match ‑ ou dans des ouvrages. Le 29 janvier 1961, la photographie qui parut en « une » d’El Moudjahid était ainsi empruntée au livre de Marc Flament et Jean Lartéguy, Les dieux meurent en Algérie, publié en octobre 1960 par les éditions de La Pensée Moderne.

Pochette de dix cartes postales éditée par le ministère de l’Information du GPRA, été 1960, collection Chaulet.

"Une" du journal El Moudjahid, n° 77, 29 janvier 1961.

Dans le laboratoire de la rue des Entrepreneurs, Kouaci triait, classait et contretypait au besoin tout ce matériel récupéré, avec l’aide de Daniel Leterrier, un photographe français déserteur, recruté par Moussaoui à Bruxelles, dans le service de faux papiers de la Fédération de France alors animé par Adolfo Kaminsky[xxxvi]. En décembre 1961, le nombre des clichés archivés au service photo était estimé à neuf mille[xxxvii]. Les documents inlassablement rassemblés et pieusement conservés, s’ils servaient les besoins immédiats d’une communication de guerre, étaient aussi conçus comme le corpus auquel pourraient venir puiser « la future télévision et le futur cinéma algériens »[xxxviii] mais aussi les historiens et les citoyens. Car, comme le disait Mahieddine Moussaoui, qui fut à l’époque la cheville ouvrière de ce travail d’archivage : « Un peuple sans histoire n’est pas un peuple, un pays sans archive n’est pas un pays[xxxix]. »

Durant le second semestre de l’année 1961, le service photo du GPRA entreprit, en parallèle d’un vaste « effort d’organisation de ses archives photographiques », de regrouper en un seul lieu (la rue des Entrepreneurs) tous les fonds photographiques relatifs à la Révolution afin de donner à ces archives « un caractère national »[xl]. Des contacts furent pris avec la Fédération de France, l’état-major général de l’ALN (EMG) et le ministère des Liaisons générales (MALG) pour que chacun de ces services verse au ministère de l’Information les clichés qu’il avait produits ou rassemblés pendant le conflit. Ces versements n’eurent jamais lieu, contrariés par la crise ouverte entre le GPRA et l’EMG et le chaos qui caractérisa les derniers mois de la guerre, mais leur programmation témoigne de la dimension patrimoniale que les acteurs de l’information au sein du GPRA donnaient à leur action.

C’est également animés d’un désir de transmission envers les jeunes générations et d’une conscience aiguë de l’importance des cadres dans le futur Etat souverain que les responsables du service photo assurèrent la formation de photographes. Dans le courant de l’année 1961, des stages furent ainsi organisés pour de « jeunes éléments envoyés par les différents ministères ou services (syndicat UGTA et Jeunesse notamment) », tandis qu’ils aidèrent le service photo de l’ALN à s’installer à Garn El Halfaia (don de matériel et formation)[xli]. Pendant toute la durée de son séjour à Tunis, Mohamed Kouaci assura quant à lui la formation continue des jeunes photographes qui le secondaient au service photo, tant dans le domaine des prises de vue que dans celui du laboratoire. Sa femme garde le souvenir de quelques-uns d’entre eux  ‑ Ahmed, Tayeb, Madjid ‑ et surtout de Mohamed Taleb qui suivit Kouaci à Alger lorsque celui‑ci prit, après l’indépendance, la tête du service photographique au ministère de l’Information de la République algérienne démocratique et populaire. Rares sont aujourd’hui les photographes algériens en activité (à l’exception des plus jeunes, évidemment) qui n’ont pas débuté leur activité sous l’œil bienveillant et pédagogue de Mohamed Kouaci, que ce soit à Tunis ou à Alger, au ministère de l’Information ou dans sa boutique du front de mer, ouverte en 1969.

Soigneusement emballées, les archives du ministère de l’Information du GPRA quittèrent Tunis en juillet 1962 dans des camions de l’armée algérienne. Elles arrivèrent à Alger dans le contexte de la crise ouverte entre l’ALN des frontières et les responsables des maquis de l’intérieur. Déposées en vrac dans les sous-sols du bâtiment de l’ancien Gouvernement général, elles furent alors laissées sans surveillance pendant plusieurs mois, en partie pillées et détériorées par l’humidité. Cette atteinte à un fonds patrimonial jalousement constitué et préservé par l’équipe d’information depuis les premiers temps ne fut que la première d’une longue série. Ce qu’il en reste est aujourd’hui dispersé (notamment entre les Archives nationales, le Centre national de documentation de presse et d’information, l’APS et des particuliers) et nécessiterait un long et patient travail d’identification, de documentation et de préservation. La veuve de Mohamed Kouaci préserve un fonds de plusieurs centaines de tirages et de négatifs, dont la consultation minutieuse nous a permis de mener à bien cette étude. Qu’elle s’en trouve ici très chaleureusement remerciée.

[i] Luc Desbenoit, « Un photographe du FLN face à la censure », Télérama, 8 février 2012, pp. 28-30.

[ii] Le 28 octobre 2006 était inaugurée au Palais de la Culture une exposition de 80 photographies intitulée « Hommage à Mohamed Kouaci ». Les 18 et 19 décembre 2006, à l’occasion d’un colloque international à la Bibliothèque Nationale, consacré au journal El Moudjahid, cinquante ans après sa création, les clichés de Kouaci furent montrés à nouveau. L’exposition fut reprise à la Bibliothèque Nationale, légèrement étoffée, à partir du 10 janvier 2007. Dans le cadre d’« Alger, capitale de la culture arabe », en 2007, un album rassemblant 160 photographies fut édité, en arabe, par les éditions Casbah : Mohamed Kouaci, 1956-1963.

[iii] Entretiens réalisés, à Paris et à Alger, en mai 2005 et mai 2006, avec : Redha Malek, Pierre et Claudine Chaulet, Mohamed Saddek Moussaoui, dit Mahieddine, Safia Kouaci, Smaïl Benhassir, Salah Teskouk, et le photographe Abdelkrim Amirouche.

[iv] Laurent Gervereau et Benjamin Stora, « La guerre inégalitaire », texte introductif du cataloguePhotographier la guerre d’Algérie, Paris, Marval, 2004, pp. 7-9.

[v] Le mariage a lieu dans le courant de l’année 1945. Ce départ se situe probablement en 1946 ou au début de l’année 1947.

[vi] Voir Marie Chominot et Benjamin Stora, « Photographes sous l’uniforme : regards croisés sur la guerre d’Algérie », Photographier la guerre d’Algérie, Paris, Marval, 2004, pp. 39-71.

[vii] Sur ce point, voir le témoignage de Taha El Amiri, comédien membre de la troupe du MTLD puis du FLN : « Faute d’auteurs, la Révolution n’a pas été portée sur scène », El Watan, 7 janvier 2007.

[viii] Voir « Le dé et l’aiguille rejoignent le fusil », dans Horizons, hors-série, mars 2010, pp. 48-49.

[ix] Safia rejoignit elle aussi, quelque temps plus tard, le ministère de l’Information. Elle y travaillait comme permanente au centre de documentation piloté par Pierre Chaulet, mais assurait aussi le secrétariat du ministère et, à partir de décembre 1961, le fonctionnement de l’agence de presse nouvellement créée : Algérie Presse Service (APS).

[x] Pierre Clément fut condamné à dix ans de prison pour « atteinte à la sûreté intérieure de l’Etat ». Il passa quatre années derrière les barreaux, d’abord en Algérie puis en France et fut libéré six mois après l’indépendance de l’Algérie. Entretien avec Pierre Clément dans Les Cahiers du cinéma, n° 561, octobre 2001, p. 17.

[xi] La délégation extérieure du FLN prit la suite de la délégation du MTLD installée au Caire depuis 1945. Celle-ci était composée, à partir de 1950 de Mohamed Khider, Hocine Aït Ahmed et Ahmed Ben Bella.

[xii] Les Atrocités du colonialisme français en Algérie, 10 juin 1956, Archives nationales d’outre-mer (ANOM), 81F 529.

[xiii] « Les rebelles en Algérie », L’Express, 17 septembre 1955, p. 4 et « Un journaliste chez les hors-la-loi algériens », France Observateur, 15 septembre 1955, pp. 16‑18.

[xiv] Son nom avait été trouvé dans le carnet d’adresses de Mohamed Khider, arrêté à bord de l’avion marocain détourné par la France le 22 octobre 1956. Hamid Tahri, « Un médecin journaliste dans la guerre »,El Watan, 23 mars 2006, p. 9.

[xv] Le titre existait déjà : trois numéros étaient parus en France, fin 1955 (le premier numéro est daté du 22 novembre 1955) et début 1956, probablement sous la houlette de Salah Louanchi dépêché auprès de la Fédération de France par Abane Ramdane pour s’occuper de la propagande, de l’information et des contacts avec la gauche française. Les trois numéros, qui ne comportaient pas de photographies, furent imprimés à Yverdon, en Suisse. Ali Haroun, La 7e wilaya. La guerre du FLN en France, Paris, Seuil, 1986. L’édition marocaine se situait clairement dans la continuité : alors que l’édition française ne portait aucune référence, Mohamed Boudiaf précisa à Mahieddine Moussaoui qu’il devait veiller à indiquer « édition B » pour la version réalisée à Tétouan. Entretien de l’auteure avec Mahieddine Moussaoui, Paris, 3 mai 2006.

[xvi] Les deux clichés, de format vignette, présentent des combattants algériens en tenue militaire. Sur le cliché légendé en arabe, les trois hommes posent avec un paysan. La légende française précise : « Un groupe de l’Armée de Libération Algérienne en tenue de combat ». Résistance Algérienne, édition B, numéro 1, 5 juillet 1956.

[xvii] Témoignage de Djamel Chanderli dans L’Information durant la guerre de libération, Alger, ministère de l’Information, 1984.

[xviii] Entretien de l’auteur avec Si Tahar Bouderbala, Constantine, 24 mai 2006. De passage à Tunis pour trouver des armes, Si Tahar rencontra Chanderli qui cherchait un contact auprès des représentants de wilayapour entrer en Algérie. Certains le considèraient comme un espion, puisqu’il avait travaillé pour la société française Eclair. Originaire de Constantine, Chanderli trouva finalement en Si Tahar son interlocuteur. « C’était quelqu’un de ma région, alors je l’ai pris avec moi et je l’ai fait venir chez nous », rapportait ce dernier. À l’automne 1957, après plusieurs mois à filmer dans différentes zones de la wilaya 2, Chanderli fut ramené à Tunis par Si Tahar, convoqué là-bas avec Ali Kafi et Allaoua Benbaatouche.

[xix] L’équipe d’El Moudjahid fut ensuite enrichie par l’adjonction de nouvelles personnalités, notamment Ali Alya, Mahmoud Amrouche, Aït Ahcène et Pierre Chaulet, qui rejoignit l’équipe à son arrivée à Tunis, fin décembre 1957.

[xx] L’Algérie combattante, novembre 1956, ANOM, 81F 530 ; What is Algeria ?, novembre 1956, ANOM, 81F 528 ; Fighters for Freedom, novembre 1956, ANOM, 81F 527.

[xxi] Almanach 1957 de Résistance Algérienne, janvier 1957, et numéro spécial de Résistance Algérienne, février 1957, Service historique de la Défense/Département de l’armée de terre (SHD/DAT), 1H 2589.

[xxii] Aspects de la Révolution algérienne, brochure et dépliant, juillet et août 1957, ANOM, 81F 528.

[xxiii] Résistance Algérienne (édition B) était imprimé dans une petite imprimerie du centre de la ville espagnole de Tétouan, appartenant à un Espagnol nommé Alba. L’impression était réalisée sur une vieille machine à plat, de marque Heidelberg, datant des années 1930 ou 1940. Fin mai 1957, l’imprimerie changea de matériel et Résistance Algérienne (édition B) parut, à partir de son n° 31, sous un nouveau format, avec une nouvelle maquette et une qualité d’impression bien supérieure, notamment pour les clichés photographiques.

[xxiv] Voir Pierre Nora, « Le retour de l’événement », dans Jacques Le Goff et Pierre Nora (dir.), Faire de l’histoire, Tome I : Nouveaux problèmes, Paris, Gallimard, 1974, pp. 285-308.

[xxv] Résistance Algérienne, n° 20, du 1er au 10 février 1957, deux clichés publiés page 3 de la version française.

[xxvi] Directives consécutives au Congrès de la Soummam, publiées dans un numéro spécial d’El Moudjahid, à l’occasion du 1er novembre 1956.

[xxvii] Abdelhamid Benzine, Journal de marche, Alger, ANEP, 1965. Les feuillets de ce journal ont été cachés par l’auteur, au fur et à mesure de leur écriture, « afin que [son] carnet ne tombe pas aux mains de l’ennemi ». Retrouvé intact en août 1962, il fut publié trois ans plus tard. Benzine fut désigné comme correspondant de Résistance Algérienne fin octobre 1956 et fait prisonnier le 14 novembre 1956.

[xxviii] Directives du CCE répercutées au niveau de la wilaya 1, sans date (circa juillet-août 1957). Document reproduit en fac-similé dans Mohamed Guentari, Organisation politico-administrative et militaire de laRévolution algérienne de 1954 à 1962, tome 1, Alger, OPU, 2000, pp. 356-363.

[xxix] Ainsi, les clichés de manifestations pro-algériennes en Suède, publiés dans les numéros 31 (20 mai 1957) et 34 (5 juillet 1957) de l’édition B et dans le numéro 8 (10 juin 1957) de l’édition C provenaient-ils très probablement du bureau du FLN à Stockholm, dirigé par Salhi. Sur le rôle de la diplomatie algérienne dans l’internationalisation du conflit, voir Matthew Connelly, L’Arme secrète du FLN. Comment de Gaulle a perdu la guerre d’Algérie, Paris, Payot, 2011.

[xxx] Le bélinographe, inventé par Edouard Belin en 1908, permettait la transmission à distance de texte, de documents et surtout de photographies. Il fut très utilisées par les reporters de presse jusque dans les années 1960-1970. Dans ce milieu, cette machine était communément appelée « la Bélino ».

[xxxi] Sur cet épisode, voir Marie Chominot, « 1956-1957 : l’ALN sous l’objectif de deux reporters américains », dans Abderrahmane Bouchène, Jean-Pierre Peyroulou, Ouanassa Siari Tengour, Sylvie Thénault (dir.), Histoire de l’Algérie à la période coloniale, 1830-1962, Paris, La Découverte, à paraître en septembre 2012.

[xxxii] Le texte du commentaire, reproduit dans le n° 13 de Résistance Algérienne (édition B) le 20 novembre 1956, permet de dresser la liste des séquences diffusées : l’entraînement dans un verger, une mitraillette automatique servant à l’instruction, un médecin examinant un malade, des soldats marchant en rang, des mules chargées, la corvée de patates dans un poste de l’ALN, un soldat effectuant une danse paysanne avec sa carabine, un état-major dressant un plan d’attaque, puis la séquence complète d’une des embuscades.

[xxxiii] Archives Chaulet.

[xxxiv] C’est ainsi qu’on trouve dans les archives Kouaci un tirage de presse de l’agence chinoise Hsinshua News Agency, datant de février 1961 et représentant la conférence afro‑asiatique des femmes au Caire, au cours de laquelle Mamia Chentouf, chef de la délégation des femmes algériennes, prit la parole.

[xxxv] Nota à une fiche d’exploitation d’un reportage du SCA/AL, 15 septembre 1958, SHD/DAT, 1H 2515/2.

[xxxvi] Sarah Kaminsky, Adolfo Kaminsky, une vie de faussaire, Paris, Calmann-Lévy, 2009.

[xxxvii] Rapport dactylographié de la section « Images et sons », décembre 1961. Probablement rédigé par Pierre Chaulet et Mahieddine Moussaoui. Archives Chaulet.

[xxxviii] Ibidem.

[xxxix] Interview filmée dirigée par Youcef Aggoun, dans le cadre de la préparation du colloque sur El Moudjahid, tenu les 18 et 19 décembre 2006 à la Bibliothèque Nationale d’Alger.

[xl] Rapport dactylographié de la section « Images et sons », décembre 1961. Archives Chaulet.

[xli] Ibidem.

Le photographe Mohamed Kouaci dans un centre de l’ALN en Tunisie, à la frontière algéro-tunisienne, sans date, collection Kouaci.

Alger/Paris/Moscou/Tunis : itinéraire de Mohamed Kouaci

En novembre 1954, lorsque quelques militants nationalistes déclenchèrent la lutte armée sur le sol algérien, Mohamed Kouaci était à Paris depuis environ sept ans. À Alger, qu’il avait quittée en 1946 ou 1947, il militait déjà au PPA‑MTLD (Parti du peuple algérien-Mouvement pour le triomphe des libertés démocratiques) de Messali Hadj. C’est d’ailleurs dans une réunion politique qu’il avait rencontré un des oncles de sa future femme, Safia Khris. Cette dernière garde le souvenir d’un garage situé en face de la maison familiale, dans la Basse Casbah, où Messali Hadj venait tenir des meetings, haranguer le peuple. Né à Blida en 1922, Mohamed Kouaci avait grandi dans la capitale algérienne, d’abord dans la Basse Casbah puis dans le quartier de Saint‑Eugène (Bologhine), sur la corniche. Il fut formé à l’école française (la célèbre école Sarrouy de la Casbah) mais ne put poursuivre ses études au‑delà du certificat d’études primaires. En tant qu’aîné, il seconda rapidement son père, qui était commerçant, pour subvenir aux besoins de la famille.

Dès les années 1940, il pratiquait la photographie en amateur. Safia, qui fit sa connaissance alors qu’elle n’avait encore que neuf ans, dit l’avoir toujours connu « un appareil photo entre les mains, une boîte de quatre sous ». La relative aisance du milieu commerçant dans lequel il évoluait explique peut-être l’acquisition d’un boîtier photographique et la pratique d’une activité très largement réservée, pendant l’époque coloniale, à la société européenne et à quelques membres de l’élite urbaine « indigène ». Par ailleurs, Kouaci fréquentait des cercles intellectuels et artistiques dans le cadre desquels sa pratique photographique en vint à dépasser la simple dimension familiale ou militante (il fixait à l’occasion sur la pellicule réunions et manifestations nationalistes) : il photographiait, par exemple, les activités de la troupe théâtrale dirigée par l’oncle de Safia, également poète et musicien.

Quelques années plus tard, c’est à Paris que Kouaci perfectionna cette pratique photographique et s’orienta progressivement vers une maîtrise professionnelle du medium. Un an environ après avoir épousé Safia, il quitta en effet Alger en compagnie d’un des oncles de sa femme, pour « aller tenter sa chance en France »[v]. Les raisons de ce départ étaient moins directement économiques que politiques et culturelles : sur tous ces plans, la situation leur paraissait bloquée en Algérie. Son compagnon d’émigration avait déjà vécu dans la capitale française où il avait été le muezzin de la mosquée de Paris. « Devant l’impossibilité de faire quoi que ce soit en Algérie, rapporte Safia, ils ont écrit tous deux au ministre plénipotentiaire à Alger pour pouvoir émigrer ». Une fois installé, Mohamed Kouaci revint chercher sa femme et tous deux s’installèrent dans un petit studio rue du Cardinal Lemoine.

Pendant ses années parisiennes, Kouaci partageait son temps entre le travail à l’usine, la journée et les cours de photographie, le soir. Comme bon nombre d’étudiants, d’intellectuels ou d’artistes algériens immigrés, prolétarisés, il menait en effet pour subsister une vie ouvrière. Parmi d’autres petits métiers, il fut longtemps fraiseur sur métaux à l’usine de la Précision Moderne, dans le 15e arrondissement. Le soir, il étudiait la photographie dans une école privée. Il s’agit probablement de l’école de Vaugirard, lieu de formation réputé dont étaient issus la plupart des jeunes photographes dont l’armée française utilisait les compétences en Algérie, au sein de la section d’Alger du Service cinématographique des armées (SCA)[vi]. Passionné, Kouaci fréquentait les photo‑clubs où il côtoyait nombre de photographes français.

C’est d’ailleurs pour ses compétences photographiques que Mohamed Kouaci fut intégré à la délégation d’étudiants algériens organisée par l’UGEMA (Union générale des étudiants musulmans algériens) pour participer au festival mondial de la jeunesse à Moscou, en août 1957. Kouaci n’avait en effet jamais cessé de militer et, après le 1er novembre 1954, il évoluait dans les milieux que commençait à organiser la Fédération de France du FLN. Bien qu’ouvrier par la force des choses, c’est dans l’univers des étudiants algériens qu’il militait. Il les côtoyait notamment à la mosquée de Paris, dont son compagnon de migration était redevenu le muezzin et qui constituait un lieu de rencontres entre compatriotes. D’autres lieux de sociabilité accueillaient les militants : un certain nombre de cafés ou de restaurants parisiens, et bien sûr, le 115 boulevard Saint‑Michel (siège de l’association des étudiants algériens de Paris puis de l’UGEMA).

Avec la création de l’UGEMA en juillet 1955, Kouaci a trouvé un lieu idéal pour militer, entouré d’étudiants, d’intellectuels, de lettrés. Safia se souvient que leur petit appartement était devenu un lieu de rassemblement pour les gens de l’UGEMA. Il n’est donc pas étonnant que les époux Kouaci, même s’ils n’étaient pas étudiants, aient fait partie de l’aventure du festival de la jeunesse. La délégation, présidée par Mohamed Khemisti et Taleb Chaib, partie de Paris en train, gagna Moscou en traversant l’Allemagne et les pays de l’Est, acclamée à chaque arrêt. Sur place, l’enjeu était de taille : pour la première fois, une délégation algérienne était présente dans une grande manifestation internationale et le drapeau vert et blanc frappé du croissant et de l’étoile fut promené sur le stade, pendant le défilé de toutes les délégations.

En constituant le groupe, l’UGEMA avait recruté des danseurs, des musiciens, des chanteurs et des comédiens. À Moscou, cette petite bande se produisit dans un spectacle agencé par MustaphaKateb : une vaste fresque qui, mêlant danse, chant et théâtre, entendait transmettre l’histoire et la culture algériennes. Par la culture, qui devenait ainsi une arme dans le combat indépendantiste, les militants cherchaient à démontrer l’existence d’une Algérie qui n’était pas française, pacifiée, assimilée ou intégrée à la France. Pour Kouaci, le festival de Moscou fut l’occasion de mettre, pour la première fois, sa compétence photographique au service de l’organisation nationaliste. Il fut le reporter officiel du groupe et fixa sur ses pellicules tous les moments du séjour moscovite. S’il fallait absolument définir une origine, on pourrait dire que c’est à Moscou qu’il devint un photographe au service de la Révolution.

Le festival de la jeunesse de l’été 1957 constitue une date clé dans le destin des époux Kouaci. Acte militant d’envergure, il fut surtout une manifestation publique de leur appartenance au mouvement nationaliste et les exposa donc rapidement à un changement de vie. En effet, dès le retour à Paris, plusieurs membres de la délégation furent arrêtés, dont Khemisti, transféré à Alger. Comme bien d’autres, les époux Kouaci étaient désormais fichés par la police, leur appartement surveillé. Sortis de l’anonymat à Moscou, ils durent envisager de se retirer du circuit militant parisien et de passer dans la clandestinité. En janvier 1958, un décret du gouvernement français prononça la dissolution de l’UGEMA. La Fédération de France les convia à « prendre le maquis », c’est-à-dire à rejoindre les organisations du FLN à l’extérieur et organisa la filière de leur sortie de France. Pendant plusieurs mois, ils se tinrent prêts à partir et finirent par rejoindre Tunis, au printemps 1958, via l’Italie et la Sicile.

Là, ils furent d’abord intégrés à la troupe théâtrale du FLN, dirigée par Mustapha Kateb et qui regroupait un certain nombre des comédiens de l’ancienne troupe du MTLD, obligée de cesser toute activité à Alger en 1956[vii]. Les époux Kouaci participèrent à la mise sur pied de la troupe avant de partir avec elle dans une tournée qui les mena notamment en Lybie et en Yougoslavie. Kouaci était leur photographe, tandis que Safia, qui avait une formation de couturière, confectionnait les costumes et les  décors[viii]. À l’automne 1958, la troupe partit en Chine sans eux puisque Mohamed Kouaci venait d’être appelé au ministère de l’Information du Gouvernement provisoire de la république algérienne (GPRA), dont la création avait été proclamée le 19 septembre[ix].

Mohammed Saddek Moussaoui – dit “Mahieddine” dans la clandestinité – secrétaire général de la rédaction du journal El Moudjahid et responsable administratif du ministère se rappelle avoir repéré Kouaci alors qu’il exerçait son activité de photographe au service de la troupe artistique. Il l’a « débauché » pour l’amener au n°14 de la rue des Entrepreneurs, dans les locaux du ministère de l’Information, où il lui confia la direction d’un grand service photographique travaillant pour l’ensemble des ministères du GPRA. Recruté en tant que photographe, Mohamed Kouaci devint un permanent du ministère.

Il assura la renaissance du service photographique mis en sommeil après l’arrestation de son responsable, le photographe Ahmed Dahraoui, parti à l’été 1958 avec le cinéaste français Pierre Clément et un apprenti‑caméraman, Torki Zelloul, pour mener une mission de prises de vues photo et cinéma en territoire algérien. Les trois hommes avaient franchi la ligne Morice (barrage frontalier édifié en 1957 par l’armée française entre la Tunisie et l’Algérie) en août et progressèrent dans les maquis pendant deux mois, impressionnant un certain nombre de bobines qui étaient renvoyées en Tunisie à dos de mulet. En octobre, ils furent arrêtés par l’armée française aux confins de Bône et finirent la guerre en prison[x]. Rue des Entrepreneurs, dans les trois pièces en enfilade situées sur l’un des côtés du patio et attribuées à l’activité photographique, Mohamed Kouaci trouva à son arrivée les archives d’un service dont l’existence remontait à 1956 et dont l’activité, avant de se concentrer à Tunis, s’était développée à partir de plusieurs pôles.

Le Caire/Alger/Tétouan/Tunis : les pôles de la politique d’information du FLN

L’action médiatique s’était d’abord exercée depuis Le Caire où était installée dès 1954 la délégation extérieure du FLN, préoccupée d’élargir à la scène mondiale l’affrontement franco-algérien[xi]. L’ « internationalisation du problème algérien » figurait en effet parmi les objectifs formulés dans la Proclamation du 1er novembre 1954. Dès 1948, Hocine Aït Ahmed avait formulé cette stratégie dans un plan du PPA pour une insurrection générale : à cause de la trop grande différence des forces, le combat contre les Français ne pourrait se gagner par les armes, la bataille devrait aussi se mener à l’échelle internationale et sur le terrain médiatique. Puisque la puissance coloniale monopolisait les médias disponibles pour transmettre son interprétation du conflit en cours, l’enjeu était d’ouvrir des brèches dans cette forteresse médiatique en produisant et en diffusant soi‑même de l’information.

Tandis qu’Hocine Aït Ahmed, chargé des relations avec les Américains et de la préparation des sessions de l’ONU, installait à New York un bureau du FLN (The Algerian Office), Mohamed Khider assurait depuis Le Caire la direction générale de la diplomatie du FLN. S’appuyant sur des photographies et des documents collectés, notamment, par le député SFIO de Constantine -Mostefa Benbahmed- après la répression de l’insurrection nationaliste dans le Nord-Constantinois, le 20 août 1955, le bureau du Caire publia le 10 juin 1956, une brochure en arabe intitulée Les Atrocités du colonialisme français en Algérie : bilan circonstancié, par le texte et par l’image, des crimes commis par l’armée française non seulement dans le Constantinois mais aussi dans les Aurès, en Kabylie, à Alger et dans la région d’Oran[xii].

Parallèlement, à partir du printemps 1955, Abane Ramdane prenait en charge la question de l’information depuis Alger même. Cette action passa notamment par des campagnes de tracts, des contacts avec les milieux européens et la frange des médias occidentaux progressistes. En septembre 1955, il accorda ainsi une interview au journaliste français Robert Barrat et organisa pour ce dernier une rencontre au maquis avec le colonel Amar Ouamrane et ses hommes[xiii]. Abane constitua autour de lui une sorte de comité politique (Amar Ouzegane, Mohamed Lebjaoui, Benyoucef Benkhedda) au sein duquel il chargea Saad Dahlab des questions de presse, et notamment de coordonner la publication clandestine du journal El Moudjahid. Le premier numéro sortit en juin 1956. Le septième, en préparation au moment de la « bataille d’Alger », ne put jamais être ronéotypé, les matrices ayant été saisies par l’armée française.

Les maigres moyens à la disposition de cette équipe ne permettaient pas d’envisager utiliser la photographie pour les publications clandestines du FLN, mais Abane tenta malgré tout de donner une tribune à son mouvement dans la presse française. Profitant de la présence dans son réseau de Français prêts à mettre leur énergie, leurs idées et leurs contacts au service de la cause de l’indépendance algérienne, il confia notamment aux époux Chaulet, à l’automne 1956, une série de photographies prises après un ratissage de l’armée française dans la région de Chréa, à charge pour eux de les faire passer si possible à des journaux européens. Ces clichés ne parvinrent jamais aux médias, saisis par la police française lors de la première arrestation de Pierre Chaulet, en novembre 1956[xiv].

Tétouan, ville du Maroc espagnol, fut le troisième pôle de l’activité médiatique du FLN. Au printemps 1956, Mohamed Boudiaf y organisa le noyau d’un service d’information qui prit bientôt le relais de celui du Caire. Faisant le constat d’un espace médiatique totalement monopolisé par le discours des autorités françaises, Mohamed Boudiaf, qui faisait la navette entre le Maroc et Le Caire, mit sur pied à Tétouan le projet d’un journal, en arabe et en français. Le premier numéro de Résistance algérienne (édition B[xv]) parut le 5 juillet 1956 :  bien que réduit à quatre feuillets, moitié en arabe et moitié en français, il comprenait deux photographies, ornant respectivement la « une » en chaque langue[xvi].