Le siège de Paris par les troupes prussiennes, de septembre 1870 à janvier 1871, a plongé la capitale française dans un isolement quasi total. Coupée du reste du pays par les lignes ennemies, la ville se retrouva privée de tout moyen de communication terrestre et télégraphique. Face à cette situation critique, l'ingéniosité française donna naissance à une solution audacieuse, périlleuse et historiquement unique : les ballons montés, ou lettres ballons, marquant la véritable naissance de la poste aérienne.
Dès les premières semaines du siège, il devint vital de rétablir le contact avec la Délégation du Gouvernement de la Défense Nationale réfugiée à Tours, puis à Bordeaux. L'objectif était double : maintenir le moral des Parisiens assiégés en leur permettant de correspondre avec leurs proches en province, et surtout, permettre au gouvernement d'organiser la résistance et de coordonner l'effort de guerre. Le ciel devint le seul chemin possible.
L'administration des Postes, sous la direction d'Étienne Arago, mobilisa rapidement les aérostiers et les ateliers de fabrication de ballons. En moins de deux semaines, le premier ballon, Le Neptune, s'envolait le 23 septembre 1870.
Entre septembre 1870 et janvier 1871, 67 ballons quittèrent Paris, emportant avec eux une charge inestimable : environ 2,5 à 3 millions de lettres (dites « ballons montés ») et des dépêches officielles.
Pour optimiser la capacité de charge des ballons, la poste imposa des règles strictes. Les courriers devaient être rédigés sur du papier pelure extrêmement fin, pliés sans enveloppe et ne pas dépasser un poids minimal.
L'enveloppe et le contenu de cette lettre sont un témoignage éloquent de la période :
L'enveloppe porte clairement l'indication manuscrite « Par Ballon Monté », preuve que le destinataire savait exactement par quel moyen ce courrier parvenait à percer l'encerclement prussien. Elle est affranchie avec le timbre à l'effigie de Cérès (20 centimes, couleur bleue) de la République Française et présente un cachet à date de Paris - Montmartre, indiquant le bureau de poste d'origine.
Datée de La Chapelle, le 5 9bre 1870 (5 novembre), la lettre est adressée à « Ma chère Aimée ». Elle révèle l'espoir et l'incertitude qui régnaient dans la capitale assiégée : l'auteur exprime l'espoir de « bientôt pouvoir recevoir de tes lettres » et mentionne la rumeur d'un « armistice » de 25 jours qui permettrait aux lettres d'entrer et de sortir librement, illustrant l'importance cruciale d'une reprise des communications bidirectionnelles.
L'auteur évoque aussi « la petite échauffourée du 31 9bre » (le soulèvement du 31 octobre contre le Gouvernement de la Défense Nationale suite à la nouvelle de la capitulation de Metz), montrant que malgré le siège, la vie politique et les tensions internes persistaient et étaient des sujets de préoccupation.
Les ballons servaient également à exfiltrer des personnes clés. Le plus célèbre passager fut sans doute Léon Gambetta, ministre de l'Intérieur et de la Guerre, qui s'envola le 7 octobre 1870 à bord de L'Armand-Barbès pour rejoindre la Province et relancer l'organisation des armées françaises.
Si les ballons permettaient de faire sortir le courrier, le problème du retour de l'information demeurait. La solution vint des pigeons voyageurs. Embarqués dans les nacelles lors du départ de Paris, ils étaient ensuite lâchés en zone libre. Leur rôle était de rapporter les réponses et les nouvelles de la Province.
Pour maximiser l'information transportée, les dépêches étaient photographiées et réduites sur de minces pellicules de collodion, appelées microphotographies ou poches de pellicule. Un seul pigeon pouvait ainsi transporter jusqu'à 40 000 messages compressés, qui étaient ensuite projetés et transcrits à Paris. Ce procédé avant-gardiste, mis au point par le photographe René Dagron, constitue une prouesse technique de l'époque.
Chaque départ était un acte de bravoure. Les ballons étaient souvent pris pour cible par les Prussiens, qui avaient même développé des canons spécifiquement pour tenter de les abattre. L'atterrissage était tout aussi aléatoire, dépendant entièrement des vents dominants. Alors que la majorité réussissait à se poser en zone française libre, quelques-uns échouèrent en territoire ennemi (cinq furent capturés) ou furent poussés vers le large, comme Le Ville d'Orléans qui se posa en Norvège, battant un record de distance.
Les lettres ballons sont bien plus qu'une anecdote historique. Elles témoignent de la résilience d'une nation en guerre, de la puissance de l'innovation face à l'urgence, et de l'attachement indéfectible des hommes à la communication. Elles sont un chapitre émouvant et fondateur dans l'histoire des postes et de l'aéronautique, un pont ténu mais vital entre l'espérance parisienne et le reste du monde.