Stratégie

Jouer La Stratégie Lépante (et survivre pour raconter)

Une étude en détail de l'alliance Italie - Autriche pour dominer la carte. 

Publié sur Frog, Auteur : Tony Swinnerton Traducteur : Fabien Marco Mise en Page : Ernst Niedermoser

Remarques Préliminaires

Notes du traducteur :

Lépante : port de Grèce ; 7 octobre 1571, victoire navale sur la Turquie des flottes coalisées des Habsbourgs (Autriche, Espagne, Belgique, Milan et Naples), de la République de Venise et du Pape commandées par Don Juan d'Autriche. 30.000 morts.

Introduction

Il y a peu d'alliances qui paraissent aussi évidentes que le mariage austro-italien.

Les raisons les plus évidentes de cela sont la proximité de ces deux pays et leur vulnérabilité initiale face aux puissances plus en sécurité du point de vue tactique. De même, la plupart des joueurs suffisamment expérimentés et habiles confirmeront que, lorsque les puissances des coins et du bord du plateau (Angleterre, France, Russie, Turquie) sont compétents, il est honnêtement suicidaire pour les puissances centrales de s'engager dans une bagarre prématurée. Les puissances voisines sont habituellement irrésistiblement tentées par la richesse en arsenaux des régions centrales, une fois qu'elles ont constaté que les noirs, les rouges et les verts ont dégarnis leurs arrières, trop occupés à s'entr'égorger.

Ce n'est pas que je veuille dire que l'unique stratégie possible pour les joueurs autrichiens et italiens soit de convoler en justes noces, de toute façon conditionnelles, et je m'attends à, selon toute probabilité, un coup de Jarnac lors d'une phase d'automne de milieu de partie.

Mais au début, je suis très préoccupé par le problème de l'alliance austro-italienne. Si je joue l'un de ces pays, je tente activement de l'obtenir ; quand je joue des pays voisins, je m'y attends.

C'est là qu'est le problème. Justement parce que tout le monde s'attends à la même chose. Comme il est difficile de feindre la méfiance à l'égard de votre allié vis-à-vis des joueurs turc, russe ou français alors que vos décisions tactiques montrent de manière éclatante que vous coopérez. Et puis l'ouverture conventionnelle austro-italienne entraîne clairement des réactions, est peu favorable à l'action et peut facilement dégénérer en un match nul, ou bien évoluer lentement vers un désastre.

Comme toujours, un usage avisé de la ruse est la clé du succès dans cette affaire. En ce qui concerne les ouvertures, ce n'est nulle part aussi vrai que pour la Stratégie Lépante. C'est clairement une course sur le fil du rasoir, sans aucun souci de prudence. Si vous la réussissez, vous serez un gros poisson parmi les joueurs. Si vous échouez, vous êtes un homme mort, et ça ira vite. Je l'ai jouée quatre fois, et ça a marché deux fois. La première fois, j'ai terminé avec 16 arsenaux pour l'Autriche, la seconde fois, 14 arsenaux pour l'Italie. Après les deux échecs, il ne me restait qu'une unité. Ca passe ou ça casse.

Et peut-être vous demandez-vous, comment ça marche ? Tout commence avec les négociations…

Si on joue l'Autriche…

Vous allez jouer le rôle le plus important. Vous devez poursuivre des négociations " en profondeur " avec les autres joueurs. Ce ne sera pas suffisant de discuter avec l'Angleterre, la France et l'Allemagne en les câlinant avec des : " Eh bien, au début nous n'avons pas d'intérêt important en commun, mais restons en contact ". Alors là, vous n'y êtes pas du tout. Vous devez influencer leurs actes. Idéalement, l'Angleterre devrait au moins se méfier de la Russie et tourner ses forces vers l'Est. Une guerre acharnée entre l'Angleterre et la Russie n'est pas bonne non plus, car sinon la Russie s'effondre trop rapidement et les Rosbifs [sic, NDT] ont une longueur d'avance sur vous concernant les annexions. L'astuce, c'est la zizanie à l'Ouest. Une guerre entre l'Allemagne et la France est très souhaitable (sans soutien anglais important pour aucun camp) ; sûr qu'ils ne peuvent intervenir à l'Est s'ils se battent comme des chiffonniers le long de la Ligne Maginot.

Les accords que vous passerez avec vos deux cibles sont critiques. Le Russe goûtera pour la première fois de votre acier au printemps 1901. Il faut que vous inquiétiez les Russes au sujet des autres pays. Il est vital de les convaincre d'aller en Mer Noire au printemps 1901. Vous discuterez probablement plus que n'importe qui avec les Russes pendant la première période, alors soyez prêts à revenir sans cesse à la charge, et surveillez avec qui ils parlent et pendant combien de temps. Mettez-vous d'accord pour neutraliser la Galicie, signez une alliance (fausse en ce qui vous concerne, bien sûr). Promettez un soutien à la Roumanie pour l'Automne, incitez les à penser que la Turquie est sûr le point de les avoir. Dites-leur que vous avez des doutes en ce qui concerne l'Italie et que vous pensez qu'ils n'ont franchement pas envie de combattre la France. C'est pas mal non plus de les convaincre de faire MOS - STP. Dites-leur n'importe quoi ! Simplement, mettez-les de votre côté.

La Turquie est la prochaine manche pour vous. Discutez avec la Turquie juste avant la fin des négociations. Ne leur laissez pas le temps de réfléchir et de vérifier les rumeurs. Une petite panique est susceptible d'avoir beaucoup d'effet sur lui, en particulier pendant la période tendue au cours de laquelle on lit les ordres et on s'attend à la première trahison. Les mouvements initiaux de la Turquie n'ont pas une influence décisive. Après tout, s'ils ne vont pas en Mer Noire et que la Russie y va, vous pouvez toujours jouer sur le " Je vous l'avais bien dit ". Votre offre initiale d'alliance à la Turquie rencontrera sans doute un accueil mitigé de leur part, et ils penseront " C'est ça mon pote, t'es un putain de baratineur " [sic, NDT]. C'est ce qu'il faut. Vos mouvements du printemps 1901 les feront vite changer de comportement. Evidemment, si ni la Russie, ni la Turquie ne vont en Mer Noire, vous vous êtes probablement fait baiser [sic, NDT].

Le temps que vous passez à discuter avec l'Italie est un facteur vital. Il faut qu'il soit le plus court possible ! Si on vous voit en train de parler à la Russie, puis à l'Italie, puis à la Turquie, puis à l'Italie, puis à l'Allemagne, puis à l'Italie - ils vont capter et ça ne marchera pas. Faites juste savoir à l'Italie que la Stratégie d'Ouverture fonctionne, quels seront les mouvements, et qu'ils doivent rendre crédible votre histoire auprès des Turcs et des Russes. C'est-à-dire : Non l'Italie ne trahira pas l'Autriche (trop dangereux pour moi et la Russie/la Turquie récupérera l'essentiel des gains), oui l'Italie a peur de la France et va garder un œil sur les français, oui la Russie est en guerre avec la Turquie (lorsque vous discutez avec la Turquie et vice versa pour les Russes). La diplomatie italienne joue un rôle clé pour faire naître le soupçon entre tous les autres joueurs juste avant les déplacements.

Si on joue l'Italie…

D'accord, donc vous jouez les seconds couteaux pour l'instant. Mais ça ne va pas durer. Tenez avec l'Autriche, parce que vous avez beaucoup moins à perdre. Ceci étant dit, si vous la baisez [sic, NDT], vous êtes probablement morts tous les deux, et votre pauvre carcasse d'Italien sera balayée par la folle ruée des forces françaises et turques, qui ne s'arrêteront que lorsqu'elles se rencontreront.

Secondez la diplomatie autrichienne, mais en secret. Quand on vous interroge sur l'Autriche, dites que vous ne savez pas ce qu'ils pensent. Vous ne leur avez pas parlé tant que ça, et de toute façon, pourquoi est-ce que vous ne devriez penser qu'à eux, c'est l'Italie que vous jouez et c'est pour les intérêts italiens que vous êtes venu (au moins, c'est ce que vous dites). Si vous arrivez à faire en sorte que tout le monde ignore ce qui se passe vraiment, vous allez les surprendre vachement au printemps 1901.

Allez, retroussez vos manches, vous n'avez fait que la première partie du travail.

Les ordres du Printemps 1901

Autriche

A Vienne - Galicie

A Budapest - Roumanie

F Trieste - Albanie

Russie (dans le meilleur des cas) 

F Sébastopol - Mer Noire (bloquée)

F St-Pétersbourg - Golfe de Bothnie

A Moscou - St-Pétersbourg

A Varsovie - Ukraine

Italie

F Naples - Mer Ionienne

A Venise - Trieste

A Rome - Venise

Turquie (dans le meilleur des cas)

F Ankara - Mer Noire (bloquée)

A Constantinople - Bulgarie

A Smyrne - Arménie

Remarque : lorsque nous disons "dans le meilleur des cas", bien entendu le meilleur des cas en ce qui concerne la Turquie et la Russie, ce serait qu'ils ne fassent rien ; mais laissons leur une petite marge eh ? Après tout c'est leur enterrement. Je suis également d'accord sur le fait qu'on pourrait attendre un peu mieux des mouvements de la Russie [c'est-à-dire A MOS - SEV (bloquée) et A WAR - LVN ou SIL - mais sérieusement, qui à la place des Russes ferait A WAR - SIL au printemps 1901 ? Et il est très improbable qu'ils convoient l'armée de Livonie en Suède à l'automne].

C'est à ce moment que quelques diplomates se mettent à gueuler. Ceux qui gueulent le plus fort devraient être la Russie et l'Autriche, à ceci près que le Russe est le seul de bonne foi. "Putain de connard d'Italien, dites vous, j'ai deux mots à te dire", et arrangez-vous pour que les "deux mots" durent sacrément longtemps. Après tout, la première personne à qui vous voulez généralement parler après des mouvements, c'est celle qui vous a trahi, c'est une partie importante de la pièce que vous jouez. Il ne faut pas que le temps que vous passez ensemble soit trop court, vous pourriez être soupçonnés de jouer la comédie, il faut qu'il soit juste suffisant pour avoir l'air sincère. Ensuite, demandez à voir le Russe - ensuite, ne vous souciez pas du Turc, vos ordres parlent d'eux-mêmes à ce moment de la partie - le Sultan va penser, "Ah, l'Autrichien avait raison ! La Russie a marché contre moi, et c'est bien ça il dirige ses forces contre la Russie, apparemment, je peux lui faire confiance".

Donc la Russie sera furax. Vous avez deux possibilités. Vous pouvez dire "eh oui, c'est Diplomacy, mon pote, et je vais te pêter la gueule maintenant, salut", ça vous économise du temps, vous n'aurez plus à discuter à nouveau avec le Russe pendant cette phase. Ou bien vous pouvez choisir l'option "j'ai fait une terrible erreur". Vous avez été victime d'entreprises de désinformation à la dernière minute et vous avez changé vos ordres - ça c'est bien vous - vous ne vous êtes pas rendu compte que vous présentiez un flanc mort à l'Italien - ce petit merdeux ! - y-at-'il moyen de réparer ?" Probablement que non. Vous pouvez être sûr que le Russe contre-attaquera ou se défendra immédiatement. C'est à vous de décider ce qu'il faut faire compte tenu des ordres qu'il a donné et du degré de réussite du reste de votre diplomatie - ne négligez pas l'Ouest, ce qui se passe là-bas est important. S'il y a une alliance solide entre l'Angleterre, la France et l'Allemagne, vous êtes mal. Ca se peut que vous soyez obligé de renoncer au plan pour l'instant. Ca signifie que vous n'avez pas bien fait vos devoirs et appris vos leçons.

L'élément fondamental, c'est la Turquie. C'est maintenant le moment où le sultan se prend la trahison magistrale. Si vous avez gagné sa confiance avec votre ouverture audacieuse, il ne la verra pas venir, et il se peut que l'énorme coup du sort qui va s'abattre sur lui, pour l'instant sûr de lui, soit suffisant pour le démoraliser et hâter son départ (ben oui, c'est un jeu cruel, mais quoi, les affaires sont les affaires). Vous devez convaincre le Turc que l'alliance entre vos pays l'emporte sur tout, après tout, il s'est révélé que c'était la seule alliance solide à l'Est. Ce lâche de Russe et ce traître d'Italien vous sont rentrés dedans à tous les deux, et il faut les punir. Vous êtes exaspéré par Il Duce (oui, je sais, c'est un anachronisme de la Seconde Guerre Mondiale), que vous êtes prêt à soutenir une grande expédition turque à travers la Méditerranée. Après tout, maintenant que vous avez perdu au moins un arsenal national, vous êtes probablement un homme mort. Vous n'allez pas abandonner l'attaque contre la Russie, après tout, il faut s'occuper des deux ennemis. Vous avez besoin l'un de l'autre et c'est le moment de soutenir activement les unités l'un de l'autre. Si vous pensez que vous les avez vraiment entubés à fond et qu'on peut faire confiance au Turc, insistez pour que l'armée turque de Bulgarie soutienne votre armée de Roumanie qui reste sur place. Comme cela on sera sûr que l'arsenal ne tombe pas aux main des Russes - ce qui est vital pour vous deux, pas vrai ? -- et l'unité turque aura quelque chose à faire. Obtenez également son accord pour que l'armée d'Arménie attaque Sébastopol et promettez le soutien de l'armée de Roumanie (vous ne le faites pas, bien sûr). S'il y a une armée russe en Ukraine, il se peut que vous ayez besoin du soutien turc, mais de grâce interdisez aux Turcs de prendre accidentellement Sébastopol. Faites en sorte que le Russe soit parfaitement au courant de ce que vont faire les unités turques (organisez une " fuite " à l'aide de l'Italie ou d'une puissance occidentale) de manière à ce que cela n'arrive pas.

N'oubliez pas l'Ouest. Les évènements de là-bas ont une importance vitale. Si un pays semble expérimenté et qu'il est probable qu'il se prenne une raclée, offrez-lui une aide tactique. Encadrez-les. Si vous voyez les prémices d'une ouverture " Otarie " [Sealion, NDT], avertissez l'Angleterre et montrez-lui comment la contrecarrer. Essayez énergiquement, avec l'aide de l'Italie, de maintenir l'équilibre à l'Ouest. Souvenez-vous de l'influence majeure d'une présence anglaise au nord de la Russie. Vous obligerez le Ruskof à faire la guerre à des ennemis le long de trois frontières.

Si vous jouez l'Italie, vous pouvez essayer ici quelque chose de très raffiné, si vous le désirez. Faites croire à tout le monde que vous êtes un idiot. Les Occidentaux vous poseront probablement des questions telles que, " Pourquoi diable as-tu fait ça ? Est-ce que tu veux lâcher sur nous tous un rouleau compresseur (alliance classique Russie-Turquie) ? ". Vous pouvez dire quelque chose comme " Oh, c'est pas bon ? Oh, désolé ". Dites à la Russie que vous avez fait une terrible erreur, lors des prochains mouvements vous ferez A TRI-TYR, et A VIE-PIE. Vous êtes sûr que l'Allemagne et la France vont vous attaquer. Dites la même chose à la Turquie. Soyez prêt à vous " laisser persuader " par les Russes et les Turcs d'agir autrement. Faites leur croire que vous ne savez pas ce que vous faites, qu'on ne peut pas vous faire confiance et que vous pourriez faire n'importe quoi. Soyez désordonnés. Tenez l'Autriche au courant.

Et maintenant une information vitale. Il se peut qu'un Turc opportuniste (mais franchement, qui n'est pas opportuniste dans ce jeu ? !) vienne à penser que la Serbie ne sera pas occupé lors des ordres de l'automne 1901, et qu'il a l'occasion de s'en emparer sans risque. Autrichien, vous devez absolument empêcher une telle initiative. S'il la tente, tout est raté, comme vous le verrez. Promettez au Turc pour plus tard tout ce qu'il voudra, afin qu'il donne les ordres que vous souhaitez. Tout ce que je peux vous dire, c'est que la personnalité du Turc aura une grande influence sur le résultat.

Maintenant, il est temps d'apparaître au grand jour…

Les ordres de l'Automne 1901

Autriche

F Albanie - Grèce

A Galicie - Ukraine

A Roumanie S A Galicie - Ukraine

Autre possibilité : A Galicie - Varsovie, A Roumanie S A (italienne) Trieste - Serbie (soutien coupé)

Italie

A Trieste - Serbie

A Venise - Apulie

F Mer Ionienne - Mer Egée

Autre possibilité : A Venise - Piémont ou Tyrol

Russie (probablement)

F Golfe de Bothnie - Suède

A St-Pétersbourg - Moscou

A Ukraine - Roumanie (échoue et est délogée)

F Sébastopol S A Ukraine - Roumanie

Turquie (au mieux)

F Ankara - Mer Noire

A Arménie - Sébastopol

A Bulgarie S A (autrichienne) Roumanie

Vlan ! Dans tous les regards autour du plateau, il devrait y avoir " On s'est fait avoir ! " Et c'est le cas. La turquie est sur le point d'être massacrée, l'avenir de la Russie est très compromis et les Austro-Italiens sont bien placer pour mener dès le début.

Il se peut que le joueur russe soit plus prudent que ce que j'ai suggéré pour les ordres de l'automne 1901. Certains joueurs couvriront finalement Varsovie, ou Sébastopol (avec soutien). Je veux dire par là que le Russe en a vraiment ras le cul de l'Autriche et va lui faire un sale coup.

Voilà, maintenant tout est en place. Vous avez un net avantage et c'est le moment de l'exploiter. Souvenez-vous, très peu de gens vous feront confiance pendant un certain temps, donc vos ordres seront plus tactiques que diplomatiques pendant quelque temps, mais ça roule. Tôt ou tard, il faudra qu'il y ait de la viande froide dans votre joli duo pour que l'un d'entre vous s'assure la victoire, mais c'est le moment le plus amusant.

Pour ceux d'entre vous qui pensent que dans cette stratégie il y a des risques évidents, vous avez raison. Il y en a partout, et vous marchez sur une corde raide et fragile en agissant, en persuadant et en mentant de cette manière, mais encore une fois, c'est en réussissant ce genre de coup que l'on s'amuse le plus.