Stratégie

Le Gambit du Jütland

Le Gambit du Jütland

Rédigé par Edi Birsan, traduit et complété par Guillaume Agostini

Publié sur 18centres le dimanche 27 octobre 2002, par Guillaume Agostini

La clef de voûte de la politique étrangère allemande ne devrait pas se cristalliser autour du gain de la Belgique, de la Hollande et du Danemark dans la première année de jeu. L’Allemagne doit prendre plus de recul par rapport à ces centres et doit rechercher leur gain dans les années qui suivent 1901. Bien plus que n’importe quel autre pays, la destruction d’une Allemagne qui commence une partie avec 3 constructions est une question d’années. En construisant 3 unités de plus la première année, l’Allemagne attire beaucoup trop d’attention et disperse les forces allemandes, ce qui l’oblige à jouer défensivement en 1902. Il est à noter que ces trois centres bordent la Mer du Nord. Ainsi, une seule flotte anglaise immobilise un nombre absolument énorme d’unités allemandes.

Le but de l’Allemagne devrait être d’assurer une expansion continue plutôt qu’une force immédiate. Selon cette ligne de conduite, l’Allemagne devrait position ses unités de façon à permettre un flux continu de mouvements offensifs depuis le début de 1901 et pour une bonne part du début de la partie. Cela ne peut évidemment pas être accompli avec une ligne de défense tout du long de la Mer du Nord. En considérant ses 3 ennemis les plus probables - la France, l’Angleterre et la Russie - l’Allemagne peut assurer une position plus intéressante contre l’Angleterre et la Russie que contre la France. En parlant de plus intéressante, on entend une position qui apporte rapidement des possibilités d’expansion et qui permette un plus grand degré de flexibilité diplomatique. Avec un jeu tourné vers le Nord, l’Allemagne joue ces coups-ci pour le Printemps 1901 :

Flotte Kiel —> Danemark, Armée Munich —> Ruhr, Armée Berlin —> Kiel

En apparence, cette ouverture ressemble à une ouverture allemande classique, mais en fait, il s’agit d’un tremplin pour des mouvements plus intéressants vers le Nord. Cette ouverture classique permet en outre à l’Allemagne de gagner du temps et de se rendre compte qu’un événement totalement imprévu se déroule comme un invasion russe en Silésie ou un combat en Manche. Dans le même temps, l’Allemagne peut toujours continuer de négocier avec la Russie et l’Angleterre, et ainsi de prendre la température sans s’être soi-même découvert.

Si la France n’est pas agressive et que le climat diplomatique est approprié, l’Allemagne peut jouer un gambit en sacrifiant une 3ème construction potentielle pour une meilleure position au Nord, en jouant :

Flotte Danemark —> Skagerrak, Armée Kiel —> Danemark, Armée Ruhr —> Hollande

L’Allemagne gagne ainsi une position forte au Nord. Elle peut évincer la présence russe ou au contraire la sécuriser, tout en conservant assez d’unités pour se sécuriser face à une trahison. Il y a en outre la possibilité d’annoncer le mouvement vers le Skagerrak à l’Angleterre et à la Russie, en affirmant que c’est à chaque fois contre l’autre que cette manœuvre est destinée. Dès lors, chacun peut voir ce mouvement comme étant effectivement dirigé vers l’autre. Le réarmement logique se base sur une flotte à Kiel et une armée à Munich, ce qui ne permet toujours pas de percer à jour les intentions réelles du Haut Commandement allemand et apporte encore plus de temps pour prendre la température diplomatique autour de la table avant qu’une offensive ne donne finalement le la germanique.

Au Printemps 1902, L’Allemagne peut entrer en conflit avec l’Angleterre ou la Russie et ce avec de bonnes chances de réussites. Il est à noter qu’il n’est pas possible, au travers des mouvements ou des réarmements allemands de connaître ses intentions réelles avant Printemps 1902, car les mouvements laissent encore beaucoup de flexibilité dans les décisions ultérieures. Il est bien sûr possible pour l’Angleterre de ne pas accepter une percée allemande en Skagerrak.

L’Allemagne, si elle soupçonne que l’Angleterre voudrait tenter un stand-off en Skagerak avec sa flotte de Mer du Nord, peut alors tenter une variation intéressante de ce gambit et de parier sur une position plus forte et moins de flexibilité ultérieure en attaquant la Mer du Nord. Avec une flotte anglaise attaquant Skagerrak, la flotte allemande prend position en Mer du Nord et casse la cohésion anglaise. L’avancée des unités anglaises en Skagerrak et en Norvège peut alors être un atout diplomatique pour rallier la Russie aux ambitions allemandes, ambitions déjà pleinement anti-anglaises par la position prise en Mer du Nord. Les possibilités diplomatiques deviennent alléchantes. Ainsi, l’Allemagne peut, en repoussant à plus tard son avarice et en jouant le gambit du Jütland, assurer une position majeure pour projeter et prolonger l’expansion allemande dans les premiers tours de jeu.

Addendum

Dans un système de classement dit " de nulles " (en anglais draws), il peut être très intéressant de foudroyé un adversaire dès la première année de jeu. C’est pourquoi dans cet article, écrit pour justement des joueurs de nulles, la possibilité d’entrer en Mer du Nord dès Hiver 1901 passe pour un tour de force vivement recommandé. Dans un cadre de C-Diplo, si l’avantage tactique reste évident, la position stratégique est plus inconfortable. Les autres joueurs sont en effet plus sensibles à des stratégies de longue portée visant le plus fort des joueurs et à freiner son expansion qu’à s’allier avec lui dans l’espoir d’être son second en fin de partie et de partager les gains. L’éventualité de provoquer le joueur anglais à attaquer Skagerrak pour prendre la Mer du Nord est alors essentiellement une question de tempérament.

Par contre, le gambit de Jütland garde toute sa saveur s’il est joué en surprise, mettant la Russie et l’Angleterre devant le fait accompli dans une position d’égalité dans les négociations. En effet, de nombreuses parties voient l’essentiel de l’activité militaire en Scandinavie orbiter autour des unités anglaises et russes, l’Allemagne jouant le rôle d’arbitre opportuniste. Ceci tient essentiellement au fait qu’au Printemps 1902, la Russie et l’Angleterre ont chacune régulièrement 2 unités au contact de la Scandinavie et l’Allemagne uniquement une. Avec 2 unités dans la bataille, l’Allemagne à de quoi soutenir une politique tournée vers le Nord, la plupart du temps en réclamant la Suède quel que soit son partenaire, mais aussi en soufflant le chaud et le froid et en maintenant les deux adversaires à distance et se faisant, gagner du temps pour d’autres activités, notamment diplomatiques.