Stratégie

De l'importance de la Suprématie Maritime

De l'importance de la suprématie maritime

Publié sur 18centres le mercredi 23 juin 2004, Écrit par Steve Jones, Traduit par Frédéric Grut

Au fil des années, de nombreux articles de qualité ont été écrits sur les tactiques et stratégies de Diplomacy, couvrant tout le spectre d'une partie, des ouvertures aux lignes de blocage. Mais malgré cette abondance, il me semble que personne n'a jamais traité de l'influence globale de la puissance maritime sur l'issue du jeu. C'est à mon sens l'un des facteurs clefs de toute partie de Diplomacy. Pourtant, le contrôle des océans est très souvent négligé par beaucoup de joueurs.

D'un point de vue géopolitique, le plateau de Diplomacy représente en gros une péninsule entourée d'eau. Ces océans peuvent être divisés en 4 régions :

 1. Atlantique : BAR, GRO, NRD, SKA, HEL, MAN, STG, ISL et ATL.

 2. Méditerranée : MED, LIO, TYR, ION, ADR, EGE et LEV.

 3. Baltique : BAL et BOT.

 4. Mer Noire : NOI.

Dans le contexte du jeu, je définirais la puissance maritime comme le contrôle des espaces marins et l'usage de ce contrôle au bénéfice de la stratégie globale d'une puissance. Les bénéfices sont décuplés si un joueur parvient à prendre le contrôle total d'une région en détruisant toutes les flottes ennemies qui y voguaient ou en les rendant impuissantes en les enfermant sur un territoire côtier ou dans un espace maritime clos (ex : HEL).

Une fois la suprématie totale ou même partielle atteinte, deux avantages immédiats se présentent :

 1) La possibilité de maximiser l'efficacité de vos ressources

 2) La possibilité d'un déploiement rapide et flexible de vos armées grâce au convoyage.

La suprématie maritime permet à une puissance d'augmenter l'efficacité de ses ressources par différents moyens.

 Premièrement, moins de pièces sont nécessaires pour protéger ou faire régner l'ordre dans les régions les plus calmes de votre empire. Cela permet à son tour de libérer des ressources pour les concentrer dans des zones plus actives et organiser un mouvement d'attaque. Prenons comme exemple la France, et imaginons qu'elle vient de terminer sa conquête de l'Angleterre avec des flottes en ATL, MAN, NRD, GRO et Edi, et des armées en Bel, Pic, Bou et Lon. Si l'Italie est neutre, les armées de Bel et Pic et la flotte de ATL peuvent être assignées pour défendre la France et la péninsule ibérique, ce qui laisse 6 unités actives pour maintenir l'élan offensif vers l'est.

 Deuxièmement, le contrôle des mers permet généralement la puissance concernée de mener des opérations offensives avec de bonnes chances de succès, alors que ces attaques seraient vouées à l'échec en l'absence de suprématie navale. Considérons un joueur autrichien qui a réussi à conquérir la Turquie et l'Italie et qui a des flottes en LIO, MED, NAf et TYR, ainsi qu'une armée en Pie. Une telle position offre à l'Autriche une excellente opportunité de pénétrer en France et dans la zone Atlantique. Sans la suprématie en Méditerranée, l'Autriche n'aurait quasiment aucune chance d'entrer en France.

Le convoyage offre une grande flexibilité stratégique à la puissance qui possède la suprématie maritime. Le joueur anglais qui règne sur l'Atlantique et la mer du nord a la capacité de convoyer des armées en France, en péninsule ibérique, aux Pays-Bas et en Belgique, en Scandinavie et à St Petersbourg. L'avantage stratégique est évident : il est ainsi possible à une unité de passer très rapidement d'un front à l'autre. En outre, la flotte peut également rapidement servir de soutien à l'armée qu'elle vient de convoyer. Mais le plus gros avantage du convoyage est certainement l'effet de surprise qu'il réserve. Un exemple classique de ce postulat est le convoyage d'une armée de Kie à Lit par le biais d'une flotte en BAL, suivi d'une possibilité d'attaque sur Mos. Effectué dans les bonnes conditions, ce mouvement peut s'avérer fatal. La première fois que j'ai assisté à sa mise en ouvre, la Russie n'est jamais parvenue à s'en relever. Un exemple moins surprenant mais tout aussi classique est le convoyage d'une armée de Nap en Arm par le biais de flottes en ION et LEV qui, s'il est couronné de succès, peut détruire la solide position défensive turque. Mais son utilisation quasi systématique dans l'ouverture Lépante lui a fait perdre son élément de surprise, et tout joueur turc un tant soit peu avisé se tient désormais sur ses gardes.

Comment parler de l'influence de la suprématie navale dans Diplomacy sans évoquer les régions maritimes les plus importantes au point stratégique ? Sans aucun doute, NRD se place en tête de ce palmarès. Accessible depuis 6 centres de ravitaillement, un territoire neutre et 4 territoires marins, NRD est la clef du contrôle de l'Angleterre et de la région atlantique. Si l'Angleterre perd le contrôle de NRD, elle voit fondre, si ce n'est disparaître, ses chances de survie. A l'opposé, toute autre puissance qui parvient à prendre et à conserver le contrôle de NRD se positionne comme un candidat très sérieux à la victoire finale.

Deuxième au classement, on trouve ION. Même s'il ne borde que deux centres de ravitaillement, la possession de ce territoire est crucial pour le contrôle de l'Italie et du centre de la Méditerranée. Le joueur italien qui perd le contrôle de ION s'expose à de sérieux ennuis, et la Turquie doit à tout prix se l'approprier si elle compte aller au solo.

Pour compléter le podium, ATL semble le choix le plus évident, à cause de son emplacement sur la ligne de blocage qui court du nord-est au sud-est de la carte. C'est pourquoi le joueur qui cherche à établir une ligne de blocage devra occuper ATL et ne pas en être délogé. De même, la puissance qui veut couper la ligne de blocage, en particulier à partir de l'est, devra elle aussi s'en emparer.

Ensuite, NOI et BAL arrive à peu près à égalité au classement. Tout dépend en fait de la situation stratégique de la partie en cours. L'importance de NOI, si l'on met de côté sa signification dans les relations Russo-Turques d'ouverture, tient au concept de la Flotte Stratégique Solitaire. Cette situation peut survenir à n'importe quel endroit de la carte où une puissance A se retrouve avec une flotte dans un espace maritime touchant plusieurs centres de ravitaillement, et que la majorité ou la totalité de ces centres sont contrôlés par une autre puissance B . Dans ce cas, la simple présence de la flotte en NOI est une grande diversion stratégique pour la puissance B, avec un effet disproportionné par rapport à sa taille. La puissance B va devoir mobiliser un nombre conséquent d'unités à la défense des centres de ravitaillement côtiers jouxtant NOI, alors que ces unités auraient pu être utilisées à d'autres tâches. Cela peut même permettre à la puissance A ou à ses alliés d'enfoncer la défense de B, car ce dernier n'a tout simplement pas assez d'unités pour tout couvrir. Bien entendu, cet exemple pousse à son paroxysme la valeur stratégique de la flotte en NOI, mais j'espère qu'il servira à mettre en valeur la valeur de la position F(NOI), qui ne doit jamais être sous-estimée.

J'aimerais terminer cet article par une réflexion sur la suprématie maritime en fin de partie. Elle peut alors devenir une arme à double tranchant, c'est à dire qu'elle peut être utilisée pour transformer un draw en victoire, ou bien pour empêcher un autre joueur d'aller au solo. Le facteur stratégique le plus important en ce qui concerne la suprématie maritime, dans le cas d'une tentative de victoire, est sa capacité à faire sauter les lignes de blocage. La possession de flottes à l'endroit adéquat permet de se sortir de situations à priori inextricables, comme par exemple le carrefour de Pie. Si vous possédez des flottes dans l'ouest de la Méditerranée, vous avez alors la possibilité de franchir cette barrière inviolable autrement.

Mais le meilleur moyen de bien évaluer l'importance de la suprématie maritime est de simuler des situations de victoire pour chaque pays.

Autriche : Si l'Autriche peut gagner sans trop de flottes, il ne fait aucun doute que la suprématie en Méditerranée ne fait qu'augmenter ses chances de victoire finale.

Angleterre : Voici un pays pour lequel la maîtrise des océans est vitale dans l'optique d'une victoire. A moins que le joueur anglais n'ait la chance de pouvoir placer un grand nombre d'armées en Europe Centrale assez tôt dans la partie, toute victoire anglaise passera par le déploiement de flottes en Méditerranée et le contrôle de sa moitié ouest.

France : Quasiment toutes les victoires françaises nécessitent la suprématie de l'Atlantique ou de la Méditerranée, voire des deux.

Allemagne : Tout comme l'Autriche, l'Allemagne peut se passer d'une marine puissante pour gagner. Mais la maîtrise de la Baltique, voire de l'Atlantique, améliore grandement ses chances de victoire.

Italie : Sur la question des mers, le cas de l'Italie est très proche de celui de l'Angleterre. Il lui faut de nombreuses flottes pour assurer sa survie, mais elles ne sont pas forcément synonymes de victoire. Mais si l'Italie parvient à dépasser Gibraltar et à pénétrer en Atlantique, la victoire devient très probable.

Russie : De toutes les puissances, la Russie est celle qui se passe le plus facilement de suprématie maritime. Mais si le joueur russe parvient à installer un nombre conséquent de flottes en Atlantique ou en Méditerranée tout en assurant une bonne présence terrestre, la victoire lui tend les bras.

Turquie : La Turquie se trouve dans une position assez étrange : en effet, il lui faut tout d'abord dominer « l'océan continentale » de Moscou à Munich, puis assurer une forte présence navale en Méditerranée pour prétendre à la victoire. L'éternel écueil sur lequel se heurte le Turc est l'impossibilité de conquérir et de conserver StP face aux flottes du nord. Il est donc essentiel pour le Turc de réussir à pousser ses flottes au-delà de l'Italie et à entrer dans la moitié ouest de la Méditerranée pour s'emparer d'un 18ème centre, soit en France, soit dans la péninsule ibérique. Si la Turquie n'y parvient pas, ses chances de victoire sont quasi-nulles, à moins de fautes grossières de la part de ses adversaires.

Si la suprématie maritime est souvent indispensable à l'élaboration d'une possible victoire, on peut également dire qu'elle forme la base de beaucoup de lignes de blocage. Les puissances concernées doivent alors être capables d'interpréter les signes assez tôt dans la partie pour placer leurs flottes au bon endroit. Ce n'est pas toujours facile, car cela demande une bonne coopération entre les puissances en question, ainsi qu'une bonne lecture des obligations stratégiques. mais cela dépasse les limites de cet article.

En conclusion, on peut voir que la suprématie maritime est l'un des plus gros facteurs de victoire dans la plupart des parties de Diplomacy. S'il parvient à bien juger l'importance de la maîtrise des océans et qu'il apprend à l'utiliser à son avantage, le joueur avisé ne gagnera peut-être sa partie, mais il augmentera certainement de beaucoup ses chances d'éviter la défaite.

Article tiré de The Acolyte #50 (Août 1983)