Stratégie

Le Pacificateur (après l'Anschluss)

Le Pacificateur (après l'Anschluss)

 

Publié sur Frog : Écrit par Guy Fraser-Sampson Traduit par Christophe Courtois, Mise en page par Ernst Niedermoser

1. L'Anschluss : principe de base

 

Pour ceux qui ne sont pas familiers avec le concept d'Anschluss tel que développé par Richard Sharp, précisons que c'est une ouverture pour l'Allemagne, qui concerne en particulier l'armée de Munich, et qui tient compte du fait que le destin à long terme de l'Allemagne est inextricablement lié à la survie autrichienne. Comme Richard le dit dans son livre, il vaut mieux pour les deux pays de jouer comme si elles n'étaient qu'une nation là où c'est possible (et aussi longtemps que possible).


L'Anschluss se déroule ainsi : l'Allemagne dit à l'Italie dès le départ que les intérêts autrichiens et allemands sont les mêmes, et que l'Allemagne répliquera rapidement et violemment à toute attaque italienne sur l'Autriche. Pour donner de la substance à cette menace, l'Allemagne prévient que l'armée de Munich ne bougera pas (version originale) ou (version agressive, ma préférée quand je joue l'Allemand) ira au Tyrol, prête à parer à toute incursion en territoire autrichien. Au même moment, l'Allemagne dit à la Russie qu'un mouvement en Galicie donnera en représaille un stand-off en Suède à l'automne.


Il y a des variantes qui se divisent en deux grandes catégories, nommées (sans surprise) : L'Italie Accepte et l'Italie Refuse.

  

2. L'Italie Accepte

 

Un bon joueur italien acceptera toujours l'inévitable, même contre ses intérêts. Avec une armée allemande au Tyrol, une attaque contre l'Autriche est stupide, surtout si celle-ci, prudente, joue le Bateau à Quai (F Tri h) ou couvre Trieste avec Vienne. En même temps, si l'attaque sur l'Autriche est jouée, avec Rome allant à Venise, il y a toutes les chances que les deux armées italiennes se retrouvent stupidement bloquées dans leurs positions de départ et les intentions hostiles de l'Italie démasquées. (Pour les arguments opposés, voir ci-dessous).


L'Italie n'a plus que trois options, dont seulement deux logiques :


(1) prendre Tunis et ne pas bouger en attendant que la situation se clarifie

(2) attaquer la France

(3) attaquer la Turquie


La raison pour laquelle je pense que l'option (1) est illogique (au moins après 1901) est que l'Italie, de tous les pays sur la carte, peut le moins se permettre de prendre du retard en développement. Tôt ou tard (en général tôt), soit la Turquie construira une flotte à Smyrne, soit la France en construira une à Marseille. Cela ne peut mener qu'à une situation où l'Italie, au mieux, défendra ses quatre centres principaux, ou, au pire, se verra lentement démembrée. Ceux qui pensent que l'Italie devrait commencer avec deux flottes ont ma sympathie.


L'option (2), l'attaque de la France, est évidemment ce que, en tant qu'Allemand, vous espérez et vers quoi vous poussez l'Italie. D'après moi il est très rare que l'Italie tente une attaque véritable sur la France aussi tôt que 1901. Un Venise-Piémont est en général convenu à l'avance avec la France et est simplement un prélude à un stab au Tyrol en automne. C'est encore plus vrai si l'Italie joue sa flotte en Mer Ionienne, ce qui la rend incapable de menacer la France en 1902. Cependant, dans l'Anschluss agressive, la présence d'une armée allemande au Tyrol rend une telle agression bien moins attrayante. Même avec un support de Venise, l'armée allemande sera simplement renvoyée à Munich et les armées italiennes n'auront causé aucun dommage réel.


Supposons, cependant, que le mouvement vers Piémont soit considéré comme une attaque sérieuse ? Cela peut infliger plus de dommage stratégique à la France qu'on ne peut le penser à première vue. La France fera presque certainement Marseille - Espagne au printemps. A moins que l'armée de Paris soit allée en Gascogne ou en Bourgogne, il devra ordonner Espagne-Marseille, espérant un stand-off. Mais supposons que l'Italie reste simplement où elle est ? Alors Espagne-Marseille réussit, la France ne peut construire en Espagne, et Marseille n'est plus libre pour une construction !


Même si une autre unité française est disponible pour un auto-stand-off il reste des options ouvertes à l'Italie. Tout ce qu'elle a à faire est de choisir une des unités à supporter (évidemment celle en Espagne) et le résultat est le même. Si la France ne peut construire à Marseille et que l'Italie a convoyé son autre armée à Tunis, alors la France se retrouve plongée dans un cauchemar en 1902, avec l'Italie qui peut jeter quatre unités contre elle. Il est alors possible à l'Italie de gagner Marseille, l'Espagne, et peut-être le Portugal (si l'Angleterre est occupée dans le nord avec la Russie) et ensuite de rentrer en Atlantique moyen et au-delà. En fait, c'est peut-être la meilleure chance italienne de gagner.


L'option (3), l'attaque sur la Turquie, nécessite une sorte d'ouverture lépante avec un convoi d'une armée à Smyrne à l'automne 1902. Sa faiblesse évidente est le temps qu'elle nécessite en développement. Aucun gain ne peut être réellement fait avant 1903 et la Turquie a tout son temps pour se disposer pour la contre-attaque. Si, cependant, la Turquie est embourbée dans une guerre contre la Russie, et a été maintenue hors de Grèce par l'Autriche, alors la lépante devient une option viable car la Turquie n'aura pas d'unités en réserve pour s'en prémunir, même si elle voit venir clairement le danger.

 

3. L'Italie refuse

 

Au moins il n'y a pas ici d'ambiguïté sur les intentions de l'Italie. Elle n'aurait d'objection à une armée au Tyrol que si elle planifiait d'y aller (là et plus loin) elle-même. Ce serait stupide, puisque cela impliquerait la guerre avec l'Autriche et l'Allemagne. Mais est-ce une telle mauvaise idée ?


D'abord, l'Italie aura sans doute obtenu une promesse de la Russie d’ouvrir en Galicie et une autre de la France d'ouvrir en Bourgogne. L'un permet de menacer Vienne et Budapest, tandis que l'autre signifie que l'armée allemande du Tyrol aura à se précipiter à la maison pour défendre Munich à l'automne, abandonnant tout rôle sur la scène autrichienne.


L'ouverture bourguignonne est franchement beaucoup plus probable que l'ouverture en Galicie. Après tout, la Bourgogne est française et la France peut prétendre qu'elle veut simplement couvrir ses arrières. Et c'est une menace que l'Allemagne peut difficilement ignorer. Pour que la Russie ouvre en Galicie, la Russie doit avoir abandonné tout espoir de prendre la Suède en 1901, ou même définitivement. Cela semble un prix trop lourd. Il y a des chances que la Russie promettra d'ouvrir en Galicie, mais ira en fait en Ukraine, en envoyant entre-temps des signaux de paix à l'Autriche.


Même dans le scénario de cauchemar où la France ne va pas en Bourgogne, la Russie pas en Galicie, et où l'armée allemande reste en Autriche, rien n'est forcément perdu. Si la flotte autrichienne a quitté Trieste, Venise-Trieste et Rome-Trieste marcheront, à moins que l'Autriche n'ait couvert Trieste avec Vienne. Même si l'Autriche et l'Allemagne peuvent ensemble avoir assez d'unités adjacentes à Trieste pour déloger l'unité italienne à l'automne, l'Italie peut toujours tenter d'être plus futée que l'Autrichien en allant en Serbie ou à Budapest, et le fait que la flotte autrichienne sera engagée ailleurs pourrait lui donner une chance de se faufiler en Grèce.


Évidemment si Trieste et le Tyrol sont tous les deux couverts au printemps, alors c'est la catastrophe, mais c'est exactement le risque que l'Italie prend en refusant l'Anschluss. Même maintenant, si l'Allemand laisse le Tyrol libre à l'automne, Venise-Tyrol et Rome-Venise est une possibilité, préparant une attaque plus tard en 1902.

  

4. L'entrée du Pacificateur 

Les joueurs arriveront vite au point où la discussion ci-dessus sera purement académique. Les possibilités de trahison et abus de confiance sont trop grandes. Supposons que l'Italie aille au Piémont au printemps, mais finisse cependant au Tyrol à l'automne ? Suppose qu'ils se mettent d'accord que la flotte de Trieste va en Albanie et que Venise va au Piémont mais que l'un des deux trahisse ?

Après avoir réfléchi à ce dilemme, je crois que j'ai trouvé un moyen de résoudre cette impasse familière, à deux avertissements près :

(1) il y a toujours un potentiel de trahison, mais réduit parce qu'elle serait plus publique et plus frappante.

(2) ça ne marchera pas avec tous les maîtres de jeu en fonction des règles maison de la partie en question.

Le Pacificateur prend la forme d'un arrangement tripartite entre l'Allemagne, l'Italie et l'Autriche sous la forme suivante :

L'Italie place l'armée de Venise sous contrôle allemand (proxy) pour tout 1901. L'Autriche place la flotte de Trieste sous contrôle allemand pour tout 1901. L'Allemagne envoie Munich au Tyrol en 1901 et promet d'attaquer n'importe lequel des deux s'il rompt l'accord en révoquant le proxy avant la fin de 1901.

L'Allemagne par avance accepte d'envoyer Trieste en Albanie et de l'utiliser pour maintenir la Turquie hors de Grèce à l'automne. Et de même, d'envoyer Venise au Piémont et de l'utiliser pour deviner les intentions françaises à l'automne comme décrit plus haut.

L'Italie accepte de bouger sa flotte en Mer Tyrrhénienne et de convoyer Rome à Tunis en automne. L'Autriche jouerait Budapest-Serbie avec Vienne allant à Budapest (rappelez-vous que l'Allemagne a dit à la Russie que s'il va en Galicie, il n'aura pas la Suède). De cette manière l'Autriche atteint sa meilleur position dans le sud-ouest, l'Italie gagne une bonne place pour une attaque sur la France en 1902 (avec une construction de flotte à Rome, bien sûr), et l'Allemagne garantit son flanc sud et la probable survie à long terme de son allié autrichien. Son armée de Tyrol revient à Munich pour être utilisée en Bourgogne ou en Ruhr.

Est-ce que ça marche ? Hum, je passe. Je l'ai tenté comme Allemagne dans Potemkin (maître : Tom Tweedy) et constaté à ma surprise que l'Autriche y était farouchement opposé, même après qu'il ait été rejeté d'emblée par l'Italie ! Soit ma vision de la stratégie austro-allemande est complètement folle, soit je joue avec les mauvaises personnes (dans chaque partie que j'ai jouée avec l'Autriche, j'ai passé toute la phase de négociation initiale à prier désespérément l'Allemagne de jouer la variante tyrolienne de l'Anschluss). Mais quelque part, trois joueurs imaginatifs se rencontreront et tenteront la chose. Si vous le faites, merci de me le dire (et assurez-vous que je ne joue pas la France à ce moment).

Première parution : Spring Offensive 73