Stratégie

La Triple Alliance

La Triple Alliance

Comment concevoir une alliance Italie - Allemagne - Autriche . 

Publié sur 18centres le mercredi 3 août 2005, Écrit par Stephen Agar, Traduit par Vincent Cubaynes 

Parution originale : Spring Offensive No.1 (May 1992)

La Ruée du Printemps 1901

Grâce aux machinations de Bismarck, la Triple Alliance fut secrètement formée entre l’Allemagne, l’Autriche et l’Italie en 1882. À la fin, la défection de l’Italie au sein de cette alliance, l’amenant finalement à déclarer la guerre à l’Autriche le 23 mai 1915, fut un facteur significatif de la victoire finale de l’Angleterre et de la France en 1918.

C’est plus ou moins la même chose à Diplomacy. Il est trop simple de considérer les premiers stades d’une partie de Diplomacy comme un triangle Angleterre-France-Allemagne, un autre triangle Autriche-Russie-Turquie et une Italie impuissante quelque part au milieu. C’est une manière de voir très limitée. La ruée de départ sur les arsenaux neutres conduit inévitablement à une concentration sur Belgique-Hollande, les Balkans et la Scandinavie. Mais aucun joueur ne peut gagner la partie en prenant simplement La Belgique, la Hollande et le Danemark ! Il n’y a après tout que douze arsenaux neutres sur la carte.

Ainsi, dans ses plans à moyen terme, un joueur doit inclure une attaque contre au moins un autre joueur, sinon deux. Toutes choses par ailleurs égales (ce qu’elles ne sont bien sûr jamais), la géographie de la carte suggère la grande valeur stratégique que peuvent former certaines combinaisons d’alliés et d’objectifs . Je crois que si Bismarck avait été un joueur de Diplomacy, il aurait été fortement poussé à monter un meilleur système d’alliance à moyen terme que ne le suggère celui de la Triple Alliance.

Comment l’Autriche peut-elle survivre ?

Un découpage de l’Autriche tend à favoriser la Russie plus que l’Italie, car la Russie n’est pas susceptible de donner une chance à l’Italie de prendre plus que Trieste et la Grèce à court terme. Avant même que l’Italie n’obtienne une poignée d’arsenaux turcs, elle sera probablement poignardée. Pour gagner, l’Italie devra conquérir toute la zone méditerranéenne, à savoir toute l’Autriche, la Turquie, la moitié de la Russie, Toulon, l’Espagne et le Portugal. Une Russie forte, ivre des plaisirs de Vienne et de Budapest, peut stopper immédiatement toutes les ambitions italiennes.

Il y a aussi l’Anschluss. Comme l’a montré avec talent Richard Sharp dans son livre The Game of Diplomacy (1978), l’alliance Allemagne-Autriche a été conçue au paradis. La thèse de Richard est que l’Allemagne prospère rarement quand l’Autriche va mal - généralement parce que cela permet à la Russie ou bien à la Turquie de dominer les Balkans et d’écarter l’autre, atteignant les dix à douze unités, tandis que l’Allemagne se débat sans doute encore dans le triangle Angleterre-France-Allemagne. Une Russie forte peut envoyer des armées au nord et même attaquer via le no-man’s land de Silésie et de Prusse, si besoin est. L’Allemagne a donc besoin d’une Russie contenue et d’arrières protégés. L’Anschluss requiert de l’Allemagne qu’elle affirme sans aucune ambiguïté qu’elle utilisera son armée de Munich pour intervenir du côté autrichien en cas d’attaque italienne. Ceci peut être obtenu en arrangeant un stand-off avec la France au printemps 1901 entre A Mun et A Tou sur la Bourgogne, laissant ainsi à Munich A Mun pour l’automne 1901. L’Italie doit être persuadée que cette armée bougera dans les Alpes durant l’automne si nécessaire.

Si l’Allemagne affirme clairement ses intentions pro-autrichiennes, il se peut fort bien que l’Italie soit persuadée de ne pas attaquer l’Autriche dans l’immédiat. L’Italie est donc renvoyée à une stratégie de type "wait and see", espérant qu’une opportunité se présentera d’elle-même, ou bien elle s’allie avec l’Autriche. Si cette deuxième voie est suivie, pourquoi ne pas s’engager complètement et former une Triple Alliance ?

La Stratégie de l’Italie

Supposons que l’Italie y adhère (à la Triple Alliance). Cela lui laisse essentiellement deux possibilités : une attaque contre la France ou une variation lépantine [1]. L’ouverture anti-française est F Nap - MTy, A Ven - Pie, A Rom H. Puis un convoi rapide sur Tunis, une flotte bâtie à Naples et un mouvement vers le Golfe du Lion au printemps 1902. Cela fonctionnera bien si l’Allemagne, rassurée par les ordres italiens du printemps 1901, se sent en sécurité pour faire A Mun - Bou à l’automne 1901 et réussit ce mouvement grâce à l’intérêt de la France pour la Belgique et l’Espagne. Cependant, même avec l’aide allemande, les gains de l’Italie ne seront pas rapides. En outre, si l’Autriche doit faire face au Juggernaut [2] de la Russie et de la Turquie, alors l’Autriche aura besoin de plus que d’un soutien passif de l’Italie, si l’Italie ne doit pas concéder la Méditerranée orientale à la Turquie. L’attaque sur la France est donc un pari.

L’autre possibilité pour l’Italie est de faire F Nap - Ion et A Rom - Nap. L’Italie convoie sur Tunis, bâtit à Naples et ainsi tient l’est. La lépantine classique est F Nap - Ion, F Ion - Lev avec un convoi en Syrie à l’automne 1902. L’autre possibilité donnée, avec une Autriche possédant déjà la Grèce, est que la F Ion prenne la mer égée (si nécessaire avec l’aide de F Gre) et convoie alors sur Bulgarie ou Smyrne, ou bien accompagne le mouvement autrichien F Gre - Bul(cs) avec F Ion - Gre pour s’assurer que l’Italie gagne une construction en cas de succès autrichien. Il y a d’autres possibilités, mais tout repose sur la manière avec laquelle agissent ensemble la Russie et la Turquie. Bien sûr, tout ceci dépend des aléas et il est difficile de spéculer plus avant.

Mais que devrait faire l’Italie avec A Ven ? Elle peut simplement se maintenir, mais cela inquiétera l’Autriche et n’apportera rien du tout. En début de partie, les unités ont d’autant plus de valeurs qu’elles sont moins de 34, et cela semble être un terrible gâchis pour A Ven de simplement se maintenir. La réponse est A Ven - Pie avec la promesse allemande d’attaquer la France à l’automne 1901 et de soutenir l’Italie sur Marseille au moment approprié. Cela peut ne pas être agréable, mais je pense cela vaut la peine que la France ait un ennemi en début de partie. L’Italie aura besoin de la Méditerranée occidentale et a donc grand intérêt à empêcher la France de construire des flottes depuis Marseille. Si la France a encore une unité à Toulon après les mouvements du printemps de 1901, alors l’Italie ne peut que réussir à empêcher la France de gagner une construction qu’elle aurait sans doute obtenue sinon, et elle empêche en outre une construction à Toulon. Si l’Allemagne a obtenu le stand-off sur la Bourgogne mentionné plus haut, le mouvement sur le Piémont marchera. D’un autre côté, si la France a passé l’ordre A Tou - Esp au printemps de 1901, alors l’Italie joue à 50/50, avec une chance de prendre Toulon à l’automne 1901 si elle devine bien.

L’Autriche tient l’Est

Bon, supposons que l’Autriche ait confiance en l’Italie et ne voit pas la nécessité de défendre Trieste. Une grosse supposition, je sais. Il est raisonnable de passer l’ordre A Vie - Gal. La Galicie est un territoire clé, adjacent à quatre arsenaux et crucial pour la défense de l’Autriche. Les autres mouvements évidents sont F Tri - Mon et A Bud - Ser. Sans tenir compte du fait que le mouvement sur la Galicie réussira ou non, l’Autriche peut être certaine de deux constructions à l’automne 1901. Si l’Autriche prend la Galicie, elle se trouve bien sûr dans une puissante position.

Le rôle de l’Allemagne

Bien que l’Allemagne sera prise dans le conflit Angleterre-France-Allemagne, un mouvement italien sur le Piémont ne sera probablement acheté que par une promesse d’attaquer la France en 1901. Ainsi, l’Allemagne doit faire son possible pour entraîner l’Angleterre dans le conflit contre la France dès le départ, mais se souvenir de construire des flottes pour prendre la Mer du nord. Que l’Allemagne oppose ou non un stand-off à la Russie en Suède est une question de jugement qui dépend de la manière dont se comporte la Russie. Un effondrement russe n’aidera pas l’Allemagne, mais si le Juggernaut est en marche alors il n’y a aucune raison de permettre à la Russie une construction supplémentaire à l’automne 1901. Dans l’optique d’un stand-off sur la Bourgogne ou d’une attaque immédiate sur la France, l’Allemagne doit ordonner F Kie - Dan, A Ber - Kie et A Mun - Bou.

Celà marchera-t-il ?

Bien sûr, il y a des risques. L’Italie risque de penser que l’Autriche s’en sort trop bien les deux premières années, et l’Autriche risque de penser que l’Italie s’en sort trop bien au delà des deux premières années. Il est peu probable que ce soit l’Allemagne qui fasse basculer le bateau. La nécessité des dix-huit arsenaux étant ce qu’elle est, il est probable que tôt ou tard, l’Italie poignardera l’Autriche ou vice versa, à moins que l’Italie n’arrive à percer vers l’Atlantique. La frontière Venise-Trieste garantira toujours des nuits blanches. L’Allemagne et l’Autriche peuvent n’avoir jamais à se poignarder l’une l’autre puisqu’elles ne seront sans doute amenées à se combattre qu’à la fin de la partie, étant chacune située de part et d’autre des lignes de stalemate [3]. Il n’y a pas de stratégie optimale dans Diplomacy. Trop de choses dépendent des personnalités et de la chance. Des articles tel que celui-ci ne peuvent fournir que des idées, et non des solutions.

Les Alpes sont manifestement un territoire clé dans cette alliance ; avec quelques exceptions, si l’un des trois le prend, les deux autres supposeront le pire. On oublie souvent qu’entre 1915 et 1918, plus de 650.000 Italiens moururent au combat au Tyrol et que plus d’un million d’entre eux y furent blessés. Les Italiens et les Autrichiens prirent à l’époque conscience de la valeur stratégique de ce territoire et, à cet égard, Diplomacy imite également l’Histoire.