Galaxie Diplomatique

Interview : L'Equilibre des Forces

Nicolas Sahuguet parle de l’Équilibre des Forces

Traduction partielle de la table ronde réunie autour de David Hood pour l’édition de décembre 2021 de Deadline News, consacrée à l’équilibre des forces. (Enregistrement majoritairement traduit avec www.DeepL.com/Translator) et communiquer par Mr_Noob (merci à lui)

Toutes nos excuses aux deux autres invités de la table ronde, Liam Stokes et Andrei Gribakov, dont les contributions, pour des raisons purement pratiques, n’ont pas été traduites ici. Les plus curieux pourront voir l’intégralité de la vidéo ici: https://www.youtube.com/watch?v=5l93XUc4Odg&list=PLEKaZk8QYhFcBGMsHaqv9A-T1emx9AqEw&index=11

INTRODUCTION

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[0:33]

[DH] Je suis David Hood, du Diplomacy Broadcast Network et voici Deadline, l'émission mensuelle d'information du DBN. Deadline de décembre 2021. L'un des aspects qui rend notre jeu si intéressant est qu'il n'existe pas d'approche unique universellement acceptée pour réussir à Diplomacy. L'inventeur Alan Calhamer pensait que l'abandon des considérations d'équilibre des pouvoirs dans la politique européenne avait causé la Première Guerre Mondiale. M. Calhamer a donc créé un jeu qui, selon lui, favoriserait l'équilibre des pouvoirs dans la pensée stratégique. Certains joueurs de Diplomacy suivent une approche d'équilibre des forces tandis que d'autres préfèrent les alliances fortes ou une autre approche. Comment une personne qui apprend le jeu peut-elle déterminer la meilleure ligne de conduite à suivre ? Plus tard dans l'émission, nous demanderons à trois spécialistes expérimentés ce qu'ils pensent de l'équilibre des forces dans la table ronde de ce mois-ci.

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DOSSIER THÉMATIQUE : ÉQUILIBRE DES FORCES

Animateur : David Hood

Invités : Nicolas Sahuguet, Liam Stokes, Andrei Gribakov

[34:13]

[DH] Et maintenant, pour la table ronde de cet épisode, nous nous penchons sur le sujet de la grande stratégie à Diplomacy. L'une des façons dont les joueurs abordent les décisions stratégiques dans ce jeu est à travers le prisme de l'équilibre des forces, en évaluant les choix d'alliance ou de rédaction d'ordre de manière à s'assurer qu'aucun autre joueur ne gagne une position supérieure sur le plateau. D'autres joueurs de Diplomacy évitent cette approche et agissent différemment. Parfois, c’est l'éthique dominante d'un club ou d'un groupe qui contribue à la prise de décision, tandis que, d'autres fois, les choix sont influencés par le système de scorage utilisé dans une ligue ou un tournoi. Écoutons les réflexions sur l'équilibre des forces de Nicolas Sahuguet, ancien champion du monde, du Québec, de Liam Stokes, résident de la Colombie-Britannique, qui a terminé en tête de la saison 2020 de la ligue de diplomatie virtuelle, et d'Andre Gribakov, de Californie, vainqueur du Tempest 2020. Andre et Nicolas ont tous deux été finalistes lors du DBN Invitational de février 2021.

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[36:35]

[DH] Nicolas, Passons à vous. Parlez-nous de vous si vous le voulez bien.

[NS] J'enseigne l'économie, en particulier la théorie des jeux, à l'école de commerce de l'Université de Montréal. Je joue à la Diplomacy depuis un certain temps. J'ai commencé à jouer sérieusement vers 2001 - j'étais en Belgique à l'époque - j'ai donc commencé à jouer en ligne et mon premier tournoi en face-à-face s'est déroulé à Bruxelles. C'était en 2003 et Vincent Carry (tout juste couronné champion du monde à Denver) était là, Yann Clouet (qui serait le champion du monde suivant, en 2004) y est allé, et même John Jameson (qui vivait en écosse à l’époque) y est allé. C'était donc un bon début et après cela, j'ai continué à jouer, avec un certain succès.

[DH] Et bien, c'est surprenant mais formidable que, malgré cette brochette de personnages, vous soyez restés dans le hobby. Et nous en sommes heureux. Oui.

[37:33]

[DH] Alors permettez-moi rester avec vous, Nicolas. Quelle importance accordez-vous à l'équilibre des forces dans une partie de Diplomacy ?

[NS] Tout d'abord, je dirais que l'équilibre des forces est très souvent lié à la stratégie “d'arrêt du leader” et je pense que c'est un peu trompeur. Permettez-moi de commencer par une anecdote. Quand j'ai commencé à jouer, j'avais l'habitude de faire beaucoup de speedboat sur un site internet français et après les parties, on discutait de la partie écoulée et de ce genre de choses. Et je me souviens très nettement d'un soir où j'ai joué une partie dans laquelle Yann Clouet, le champion du monde de 2004, jouait l’Allemagne. Il avait très bien commencé, avec sept ou huit centres, et puis l'Autriche a tout balancé contre lui. Puis l'Autriche a été poignardée par la Turquie, qui a gagné la partie. Yann n'était pas très content, et le joueur autrichien a dit : “Oui, mais je jouais l'équilibre des forces.” Yann lui a alors dit quelque chose dont je me souviens encore, et je pense que c'était une bonne leçon pour moi. Il a dit : “Non, tu n'as pas joué l'équilibre des forces, tu as juste laissé la Turquie gagner la partie.” Et il a ajouté : “De toute façon, l'équilibre des forces, c'est des conneries. Ce qu'il faut faire, c'est équilibrer les autres puissances”. On ne veut pas jouer l’équilibre des forces, on veut juste équilibrer les autres puissances, ce qui veut dire que si on se débrouille bien, on n'a pas besoin de jouer l'équilibre des forces, et si vous êtes en très mauvaise posture, vous ne voulez pas vraiment arrêter le leader, vous voulez juste revenir dans la partie. Donc je pense que vous devez comprendre, d’après moi, “l'équilibre des forces” ou “l’équilibre entre les puissances” pour comprendre la situation du plateau, mais surtout pour comprendre la dynamique du plateau et essayer de la faire jouer en votre faveur. Parce que l'objectif du jeu n'est pas de créer une alliance, ce n'est pas un équilibre des forces, c'est de gagner. Je pense donc que la meilleure chose à faire est de comprendre, parmi les choses qui se passent sur le plateau, celles qui seraient dans votre intérêt. Et si vous êtes encore meilleur, vous essayez de façonner ces choses pour qu'à la fin de la partie, vous soyez celui qui a le plus de centres. Et je pense donc que c'est important, mais que ce n'est pas exactement ce que les gens ont à l'esprit quand ils parlent d'équilibre des forces.

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[45:53]

[DH] Bon, Nicolas, je sais que vous avez commencé, comme vous l'avez dit, à participer à des tournois en Europe. Avez-vous remarqué une différence entre la façon dont les joueurs européens abordent la théorie de l'équilibre des forces et celle des joueurs nord-américains ou d'ailleurs ?

[NS] Je pense que la raison principale est que les parties sont plus courtes et qu'elles se terminent généralement en 1907 ou 1909. De plus, les systèmes de scorage que je connais, et ce sont les plus appropriés pour les parties courtes, sont du genre : si vous finissez en tête, vous obtenez un bon score ; si vous ne finissez pas en tête, vous obtenez un score moyen. Ce qui conduit à une philosophie où seul compte le fait d'être en tête et où vous devez maintenir vos chances d'être en tête aussi longtemps que vous le pouvez, ce qui conduit généralement à des façons d'équilibrer le reste du plateau. En particulier, si vous ne vous en sortez pas très bien au début, vous essayez de faire en sorte que le leader ne prenne pas le large et que vous ayez encore des chances en fin de partie, ce qui conduit aussi à une sorte de philosophie différente. Comme je l'ai dit, il y a beaucoup de joueurs moyens pour qui la philosophie de l'équilibre des forces est un peu comme un mantra et ils le jouent même si ce n'est pas dans leur propre intérêt. Il faut donc être très prudent parce que parfois, en Europe, il y a ce syndrome du leader précoce. Si vous vous débrouillez trop bien en 1903 et 1904, deux ou trois joueurs se mettent à jouer contre vous et, même si votre position est encore bonne, arrivé en 1907, vous n'êtes plus en mesure de finir en tête. Et vous devez donc être beaucoup plus prudent au début et être un peu conscient du fait que, si vous faites le premier pas, vous courez le risque que le reste de la table se coordonne contre vous et que certains des joueurs les plus faibles soient dans cet état d'esprit “d'équilibre des forces” et que certains des requins les utilisent pour être en position de terminer en tête tandis que vous êtes coincé avec tous ces joueurs moyens qui vous embêtent. Et donc, je pense que c'est l'essentiel. Mais je dirais qu'aux États-Unis aussi, il y a beaucoup de stratégies d'équilibre des forces que je vois souvent et qui sont simplement différentes. Ainsi, aux États-Unis, vous avez cette philosophie de courir jusqu'à la ligne et de former une ligne de blocage pour empêcher le solo, qui est très forte et parfois un peu trop forte à mon goût. Je veux dire que c'est très facile, encore une fois, je pense que ce sont les joueurs moyens, qui ont tellement peur d'avoir laissé quelqu'un faire un solo qu'ils se précipitent vers la ligne même si ce n'est pas leur intérêt, juste pour arrêter le truc. Mais aussi, vous savez, la stratégie du “pion” qu'on voit beaucoup aux États-Unis, je pense que c'est de l'équilibre des forces. Je pense qu'il s'agit d'une question d'équilibre des forces où les bons joueurs se rendent compte qu'une petite puissance leur est plus utile pour prendre l'avantage, quitte à l'écraser plus tard, et je pense que c'est aussi une stratégie d'équilibre des pouvoirs, et je pense que les très bons joueurs aux États-Unis, ceux qui sont des joueurs d'alliance, sont aussi très forts pour équilibrer… un peu comme Liam l'expliquait… pour équilibrer l'alliance d’une manière qui soit dans leur intérêt. Si vous êtes bon, alors… il semble que la dynamique de l'autre côté du plateau évolue toujours en faveur de l'un des membres de votre alliance et oui, parfois, au début, vous vous dites “Bon, ça a été vraiment pas de chance pour moi, que les choses n’évoluent pas comme je l'aurais souhaité”. Et ensuite vous réalisez : “Ah ouais, l'autre gars a été un peu meilleur que moi. Il a dû dire quelque chose à quelqu'un pour que l'autre côté du plateau n'évolue pas en ma faveur, mais en sa faveur.” Donc je pense qu'il y a des éléments d'équilibre des forces dans le jeu américain, c'est juste un peu différent, mais c'est présent et, surtout, les bons joueurs savent en jouer.

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[54:28]

[DH] Nicolas, tu as joué pendant des années, tu as joué sur plusieurs continents, tu as participé à beaucoup de tournois, tu as joué avec toutes sortes de personnes. Tu as dû voir du bon jeu d'équilibre des forces au cours de ta carrière. Parle-nous de ces joueurs.

[NS] Oh oui, j'ai souvent vu du jeu vraiment superbe et je crois que, pour moi, l'équilibre des forces, c'est un peu toutes ces stratégies qui ne sont pas axées sur ce qui se passe près de vous, mais qui essaient de faire en sorte que l'autre côté du plateau fasse des choses à votre avantage. Je ne sais pas si vous avez vu… on a tous vu Andrew Goff jouer et, en particulier en début de partie, on a l'impression qu'il est comme un aimant inversé, une sorte d'anti-aimant, que toutes les unités s'éloignent de moi et qu'ensuite il commence à bouger et qu'il n'y a plus d'unités pour l'arrêter. Au début, on se dit “Il a de la chance ! Qu'est-ce qui se passe ?” Et puis on se rend compte que non, non, non, il équilibre tellement bien les autres puissances au début de la partie que tout le monde commence à faire autre chose, à entrer en conflit, et qu'il a alors le champ libre pour terminer en tête de la table, ou bien placé. Je trouve que c'est assez impressionnant. Je dirais aussi qu'Edi Birsan est très bon pour forger une structure d'alliance de l'autre côté du plateau. Il est évidemment très bon aussi quand il s'agit de développer une alliance avec quelqu'un de proche, mais quand vous jouez avec Edi Birsan, on dirait que dès qu'il commence à parler à vos voisins, vos voisins se mettent à vous attaquer, et qu'à chaque fois qu'il commence à jouer une structure d'alliance, l'autre côté du plateau joue exactement la structure d'alliance qui lui profite. Je pense que c'est quelque chose qu'il fait vraiment très bien et que beaucoup de joueurs devraient tirer des leçons de lui sur ce plan-là, parce qu'il est très bon pour parler aux gens de l'autre côté du plateau et les convaincre de faire des choses qui sont dans son intérêt. Et puis je vais aussi mentionner un joueur que les joueurs américains ne connaissent peut-être pas très bien, c'est Gwen Maggie vous savez, deux fois champion du monde et qui est l'un des meilleurs joueurs de tous les temps. Mais il n'a jamais joué hors d'Europe, je pense qu'il n'a joué qu'en Italie, en France et dans quelques autres pays. C'est un joueur d'alliance, autant qu'un joueur européen puisse l'être, mais il parle à tout le monde et fait en sorte que tout le monde ait encore un rôle à jouer et, dans de nombreuses parties, il contrôle tout le monde. Vous savez, très souvent, il me dit “oh ouais tu vois, on était en 1906 et je connaissais les ordres de tout le monde sur le plateau, de tous les autres.” Et ça n'est pas qu'il se la pétait, mais c'était son style de jeu. Il parlait à tout le monde. Et tous ne présentaient pas un intérêt pour lui, mais il les connaissait tous et il essayait de les influencer et de faire en sorte que quelqu'un fasse quelque chose pour lui. Il était vraiment très très fort parce que non seulement c'était un joueur d'alliance, mais il était aussi très bon pour apprendre à connaître tout le monde et à comprendre ce que les autres faisaient. Et ça prend tellement d'énergie et d'efforts pour parler à six joueurs chaque saison. Je crois qu'Andrei a dit, au début, que le jeu d'alliance est facile pour les débutants et je pense que la chose principale avec l'équilibre des forces ou l'équilibre des autres puissances, peu importe comment on l'appelle, c'est que ça prend beaucoup de temps et beaucoup d'énergie donc… les gens qui parviennent à bien le pratiquer sont vraiment impressionnant, parce que, quand vous pouvez parler à six joueurs chaque saison… En “extended deadlines” [jeu en ligne avec un ou deux jours par tour] beaucoup de joueurs le font et, parfois, quand ils passent au face-à-face, cette stratégie leur coûte beaucoup parce qu'elle prend trop de temps et d'énergie. J'en ai fait l'expérience l'année dernière parce que je pense que mon style est un peu… d'équilibre des forces. Ça prend tellement de temps et d'énergie que c'est beaucoup plus facile d'être dans une sorte d'alliance simple et “ouais, peut-être que je finirai en tête, peut-être que je finirai deuxième, de toute façon j'obtiendrai un bon résultat”. C'est tellement plus facile, mais vous savez, parfois, si vous voulez vraiment gagner, vous devez faire des efforts supplémentaires.

[…]

[1:00:04]

[DH] Nicolas, revenons un instant à vous. Vous nous avez déjà dit qu'il était plus facile de jouer en alliance. Si vous avez quelqu'un qui essaie de s'améliorer dans le jeu et que vous voulez essayer de le convaincre d'élargir son répertoire, donnez-nous un argument à ce sujet.

[NS] Je pense que toute cette philosophie derrière l'équilibre des forces, ou derrière le jeu d'alliance, revient à : “fait ce que tu sais faire le mieux, mais n'oublie jamais que le but du jeu n'est pas de faire une alliance, ni d'avoir l'air intelligent en jouant l'équilibre des forces. Le but du jeu est de marquer le plus de points possible”. Vous savez, si vous voulez vous améliorer, commencez à vous dire : “Oui, j'ai fait quelques alliances, mais très souvent je n'ai pas réussi, je ne suis pas arrivé en tête. Alors, que devrais-je faire différemment, à quoi devrais-je penser pour essayer d'être celui qui s'en sort le mieux à la fin de l'alliance”. Parfois, cela signifie que vous devez parler un peu plus aux deux personnes qui se trouvent de l'autre côté du plateau. Parfois, cela signifie que vous devez équilibrer un peu plus les choses au sein de votre alliance et, parfois, cela signifie aussi que vous devez être un peu dur parce que quand vous pensez que l'alliance va dans une direction qui n'est pas dans votre intérêt, plus vous attendez, plus vous….il n'y a plus rien que vous puissiez faire. Je pense que les très bons joueurs essaient de mettre leurs alliés dans une situation où ils sont les partenaires “juniors” et où il est dans leur intérêt de rester les partenaires juniors et, une fois que vous comprenez mieux la dynamique du plateau, vous pouvez comprendre exactement le moment où votre allié essaie de vous mettre dans une situation où les choses ne vont pas dans votre sens. Et alors, vous devez être un peu dur et juste dire “non, je n'accepte pas ça ou j'ai besoin de plus ou je veux ceci ou je veux cela”. Et ensuite, vous commencez à réaliser : “si je commence à faire ça, alors l'alliance est plus équilibrée et je m'en sors mieux”. Et ensuite vous pouvez même devenir un peu méchant et commencer à être celui qui essaie de déséquilibrer l'alliance à votre avantage. Mais ne conseillons pas aux gens de devenir méchants parce que….

[DH] Non, non…

[…] [1 :03 :34]

[DH] Merci […] pour vos réflexions sur le sujet. On vous remercie d’avoir pris le temps […] pour être ici. Quant à vous [qui regardez], souvenez-vous en, l’équilibre des forces est une option tout à fait légitime. Essayez-le.