Pierreux, pierreuse

Etymologie de pierreux pierreuse et pierre.

Pour le dictionnaire de l'Académie :

Pierreux : Qui est plein de pierres. Un champ pierreux. Un terrain, un sol pierreux. Une terre pierreuse, une poire pierreuse.
Une pierreuse : une fille de mauvaise vie.

(Voir le prénom
Pierre)

En langue Romane [1] le mot "perre" ou "pierre" est le "petra" (la roche) et le mot "pierre" désigne le verbe paraître, se montrer, et "parere[2]" qui outre "paraître" a le sens "d'être sous la dépendance de". La pierre est aussi une "masse d'un certain poids".

La "pierre" au sens de la roche est en latin Lapidosus[8], Saxosus, Petrosus

Pierres aspres ou espouventables, Saxa immania [9] : une pierre gigantesque, monstrueuse, colossale, megalithe

Enfin, pierreux est Saxofus [10] , saxofa, saxofum, ou en grec "πετροωδης" (petrodès) [11]

La pierre ou pierreuse désigne parfois la Maladie de la gravelle, la lithiase urinaire... ou des fruits dont la chair est graveleuse...

Le sens licencieux de "pierreux" n'apparaîtra que tardivement et désigne les "pierreuses" ou filles de mauvaise vie, probablement vers la fin du XVIIe siècle et ce sens n'entrera dans le dictionnaire qu'au XVIIIe.

Notre mot "pierre" est issu du Grec "petra" (πέτρα [12] qui signifie un rocher, la roche, ce qui est dur, inflexible qui passera au latin en "petra" [13] très diféremment de la racine "sax" qui a le sens de "pierre" en ce que les armes dans les pays nordiques se nommaient "Sakse" couteau de guerre, sorte de dague. Mot qui en Anglais ancien, donnera "seax", ou couteau à lame large utilisé dans ces pays qui seront plus tard deviendront les pays saxons.

La racine racine indo-européenne "sek", a le sens de couper [14] qui donnera en Angalis "saw" et "sax" qui donnera le sakhsan [15] , puis "Saxony" (En Allemand . Sachsen et Français. Saxe) et le nom de régions comme l'Essex, ou le middlesex.

La racine indo européenne "sak" ou "sek" qui donnera en latin "secare", signifie couper. (en Sanskrit shed, couper segmenter [16]

Ce mot de "pierre" est en général rendu en grec [17] par "lithos" ("λίθος " [18] ou encore par "lithidion" ("λιθίδιον" [19] qui est une "petite pierre", ou encore une calcul vésical, voire une pierre précieuse.

Ces différences étymologiques se retrouvent dans des mots comme "pétrifié" venant de la source "pétra") ou "lithographie", impression à l'aide d'un pierre, venant lui, de la source "lithos".

Des différence similaires existent en Anglais entre "pierre" qui sera le prénom "peter", mais aussi la pierre ou calcul, qui devient "stone", et la pierre sur laquelle on bâtit, le "rock" :

"That thou art Peter, Tu es Pierre
and upon this rock et, sur cette pierre
I will build my church"
[20] je bâtirai mon église.

La maladie de la pierre :

La maladie de la pierre ou pierreuse est décrite par Hippocrate qui la différencie de la gravelle dans ses descriptions :

"λιθιωσι̣̣ δε μάλιστα άνθρωποι , και υπό νεφριτίδων [21] "
(Lithiosi malista anthropoi, kai upo nephritidon…),
La pierre comme maladie des hommes, et la gravelle

En Grec la maladie de la pierre [22] est la "lithiasis" (λιθίασις [23]) signifiant aussi une callosité de la paupière, ou "lithiao".

Montaigne souffrait de cette maladie et au cours de ses déplacements cherche les eaux qui soulageraient sa gravelle et cette colique pierreuse qui n'en finit pas de troubler sa vision.

On appelle quelquefois "Pierreux", les gens malades de la pierre : Cette eau soulage les pierreux

Cette Gravelle est une maladie des reins et de la vessie causée par quelque gravier qui s'y forme. Et Graveleux ou graveuleuse est sujet à la gravelle [24] . Ou maladie de la pierre : Pierre qui s'engendre dans les reins et tombe dans la vessie. [25]

Cette maladie est présentée comme fréquente dans les pays tempérés et humides, et rare dans quelques pays chauds [26]

Les pierres ou calculs issus de cette maladie seront traité pas un lithotriteur

Maladie nommée lithotripsie (M Leroy d'Etiolles- 1825), Jean Jacques Leroy d'Etiolles décriront la gravelle comme étant le premier degré de la pierre.

Ce nom de "Gravelle" viendrait lui, de grève, racine qui est donnée comme étant issue du latin tardif grava. Ce mot viendrait d'un emprunt du latin au aux celtes que le XIXe siécle nommera Gaulois.

De nos jours le dictionnaire de l'Académie décrit la gravelle comme la maladie de la pierre ou Lithiase rénale

Cette maladie appelée "la pierre" ou "Gravelle", "Calculus", "Lithiasis" ou "lithiase" apparaît dans le dictionnaire de l'Académie à partir de la 5e édition de 1798.

Pourtant un lien avec les racines grecques n'apparaît pas ici : Sable en Grec est "ammos" (ἄμμος [27] ), le sable de l'arène et, pour Stabon est une terre sulfureuse, ou bien viendrait de "amathos" (ἄμαθος [28] ) ou encore de "psamatos" (ψάμαθος [29] ) le sable de bord de mer.

Pierre de scandale :

Il signifie aussi ce qui donne mauvais exemple, ce qui donne occasion d'estre scandalisé, d'estre mal édifié. Cette femme est la pierre de scandale de tout son quartier. [30]

Le dictionnaire de "François et de Latin, pour servir aux études de monseigneur le Dauphin":

"On dit figurement, pierre de scandale, pierre d'achoppement, ce qui nous fait feillir et ce qui nous scandalise. (Il y avait anciennement à Rome une prirre élevée devant le Capitole sur laquelle on voyait gravée l'empreinte d'un lion esur laquelle un cessionnaire craiait à haute voix et ayant la tête nue "cedo benis". On le faisait heurter par trois fois à cul nu sur cette pierre, et pour ce sujet elle fut appellée pierre de scandale, car dès lors le cessionnaire devenait intéfiable [31] et incapable de rendre témoignage. Jules César introduisit cette forme de cession, après qu'il eut abrogé la loi des douze tables, qui permettait aux créanciers de démembrer leurs débiteurs et d'en prendre chacun un morceau ou de le réduire en servitude)".

"La pierre de scandale" est de la même façon décrite dans l'encyclopédie de Diderot [32] .

Le coté licencieux ou graveleux du mot "pierreux" vient de ce que la maladie affecte les voies urinaires par des pierres, qui achoppent le comportement du sujet.

Ce mot donnera graveleux, aux sens de caillouteux, de la gravelle et plus tard à la fin du XVIIe et prendra le sens de "licencieux".

Pour ce même dictionnaire Dictionnaire François [33] le Latin "pierreux" est général utilisé sous sa forme féminine : rempli de pierres.

Les pierreuses : Les filles publiques.

"Et se t'entente estoit piereuse Et ta pensée ert espineuse" Gui de Cambrai, auteur à qui serait attribuée vers 1200, une version en français du roman de "Barlaam et Josaphat" écrite par Jean Damascène.

Utilisant le mot "pierreuse", Pantagruel en 1546, décrit une île : [34]

"Elle, de touts costès, pour le commencement, estoit scabreuse, pierreuse, montueuse, infertile,
mal plaisante à l'œil…"

En Flandres, à Liège vers l'an 1000 la citadelle abritant des militaires, les maisons de pierre y menant furent nommées quartier de la pierre. La Pierreuse hérita de ce nom vers 1700 comme quartier des prostituées et de baladins.

La "piereuse" ou "pierreuse" de Liège[35] où l'on élevait les maisons en "pierreuse" à l'abri des crues de la Meuse" car ces pierres, provenant des rébuts de construction de la citadelle étaient peu coûteuses. Cette rue, une des plus longue de Liège sera connue, outre pour mener à la citadelle, pour son manque de propreté, et un édit du 15 mars 1437 interdit d'y jeter cendres et ordures[36]

Au XVIIe siècle après l'Edit de Fontainebleau [37] en 1685 beaucoup familles émigrent hors de France et nombre d'entre elles s'établiront à Liège. Puis Louis XIV envahit l'Allemagne et occupe la Palatinat en 1688 et une part des Flandres.

Mais le langage courant, lui, occupe le terrain pour contrer l'usage rendu obligatoire du Français à la suite de l'ordonnance de 1684 par un population qui ignore le Français de cour de Versailles.

Mais bientôt, si les victoires Françaises sur terre sont nombreuses, sur mer c'est le désastre et, en 1697 Louis XIV doit rendre les territoires conquis…

Profitant alors d'une frontière linguistique plus transparente pour envahir la langue vernaculaire, le nord adopta plus de mots Français que sous la domination de Versailles : La langue qui n'était guère saxonne se gobergeât alors d'expressions ordinaires pour se différentier du Flamand.

Les "pierreuses", comme nom donné à des filles publiques du plus bas étage, n'apparaîtra dans un dictionnaire qu'au XIXe siècle : le Littré:

Pierreuses : nom donné à des filles publiques du plus bas étage [38]
Dans "la prostitution dans la ville de Paris"[39]:

"Les Pierreuses ou femmes de terrain : On donne ce nom, en terme d'administration, à un genre particulier de femmes, qui ont vieilli dans l'exercice de la prostitution du plus bas étage ; qui sont trop paresseuses pour chercher aucun travail et trop repoussantes pour être accueillies nulle part".

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(14/07/2010, 08 août 2010 ; 18 oct 2010 ; 1er mai 2021 ; 13 sept. 2022 )

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Notes et références :

[1] Glossaire de la langue Romane, tome second. Par JB Roquefort. Tome second, page 338

[2] Parere (Félix Gaffiot page 1115 colonne III) apparaître, se montrer, obéir, se soumettre

[3] L'apôtre Saint Pierre est Simon Pierre, nommé "Kepha" qui en aramen (la langue commerciale)
est un rocher équivalent du "petros" grec (la langue du quotidien)

[4] Glossaire de la langue Romane, tome second. Par Jean Baptiste Roquefort. Tome second, page 351

[5] Ruteboeuf (1271) Complainte au roi de Navarre, Tiebauz ou Thibaut V comte de Champagne et roi de
Navarre

[6] Pape Pierre, apotre Simon, Kepha, Simon-Pierre.

[7] Anges et Démons Dan Brawn (2000) publié en France en 2005.

[8] Félix Galliot, Lapidosus, page 887 colonne II , endroit pierreux, plein de peirres, pain dur
comme de la pierre.

[9] Dictionnaire Jean Nicot (1606) Thrésor de la langue Française.

[10] Lexicon Latino-Gallico Graecum, 1757, page 578, Père Jésuite Franciscus Pomey

[11] Dictionnaire Grec Français Anatole Bailly page 1549, colonne I.

[12] Ibid, Anatole Bailly page 1549, colonne II

[13] Dictionnaire Erudit de la langue Française. Edition 2009, Page 1407, colonne II

[14] Emile Benveniste Origines de la formation des noms en indo-européen, Paris, Adrien-Maisonneuve

[15] Dictionnaire étymologique November 2001 Douglas Harper, Saxon.

[16] Dictionnaire Sanskrit Français Gérard Huet, page 121

[17] Dictionnaire Français Grec Alexandre Planche et Defauconpret, page 718, colonne I

[18] Dictionnaire Grec Français Antole Bailly page 1192, colonne I

[19] Ibid Anatole Bailly page 1191, colonne II

[20] Bible King James Matthew 16 : 18

[21] Œuvres d'Hippocrate, traduction d'Emile Littré. Paris Librairie de l'académie royale de
médecine 1840. Tome II, page 36, 9

[22] Dictionnaire Français Grec Alexandre Planche et Defauconpret page 718 colonne I

[23] Anatole Bailly page 1191, colonne II

[24] Dictionnaire François et de Latin, pour servir aux études de monseigneur le Dauphin.
De l'Abbé Pierre Danet.
Lyon, Nicolas de Ville, rue Mercière à Lyon. 1741, page 695 colonne I

[25] Dictionnaire François et de Latin, par l'abbé Pierre Danet. Pour servir aux études de mon,
seigneur le Dauphin. Lyon, Nicolas de Ville, rue Mercière à Lyon. 1741.page 064 colonne II

[26] M. G. Andral, Cours de Pathologie Interne tome II, librairie des sciences médicales (1836) page 362

[27] Anatole Bailly page 99, colonne III)

[28] Anatole Bailly page 92, colonne I

[29] Anatole Bailly page 2167, colonne I

[30] Dictionnaire de l'Académie 1798, 5e edition.

[31] Intéfiable : du latin "intestabilis". Il n'étoit permis à un homme, noté d'infamie, ni de rendre
témoignage, ni de faire testament avant de pourrir. Page 29
Nouvelles traduction des comedies
de Plaute, par Monsieur Gueudeville, tome III Leyde, Pierre Vander, 1719.

[32] Encyclopédie de Diderot. Tome 14 page 741 première édition.

[33] Dictionnaire François et de Latin, pour servir aux études de monseigneur le Dauphin.
De l'Abbé Pierre Danet, Lyon. 1741

[34] Œuvres de François Rabelais par P.L. Jacob, illustration de Gustave Doré, Paris Bry Ainé, 1854,
chapitre 57, page 256

[35] Cité par Paul Bertrand et Jacques Chiffoleau dans "Commerce avec dame pauvreté" page 330 "
en l'an 1376 le 23 octobre, de Jean de Pierreuse, chanoine de la petite table de Liège".
Structure et fonction des couvents mendiants à Liège (13e et 14e siècle) Bibliothèque de la faculté
de Philosophie et Lettre de Liège. 2004

[36] Bulletin de la Société liégeoise de littérature wallonne, Volume 9, page 452.

[37] Révocation par Louis XIV de l'Edit de Nantes de 1598 par l'Edit de fontainebleau du 18 octobre 1685

[38] Émile Littré: 1872, 1877 - Dictionnaire de la langue française. Pierreux.

[39] De la prostitution dans la ville de Paris, par Alexandre-Jean-Baptiste Parent-Duchâtelet, François Leuret.
Bruxelles 1848. page 61.