Entropie

Le terme "entropie"a été modelé par le physicien allemand Rudolf Julius Emmanuel Clausius à partir de la racine grecque "tropé" (τροπῇ)  afin de caractériser l'irréversibilité de la transformation de travail en chaleur dans la deuxième loi [1] de thermodynamique [2] de Carnot concernant les systèmes fermés. Une autre vue est l'entropie statistique selon la définition de Boltzmann et, concernant les systèmes, la quantité d’information nécessaire à la connaissance de l’état d’un système.

Pour Teilhard de Chardin dans le Phénomène Humain :

        «  [.] il est évident que son achèvement demeure conditionné, jusqu'aux étages
        les plus élevés, par un certain quantum primordial d'énergie tangentielle
        libre, qui va graduellement s'épuisant, comme l'entropie l'exige. [3] »

Etymologie d'Entropie

Le mot "entropé" ("ἐντροπή" [4]) grec est issu du verbe "entrepô" ("ἐντρέπω" [5]) qui signifie  tourner le dos pour fuir, amener à d'autres sentiments. Et éprouver un sentiment de crainte ou de respect.

En ce même sens, ce mot "entropé" ("ἐντροπή") désigne ainsi un changement de disposition, un changement de sentiments et une action de rentrer en soi même par honte ou par crainte.

En Sanskrit, le radical "trap" [6] signifie être intimidé, avoir honte [7], au sens de « ce dont on se détourne » [8]. Et le sanskrit nous donne "Trapa [9]"comme étant "une femme de mauvaise vie", celle "qui est la honte des siens". Et "atrapa" est ce qui est "sans pudeur".

En mythologie Grecque, "Atropos" est une des Moires, correspondant aux Parques [10] Romaines ; elle est la fille de la nuit et de l'Erèbe. Clotho  (Κλωθώ) a pour fonction de filer le fil de la vie, alors que l'autre Moire (Lachésis, Λάχεσις ) déroulait la vie et que la troisième, Atropos (Ἄτροπος) en coupait le fil. Les anciens la représentaient couverte d'un voile noir et armée de ciseaux [11] elle tranche la vie à l'heure fixée : Atropos est muette et unit le temps à la mort. Pour Atropos, les évènements du passé (atrepta [12],  άτρεπτα) sont irréversibles.

Ce mot grec "Atropos" ("Άτροπος [13]") est composé du préfixe grec "a" ("α") privatif et de "Trepô" ("τρέπω " [14].) et "tropos" ("τρόπος  " [15]) signifiant tourner, diriger, tourner le dos, faire se retourner, mettre en fuite

L'Entropie : la théorie de l'information

L'entropie de l'information de Shannon est un concept plus général que l'entropie en thermodynamique.

L'entropie de thermodynamique statistique peut être vue comme étant une application particulière de l'entropie de l'information de Shannon.

A propos d'entropie les propos suivants sont attribués à Claude Shannon : [16]

          « Mon plus gros soucis était comment l'appeler. J'ai pensé à l'appeler "information",
          mais le terme était trop utilisé, alors j'ai décidé de l'appeler "incertitude".
          Quand j'en discutais avec John von Neumann, il eut une meilleure idée.
          Il me dit, "Tu devrais l'appeler "entropie", pour deux raisons.
          - Premièrement, ta fonction d'incertitude a été utilisée en mécanique statistique sous
            ce nom, donc ça a déjà un nom.
          - Deuxièmement, et le plus important, personne ne sait ce qu'est vraiment l'entropie,
            donc dans un débat tu aurais toujours l'avantage. » [17]

  « Shannon, Szilard, Brilouin ont montré que l’information /…/ était mesurée par la
  même formule que la formule de l’entropie en la changeant simplement de sens.
  Ainsi, l’information serait une entropie négative (négentropie)… [18] »

Entropie et néguentropie ou entropie négative

Néguentropie [19] est un mot du français Léon Brillouin [20] ce afin de remplacer le terme de "entropie précédée d'un signe négatif", d'Erwin Schrödinger et ne pas violer la seconde loi de la thermodynamique.

         "Le point fondamental est de montrer que toute observation ou expérience effectuée
          sur un système physique conduit automatiquement à un accroissement de l'entropie
          du laboratoire. Il est alors possible de comparer la perte de néguentropie
          (accroissement de l'entropie du laboratoire) à la quantité d'information obtenue.
          Ce rendement est toujours inférieur à l'unité conformément au principe de
          Carnot généralisé. /…/ La théorie nouvelle présente aussi l'avantage de consolider
          la position de la thermodynamique et d'éliminer un bon nombre de paradoxes,
          comme le démon de Maxwell" [21]

Organisation maintenue par extraction d'ordre du milieu environnant.

Prix Nobel de physique (remis le 10 décembre 1933 [22], conjointement attribué avec Paul Dirac), Erwin Schrödinger déclare : [23]

"Comment pourrions nous exprimer /../ la merveilleuse faculté que possède un organisme vivant de ralentir sa chute vers l'équilibre thermodynamique, la mort ? Nous l'avons déjà dit "il se nourrit d'entropie négative", /../ afin de compenser l'accroissement d'entropie qu'il produit en vivant et se maintenir ainsi à un niveau d'entropie stationnaire suffisamment bas" [24].

L'entropie précédée d'un signe négatif:

"Ainsi le mécanisme grâce auquel un organisme se maintient stationnaire à un niveau assez élevé d'ordre (= niveau assez bas d'entropie) consiste réellement en ce qu'il absorbe continuellement de l'ordre, à partir du milieu environnant.

Cette conclusion est moins paradoxale qu'elle ne paraît à première vue".[25]

Auparavant Schrodinger explique :

"Ansi, l'expression peu commode d' 'entropie négative'      "the aukward expression 'negative entropy'
peut être remplacée par une meilleure :                                can be replaced by a better one :
l'entropie, précédée du signe négatif,                                    entropy, taken with a negative sign,
est elle même une mesure d'ordre" [26].                                which serves as a measure of order" [27]

« Les remarques faites au sujet de l'entropie négative ont été recues avec doute et opposition par des collègues physiciens. Qu'il me soit permis de dire tout d'abord que, si j'avais écrit pour eux seuls, j'aurais plutôt fait rouler la discussion sur l'énergie libre ».[28]

Hubert Reeves  (« La recherche » Février 2019) :

« Avec ces éclairages nouveau sur le contenu physique du mot « entropie » et de son accroissement obligé, les directives du second principe de la thermodynamique perdent l’aura de fatalité que les thermodynamiciens lui avaient assigné » [29].

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(22 nov 2011,  08 mars 2012, 06 octobre 2013, 24 mars 2019, 05 mai, 06 août, 09 avril 2020; 09 septembre ; 24 avril 2021 ; 30 sept. 2022 ; 19 oct.; 17 mai 2023)

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[1]      Deuxième loi issue du principe de Carnot : D'un système fermé aucun travail n'est fournit sans
          apport d'énergie  d'un système extérieur. Cf. Construction et énergie de  Manfred Hegger,
          Thomas Stark,Manfred Fuchs,Martin   Zeumer. Presses Polytechniques et universitaires Romandes,
          2011. Page 43 " En 1865 Rudolf Claudius a  défini le second principe de la thermodynamique
          selon lequel l'entropie d'un système fermé augmente /…/ Il en ressort qu'en absence d'énergie
          venant de l'extérieur, les systèmes se dirigent toujours vers un état de  désordre supérieur".

[2]      "Les états de la matière", Roger Balian, Université de tous les savoirs, Odile Jacob, 2002. Page205

[3]      Le phénomène Humain. Père Pierre Teilhard de Chardin. Éditions du Seuil, 1955. Page 54.

[4]      Dictionnaire Grec Français Anatole Bailly Hachette Edition 1963, page 690 colonne II :
            "εντροπη" ("entropê")  action se se retourner, changement de dispositions, de sentiments.

[5]      Dictionnaire Anatole Bailly, ibidem, page 690 colonne I : "entrepô" ("εντρεπω"): retourner, se laisser
          émouvoir,  se préoccuper, éprouver un sentiment de honte.

[6]      Dictionnaire Sanskrit Français. Nadine Stchoupak, Luigia Nitti et Louis Renou. Paris 1959, Adrien
          Maisonneuve. Page 291, colonne I : "trap" , "trapyati" : être intimidé, honteux. "Trapa" pudeur, honte,
          timidité, perplexité.

[7]      Dictionnaire classique sanskrit-français; Émile Louis Burnouf, François Etienne Leuloup De Cheray
          page 775  colonne II

[8]      Dictionnaire classique sanskrit-français; ibid., page 302 colonne I

[9]      Dictionnaire Sanskrit Français Émile Burnouf, ibid. page 302, colonne I : "Trapa" : honte, modestie,
            de mauvaise vie, honte des siens, En Grec "entropé" ("εντροπε")
            et "traparanda" : femme de mauvaise vie.

[10]     Dictionnaire de la mythologie grecque et romaine. Pierre Grimal. PUF, 14e édition 1999, Page 348
            colonne I : Les Parques sont à Rome les divinités du destin identifiées aux Moires grecques dont elles ont
            revêtu peu à peu les attributs.

[11]     Dictionnaire Classique de l'antiquité. Page 158 colonne II.

[12]     Atrepta, (άτρεπτα  ) est l'adjectif pluriel de "atreptos" ("ἄτρεπτος ") -dictionnaire Bailly page 304
            colonne II :   qui ne se détourne pas, immuable, impassible.

[13]     Dictionnaire Grec Français Anatole Bailly Hachette Edition 1963, page 304 colonne III :
            atropos ("ἄτροπος ") non labouré, qu'on ne peut tourner, immuable, éternel, inflexible,
            malséant, inconvenant

[14]     Dictionnaire Planche page 1113, colonne III : tourner, retrourner, changer, faire tourner le dos,
            mettre en fuite.

[15]     Dictionnaire Grec Français Anatole Bailly Hachette Edition 1963, page 1967 colonne II :
            tropos ("τρόπος ") signifie "tour", "direction","manière", "façon".
            "Tropos" est aussi (page 1968 colonne I)  la courroie pour attacher une rame à un navire.

[16]"   Relative entropy and Statistics" François Bavaud. Université de Lausanne. Suisse

[17]     Ibid. : Cité par François Bavaud d'après la Revue Tribus and McIrvine 1971,
            scientific American 224, pp 178-184

[18]     La Communication. Abraham André Moles, Claude Zeltmann. CEPL 1971.
            Page 237 (note latérale) et 238.

[19]     « Néguentropie » ou « Négentropie ». Source CNRTL.

[20]     Science and Information Theory. Academic Press 1956

[21]     Préface et Introduction de La Science et la théorie de l'information. Léon Brillouin. Masson, 1959.
            Introduction page x (traduction de Science and Information Theory, Academic Press 1956)

[22]     En cette même année 1933, Werner Heisenberg  reçoit le prix Nobel de physique  (mais
            pour l’année 1932).

[23]     Paul Adrien Maurice Dirac et Erwin Schrödinger, récipendaires du prix Nobel de physique en 1933 pour :
            " the discovery of new productive forms of atomic theory".

[24]     Erwin Schrodinger, "What is life", chapter 6 "how would we express in terms of the statistical
            theory   the marvellous faculty of a living organism, by wich it delays the decay into
            thermodynamical equilibrium (death) ? We said before: 'it feeds upon negative entropy',
            attracting, as it were, a stream of negatice entropy upon itself,  to compensate the entropy increase it
            produces by living and thus to maintain itself on a stationary and fairly low entropy level.

[25]     Erwin Schrodinger, "Qu'est-ce que la vie?". Traduction de Léon Keffler. Christian Bourgeois
            éditeur, 1986.
            Page 132 (Traduction de : "What is life", chapter 6 : Thus the device by which an organism remains
          stationary at a fairly high level of ordiness (= faily low level of entropy) really consists in
          continually sucking orderliness from its environment. This conclusion is less paradoxical than it appears
          at first sight")

[26]     Erwin Schrodinger,"Qu'est-ce que la vie?". Traduction de Léon Keffler. Christian Bourgeois éditeur,
          1986. Chapitre VI, Ordre désordre et entropie. Page 132)

[27]     Erwin Schrodinger,"What is life", ibidem. Chapter 6

[28]     Erwin Schrodinger, "Qu'est-ce que la vie?".Ibid. page 132 note 1 de bas de page.("What is life",
            chapter 6:
            "The remarks on negatice entropy have met with doubt and opposition from physicist colleagues.
            Let me say first, that if I had been catering from them alone I should have let the discussion turn
            to free energy instead")

[29]     Hubert Reeves. La recherche  numéro 544, février 2019. Page 37 colonne II.