Délinquant

Étymologie de délinquant

Le mot "délinquant" nous vient du latin "delinquens" [1] (participe passé du verbe latin " delinquere") et par-là désigne donc ce qui est "delinquere [2]" ce qui signifie "négliger", et désigne également celui "qui a commis un délit" [3].

Cicéron utilise ce verbe latin "delinquere" pour décrire la conduite scandaleuse de beaucoup d'éminents philosophes plus enclins à prodiguer des principes qu'à les suivre :

"Artem-que vitae professus [4], "Enseignant l'art de se conduire
delinquit in vita
[5]" il pèche dans sa (propre) conduite".

Ce même extrait des œuvres de Cicéron est cité par Pétrarque dans ses "Epistolae de Rebus Familiaribus" [6], et est repris également par le révérend Jacob Henry Brooke Mountain dans son analyse du comportement des grands philosophes [7] afin de défendre sa propre thèse dans son résumé des écrits de Lactantius [8].

"Délinquant", et la source latine "deliquere" et de-linquere ou "linquere de":

Le synomymes latins et leurs différentes significations nous indique [9] les différences entre le "Crimen", "culpa", "delictum", "peccatum" "maléficium" et "maleficentia".

-"Crimen" ("Krima" "κριμα", judicium[10]) est proprement accusation, reproche.

- "Culpa" : faute lègère, ou de faiblesse.

- "Delictum" (linquere [11] de), omission, négligeance, on ne fait pas ce qu'il faut faire

- "Peccatum" est une trangression, on fait ce qu'il ne faut pas faire

- "Maleficium" (male facere) se dit de toute mauvaise action

- "Maleficentia" , délit commis

Le délit, ce que l'on laisse, depuis le sanskrit "leik"

Ce délit (delictum) venant du latin "linquere de", et issu du grec "leipo [12]" ("λειπω") est un héritage du sanskrit "rinakti"[13].de la racine "leik"[14], signifiant "laisser".

A propos de cette racine "linquo" et du latin "linquere" Emile Benveniste note [15]:

"Cette racine * leikw- qu'on traduit " laisser " ou " rester " selon
que le verbe a ou non un régime, signifie, en fait : " se trouver
déficient, faire défaut, manquer à l'endroit où l'on devrait être " .
Le parfait homérique "léloipa" ne signifie pas " j'ai laissé "
comme "reliqui", parfait transitif, mais " je suis en état de manque " ,
parfait intransitif malgré sa construction qui peut être active :
"leloipôs" signifie " qui manque "

On voit dans ces textes que cette notion du sens latin de "delinquere", qui signifie "en faute" au sens de "péché" se retrouve dans le "Dictionnaire universel de philologie sacrée" [16] avec le sens très proche de "commettre une faute" ou un "péché".

Ce même dictionnaire de philologie rattache le sens du latin "delinquere" aux deux mots grecs "plemmelein" et "amartanei" [17]

1 - "plemmelein" ("πλημμελειν"[18]) qui signifie "faire une fausse note" et au sens
figuré "commettre une faute", une "erreur" et par là faire ce qui est contraire
à la règle, faire une "faute par négligence".
2 - "amartanei" ("αμαρτανει"
[19]) qui signifie "manquer le but", s'égarer, dévier,
"se tromper"

Du latin "Deliquere" au Français "délinquer"

Le latin "Delinquere" donnera l'ancien Français "délinquer[20]"

Le traité de droit criminel de Jacques Frédéric Rauter stipule :

"Sous le rapport de l'étendue de l'acte de "délinquer" on distingue
le délit simple du délit complexe et du concours de délits
[21]

"Délinquer" pour les dictionnaires étymologiques, outre une entrée signalée dans le dictionnaire Godefroy, est donné comme "manquer" (à son devoir), du latin "linquere" laisser.

Le dictionnaire Godefroy cite également la définition non pas de "délinganche", mais de "delinquance" avec ce même exemple extrait du cartulaire de Saint Wandrille cité dans le "Dictionnaire de l'ancien langage François" :

"apportera tons coust et damageses, qu'eux soutiendroit par défaut de la
garantie et delinganche"
[22].

Le dictionnaire des synonymes Doderlein donne en latin les synomimes du mots "délictum", "peccatum [23]", malefactum Malificium, Facinus, Flagitium[24], Scelus, Nefas Impetias.

"Delictume et peccatum, trangression légère : delictum, des lois positives, par légèreté ;
peccatum, des lois de la nature et de la raison, par sottise.
[25]."

En Latin "deligere [26]" signifie faire son choix, et le dictionnaire de synonymes Doderlein donne [27]:

"Deligere", "eligere", faire son choix, ne pas laisser plus longtemps
le choix en suspens, choisir et ne pas prendre le premier choix venu.

Définition de "delinganche": les délinqueurs

Le dictionnaire Historique de l'Ancien langage François de La Curne de Sainte Palaye définit Délinganche [28]: Délit action de délinquer.

Le dictionnaire Godefroy définit lui, "délinquir" comme "commettre un délit" et le "delinqueur [29]" est "celui qui commet un délit" :

"Que les dits pilleurs robeurs ou delinqueurs ils prennent et punissent selon l'exigence des cas…[30]"

Le sens de "délinqueur" voire de "délinquant" est ainsi, au moyen age, surtout utilisé en le sens de "dévoyer la règle".

Vers 1350, faisant référence à ce "manquement à la règle" par quelque moine du Diocèse de Strasbourg la revue catholique rapporte : [31]

"N'oublions pas que les abus signalés étaient loin d'être généraux, ce que prouve le
soin minutieux avec lequel les moines conservaient dans leurs archives les
admonestations sévères, adressées aux délinquants par les prélats et les abbés".

Le "délinqueur" est un "délinquant" : la "punition dont on use"

Ce même "Dictionnaire Historique de l'Ancien langage François" donne la définition du "délinqueur" comme : "délinquant" [32] qui y devient "la punition dont on a, depuis, usé contre les moines delinqueurs" [33]

Et le mot "délinquer" est "tomber de fatigue", "décliner", "perdre de son crédit" ou de sa fortune[34]

La Jurispridence du conseiller et jurisconsulte Guy Pape [35] note en table générale des matière et renvoie (en page 11) à la définition suivante :

"Moine délinquant hors de son couvent :
Le moine et le religieux doit en ces cas être renvoyé à son supérieur, par le juge
devant qui il a été accusé; comme le fut un Moine du Prieuré de S. Robert, auprès de
Grenoble, par Arret de 1556."

Plus recemment : "Les Chroniques de l'œil de Bœuf" publiées au XIXe siècle, décrivent à l'envi les scènes truculentes, (et pour l'époque fort osées), faisant "évoluer le sens du "délinquant" vers le "ribaud" :

/…/ Le Franciscain Jean-Baptiste fut trouvé le lendemain avec deux femmes dans une
maison de la rue Fromenteau. Les trois acteurs de cette scène érotique avaient déposé
entièrement les pompes de ce monde, et ce ne fut que par la barbe que le commissaire
trouble-fête put se saisir du moine délinquant"
[36].

Le sens du mot qui dépeignait ainsi le manquement à une règle, décrit maintenant un comportement délictueux :

De nos jours le terme de délinquant concerne plus fréquemment une description
de type "fête criminogène
[37]" : "Beuveries et "ripailles" [38], viols [39]
et orgies, vantardises, grimaces, obscénités et jurons, paris, défis,
rixes et atrocités sont inscrits à l’ordre du jour"
[40].

Le comportement délictueux est néanmoins polarisé entre le délinquant et le déviant :

"Ces adolescents auteurs d'actes déviants ou délinquants" [41]

Outre manche le "delinquent" est "mauvais payeur"

Outre Manche un "délinquant juvénile" est un "juvenile delinquent", les Anglais avec "deliquent" ont conservé le "e" latin de notre "délinquant" et, sur les bords de la Tamise un "delinquent account" est un "compte en banque en souffrance" et de plus, pour le glossaire de la Microfinance [42], les "delinquent payments" sont les "impayés" alors que le "delinquent client" est le "client qui rembourse en retard".

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(17 octobre 2010, 20 nov. , 21 déc. , 20 Janvier 2011 ; 24 avril 2021 ; 19 sept. 2022)

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Notes et références :

[1] An etymological dictionary of the French language. John Murrey, Londres 1869.. Par Edward Pick
page 49 colonne I

[2] Felix Gaffiot page 490 colonne III delinquere : faire défaut, faire faute; manquer moralement, faillir.

[3] Dictionnaire Armand Colin, (Imprimerie Capiomont). page 275, colonne II

[4] Le latin "professus" est le participe du verbe latin "profiteor" (Felix Gaffiot page 1248 colonne II)
signifiant "déclarer ouvertement", se donner comme maître. Jacques Derrida dans "L'Université sans
condition" -Galillée 2001 page 34 : "Professer, ce mot d'origine latine (
profiteor, professus sum ;
Pro et fateor
, qui veut dire parler, d'ou vient aussi la "fable" et donc un certain "comme si") signifie en
français comme en anglais, d
éclarer ouvertement, déclarer publiquement"

[5] Œuvres complète de Cicéron. "Les Tusculanes". Paris Werdet et Lequien Fils,1826. Tome 28. Page 182.
Ce même extrait de Cicéron est cité également par Félix Gaffiot dans son Dictionnaire Latin Français
page 490 colonne III Delinquo : (sens 2), manquer moralement, "Artem vitae professus, delinquit in vita".

[6] Pétrarque Epistolæ de rebus familiaribus et variæ. De Joseph Fracassetti, Florence Le Monnier, 1862.
Tome II, Page 412

[7] "A summary of the Writings of Lactantius" de Jacob Henry Brooke Mountain. Londres 1839.
Page 26

[8] Lucius Caelius Firmianus Lactantius vers 240-320.

[9] Synonymes latins, et leurs diffeŕentes significations. Par Jean Baptiste Gardin Dumesnil. Paris 1788.
Page 190

[10] En grec le mot "krima" ("κριμα") est l'objet d'une constestation, une querelle, un jugement, une décision.
Anatole Bailly page 1136 colonne III

[11] Dictionnaire Felix Gaffiot page 913 colonne III, Linquere (du grec "leipo" λειπω") laisser quelqu'un, laisser
quelque chose où cela est

[12] Dictionnaire Anatole Bailly page 1177 colonne II, "leipo" ("λειπω") laisser quitter abandonner, délaisser

[13] Cité par Anatole Bailly page 1177 colonne III et page 230 de "A Sanskrit reader" de Charles Rockwell
Lanman correspondant de l'Académie des inscriptions et Belles Lettres) Ré edité en avril 2010

[14] 'Indo-European linguistics: an introduction" Par James Clackson. Cambridge University Press 2007.
Page 74 et page 151

[15] Emile BenvenisteLe vocabulaire des institutions indo-Européennes, editions de minuit1969. Tome 1,
page 188, chapitre 16, Prêt, emprunt et dette en Germanique.

[16] Par Charles Huré. Paris J.P. Migne 1846. Tome premier, page 1071

[17] Sylvain Gouguenheim. Aristote au mont Sain Michel. Seuil mars 2008. Chapitre premier. Jusqu'au haut
moyen âge le grec est d'un usage courant dans le shères ecclésaiastique et dirigeantes occidentales.
Page 33 : la circulation forcée des élites.

[18] Anatole Bailly page 1571 colonne III "πλημμελεω" : faire une fausse note, commettre une faute

[19] Anatole Bailly page 93 colonne I : Commettre une faute, manquer son but, faillir

[20] Dictionnaire étymologique de Français page 275 colonne II, indique l'usage de Délinquer en 1429 en
référence au dictionnaire Godefroy. Par ailleurs le Dictionnaire Erudit de la langue Française page 513
colonne I : Délinquant : de l'ancien Français vers 1350.

[21] "Traité théorique et pratique du droit criminel français" de Jacques Frédéric Rauter. Paris Charles Hingray,
1836. Tome premier Page 194, paragraphe 103.

[22] Extrait du Cartulaire de Saint wandrille, XIIIe siècle cité à la fois dans le Dictionnaire historique de l'ancien
langage François de son origine à Louis XIV, à la définition de Délingance ainsi que dans le dictionnaire
Godefroy pour la définition du mot "delinquance".

[23] En sanskrit le 'pataka' est la faute le péché, le vice, qui donnera la latin peccare (dictionnaire Sanskrit
Français G Huet page 184. Le pataka est en Sankrit, ce qui cause la chute, comme le fait un crime.
(A sanskrit Reader page 189.

[24] Manuel de synonymie latine. Louis Doederlein, "Facinus, c'est comme 'deinon' (δεινον) qui excite de
l'étonnement ou de l'épouvante page 67

[25] Manuel de synonymie latine. Louis Doederlein, edition Française Publiée par Th Leclaire. Librairie Perisse,
Paris Bruxelles 1865. Page 67

[26] Dans le dictionnaire Latin de Félix Gaffiot page 490 colonne II : "déligo, d'infinitif "déligere" signifie :
choisir elire, cueillirn mettre à part. Le mot précédant est deligo, d'infinitif "deligare" signifie lui amarrer.
Ces deux mots n'ont pas même infinitf.

[27] Manuel de Synomymie Latine. Ludwig Döderlein. Traduit par Marie Ignace Théodore Leclaire en 1865.
Librairie classique de Perisse. Tome unique, Page 67

[28] Dictionnaire historique de l'ancien langage Françoise de son origine à Louis XIV, par La Curne de Sainte
Palaye. Imprimé à Niort par Louis Favre, est chez le Libraire H Champion à Paris 1878.Tome Cinq,
page 39 colonne 2 : Définition de Delinganche

[29] Dictionnaire Godegroy page 484 volume 2

[30] Recueil général des anciennes lois françaises. Par messieurs Jourdan, Decrusy et Isambert.
Quatrième livraison 1401 à 133. Volume 7, page 381, mois de Mai 1413, paragraphe 251.

[31] Revue Catholique d'Alsace Strasbourg Typographie de Louis François le Rous 1862. Volume 4 , page 415,

[32] Bien que les définitions soient près proches, seul le Dictionnaire historique de l'ancien langage Françoise
de son origine à Louis XIV, donne
délinquant pour la définition de "delinqueur".

[33] Dictionnaire Historique de l'Ancien langage François de son origine à Louis XIV, par Jean-Baptiste de
La Curne de Sainte-Palaye. Chez Favre Niort Tome 5 page 40 colonne I.

[34] Glossaire du Poitou de la Saintonge et de l'Aunis. Par Louis Favre. Niort 1807. Page 109. De l'ancien
Français "delinquay"

[35] La jurisprudence de Guy Pape et Nicolas Chorier, edité à Lyon chez Jean Certe rue mercière en 1692.
Table générale des matières en page 363 et suivantes, définition de "Moine delinquant hors
de son couvent", et page 11.

[36] Chroniques pittoresques et critiques de l'Oeil de Bœuf, des .petits appartements de la Cour et des salons
de Paris. Par Georges Touchard-Lafosse 1845, tome 3, page 499.

[37] Maurice Cusson Professeur à l'Ecole de Criminologie "La délinquance, une vie choisie".
Avril-Juin 2006, Revue internationale de criminologie et de police technique et scientifique

[38] Voir l'étymologie de Ribaud

[39] Voir l'étymologie de Violence

[40] Ibid Maurice Cusson"La délinquance, une vie choisie". Genève, vol 54.
(Caillois 1951 : 42 et Caillois 1958))

[41] L'Harmattan 2009: "Adolescents qui dérangent: entre différenciation et provocation"
Bernard Gaillard page 63

[42] Glossaire de la microfinance(2007) , site du GRET (groupe de recherche et d'échanges technologiques),
ONG de solidarité.