Haren-Evere - Historique

Un grand merci à Sven Soupart qui a autorisé l’écriture de cet article à partir de son livre et dont nous vous conseillons vivement la lecture en complément de ce résumé

« L’AÉRODROME DE HAREN-EVERE - MÉTAMORPHOSES D’UN HAUT LIEU DE L’AVIATION BELGE paru aux éditions AAM (Archives d’Architecture Moderne), Rue de l’Ermitage 55, 1050 Bruxelles.

Dans la banlieue bruxelloise, du côté d’Evere, certaines rues portent des noms à consonnance aéronautique : ainsi de la rue du « biplan » ; de celle du « planeur » ou encore de « l’aéronef »… Cela s’explique peut-être en partie par le fait que cette commune partage avec sa voisine Haren, l’honneur d’avoir accueilli, au début du siècle dernier, sur une partie de leur territoire à chacune le premier champ d’aviation à vocation internationale… dont découlera ultérieurement, au terme de deux déménagements successifs, vers Melsbroek et Zaventem ensuite, la création de l’aéroport de Bruxelles-National. Mais n’anticipons pas…

L'avion du baron Pierre de Caters

En Belgique, l’histoire de l’aviation débute en 1908 avec les premiers vols du baron Pierre de Caters… ou encore avec ceux du constructeur d’avion français, Henri Farman, qui un peu auparavant, en mai de la même année effectua la toute première démonstration aérienne, au-dessus du sol belge, lors de la « Semaine de l’Aviation » à Gand. Cet engouement pour les plus lourds que l’air se traduisit par d’autres exploits du même tonneau dans le restant du monde : premier vol contrôlé des frères Wright à Kitty Hawk en 1903 ; traversée de la Manche par Blériot le 25 juillet 1909 ;

grande semaine de l’aviation en Champagne (France) du 22 au 29 août 1909 attirant plus d’un million de visiteurs, ce qui était phénoménal pour l’époque,… et bien d’autres exploits et manifestations dont la succession est interrompue par le début de la Première Guerre mondiale rn 1914.

Rapidement après avoir envahi et annexé presque toute la Belgique, l’occupant allemand se rendit compte que ce terrain situé à cheval sur Haren et Evere était idéal pour accueillir un champ d’aviation. Aussi une société berlinoise y construisit un hangar à zeppelins d’une longueur de 180m ; d’une hauteur de 23 m ; et d’une largeur de 34 m. D’autres bâtiments situés sur la commune d’Evere furent érigés : des ateliers et cantonnements.

Et c’est de cette base militaire toute neuve que, le 29 avril 1915, partiront les premiers zeppelins pour aller bombarder Londres. Cependant les Anglais, vexés du procédé (on le serait à moins !), ne se laisseront pas faire puisque le 7 juin de la même année, ils envoient quelques avions de chasse dont les pilotes ont pour mission de rendre inopérants, en les incendiant, le hangar, le zeppelin et toutes les installations nécessaires à sa mise en œuvre, tâche dont il s’acquitteront avec succès.

Après l’armistice le 11 novembre 1918, les autorités belges héritent du hangar et des infrastructures allemandes et envisagent leur conversion dans l’intention d’y développer le transport civil qui est alors en plein essor, suite à la reprise de l’activité économique et au progrès accompli en matière de construction aéronautique.

La compagnie aérienne nationale SABENA contribuera aussi à l’essor de Haren-Evere en organisant dès la fin des années 20, pour quelques passagers fortunés, des vols à destination des capitales européennes voisines de la nôtre. Du reste la Famille royale et particulièrement le Roi Albert Premier et la reine Elisabeth étaient des habitués de Haren-Evere et empruntaient souvent les premières lignes desservies par des avions.

De son côté, l’armée elle aussi aura contribué indirectement à l’essor de l’aviation civile. En effet, c’est en son sein, qu’en 1913 est fondée la « compagnie des aviateurs ». Cette dernière achètera alors des avions dont le nombre passera de 27 en 1914 à 139 en 1917. Et comme durant toute de la guerre, cette « compagnie » détint pour ainsi dire le monopole des activités aériennes, il ne faut pas s’étonner qu’une fois la paix revenue, elle deviendra la plus importante pourvoyeuse de personnel qualifié qu’il s’agisse de techniciens ou de pilotes dont certains furent même des héros au cours de la Guerre, tels Willy Coppens de Houthulst ayant 37 victoires à son actif. Sans oublier les infrastructures et le matériel dont la qualité et la fiabilité se sont considérablement améliorés durant les hostilités, ce qui sera aussi bénéfique à l’essor de l’aviation civile, puisque les premières compagnies aériennes opéreront souvent avec des ex-avions militaires (adaptés en version civile) issus des surplus de la plupart des armées de l’Air mis en oeuvre souvent à partir de terrains militaires.

La paix étant revenue, l’armée belge hérite donc à Evere de très bonnes installations mises en place par les Allemands, à commencer, selon un inventaire établi en 1919 par le hangar à zeppelins (qui n’avait que partiellement été endommagé par l’incendie durant la guerre et qui sera définitivement détruit en 1923), et les bâtiments connexes : diverses baraques de briques ou de bois ; magasins de pièces de rechange ; ateliers d’entretien et de réparation… auquel s’ajoutait la récupération d’un tas d’équipements d’aviation à usage civil et militaire, accumulé là pendant cinq ans. Le colonel Van Crombrugge, responsable de l’aviation, plaida la cause de faire de ce champ d’aviation une plate-forme à vocation à la fois militaire et civile. L’état des installations de Evere rendait ainsi le projet possible de les convertir, à moindres frais, en un nouvel aéroport. Ainsi naquit le champ d’aviation civil et militaire de Haren-Evere qui était tantôt dénommé Evere et tantôt Haren ou encore Haren-Evere selon que l’on envisageait le terrain dans sa dimension civile, militaire ou encore mixte.

Cette sensibilisation et l’intérêt soutenu pour l’aviation poussa également d’autre petites ou grosses sociétés privées à investir dans ce segment prometteur. Ainsi naquit le 25 mars 1919, la SNETA ou «Syndicat National pour l’Etude du Transport Aérien» qui se donna pour but d’étudier la possibilité d’envisager l’aviation comme une activité commerciale à part entière. La puissante holding coloniale CCCI (compagnie du Congo pour le Commerce et l’Industrie) était également de la partie, et ses investisseurs les plus importants avaient surtout alors en vue le Congo. Aussi, se mobilisèrent-ils, avec l’assentiment du gouvernement, en faveur de trois projets principaux : la création d’une entreprise de construction d’avions ; l’établissement d’un réseau aérien couvrant l’Europe… mais aussi le Congo ! C’est ainsi que fut d’abord créée la SABCA (Société Anonyme Belge de Construction Aérienne) dont la SNETA sera l’actionnaire principal ; puis vint le tour de la SABENA en 1923. Dans l’intervalle, la SNETA s’était attelée à la réalisation du troisième projet. : le développement parallèle du transport aérien au Congo et en Europe. Bref entre 1919 et 1929, la jeune compagnie aérienne belge a pour base un terrain militaire. Avec le temps, certaines des zones sises à l’ouest et au nord seront accaparées par les militaires qui y construiront même une importante caserne. L’aéroport civil lui se développera dans la zone sud du champ d’aviation. Anecdote amusante, à cette époque, l’arrivée d’un avion était annoncée par la sonnerie d’une cloche, comparable à celle qui sonne, parfois encore aujourd’hui, la fin de la récréation dans une cour d’école ou de collège.

Alors quel’aviation civile n’était encore alors dans ses balbutiements, les équipements de l’aéroport se renouvellent peu à peu au fur et à mesure des nouveaux besoins. Ainsi voit-on apparaître également les premières dénominations « Aérodrome de Bruxelles Haren ou encore « Promenades aériennes ». L’infrastructure qui est gérée par l’Etat comprend : les bureaux affectés à la direction de l’aéroport ; une bureau et une salle d’accueil pour la douane ; une station météorologique ; une station radio ; des hangars pour parquer les avions en transit ; d’autres hangars pour les véhicules de service ou encore pour les réparations ; des magasins et des ateliers. En Belgique, la gérance de tous ces bâtiments sera confiée à l’administration de l’Aéronautique. Cette dernière dépendra du ministère de la Défense jusqu’en 1925, puis du ministère des Transports. Les passagers les plus prestigieux sont principalement des hommes d’affaires ; des entrepreneurs ; des politiciens en vue et des journalistes en soif d’aventures. Le terrain est aplani ; drainé et clôturé. En 1921, la zone d’atterrissage couvre une superficie de 1000 X 780 m. couverte d’un gazon ondulant légèrement par endroits et est à 55m au-dessus du niveau de la mer. Au milieu des années 20, un balisage lumineux est installé rendant désormais possible des vols la nuit. Le bâtiment principal réservé à l’accueil et à l’attente des passagers fut, lui, érigé au cours des années trente. Depuis 1919, toute inauguration était toujours rehaussée de la présence de prestigieuses personnalités , telles que le Roi Albert premier ou encore des héros de l’aviation militaire.

Du point de vue des activités, la SNETA avait d’abord organisé des vols publicitaires avec de vieux avions militaires déclassés. La toute jeune SABENA y aura son siège de relations publiques durant tout l’entre-deux-guerres et y organisera quelques même quelques événements dont un, en 1925, à l’occasion de la première liaison aérienne Belgique-Congo emmenée par le commandant Thieffry et son équipage aux commandes du Handley Page trimoteur baptisé « Joséphine-Charlotte » ; et un autre lors du bref passage de Charles Lindbergh en Belgique après le premier vol transatlantique New York Paris en 1927. Le jeune aviateur américain y reçut un accueil enthousiaste et fut félicité de son exploit par le roi Albert Ier.

Dès sa fondation en 1923, la SABENA eut à cœur de créer trois lignes aériennes : la première reliant Londres à Cologne ; la deuxième reliant la France aux pays scandinaves ; la troisième reliant les Pays-Bas à la Suisse. Et ce ne sera pas avant le 23 février 1935, que le Fokker « Edmond Thieffry » quitte Bruxelles pour le Congo et simultanément débute la nouvelle ligne LBC (Ligne Belgique Congo) développée en coopération avec la société française Régie Air Afrique. Ensuite SABENA va investir pour se doter d’appareils plus confortables. Son choix se porte d’abord sur le Douglas DC-2, mais l’administration de l’aéronautique s’y opposant, elle jette finalement son dévolu sur le trimoteur italien Savoia Marchetti S 73. La cabine conçue pour accueillir 18 passagers était en outre pourvue d’un bar et d’un frigo. Ainsi cet appareil emportait non seulement le double de passagers que son prédécesseur le Fokker VII, mais encore le faisait-il à une vitesse de croisière plus grande (270 km/h) L’équipage nécessaire à son pilotage est alors de 4 personnes. Dès 1936, la flotte s’agrandit encore avec des appareils entièrement métalliques : Junkers JU 52, qui peut transporter 17 passagers à une vitesse de croisière d’environ 243 km/h. Encore plus puissant que le S-73, le S-83 fut le premier tye d’avion de la SABENA à avoir un train d’atterrissage amovible. Il pouvait transporter 10 personnes à une vitesse de croisière d’environ 360 km/h. C’est au cours de l’année 1938 et au début de l’année 1939 que la SABENA va acheter encore un nouveau Marchetti ainsi que deux Douglas DC-3. Ce dernier peut emporter 26 passagers pour une vitesse de croisière de 276 km/h. et c’est par la voie maritime qu’arrive le premier DC-3, en pièces détachées… en Belgique où il est réassemblé en janvier 1939. Le début de la Deuxième Guerre mondiale, le 10 mai 1940, entraîne l’interruption immédiate de l’exploitation de toutes les lignes européennes de la SABENA… limitant du coup dés lors les activités du terminal aéroportuaire de Haren qui avait été agrandi, dès 1933 pour accueillir les bureaux de sociétés travaillant pour le compte de l’aéroport. Le premier bâtiment de la SABENA sera quant à lui converti en café restaurant sous le nom de « Avia-Palace » qui ne sera démoli qu’en 2007 pour laisser la place au tout nouveau quartier général de l’OTAN actuellement en construction. Mais ne brûlons pas les étapes… de 1936 à 1938… qui sera encore rehaussée de deux étages bien plus tard entre 1945 et 1946.

Au cours des années 30 du reste, les progrès de l’aviation se traduisant par des avions civils toujours plus grands… les autorités portuaires de Haren vont se doter d’un hangar civil plus grand, ce sera le hangar VII dont la réalisation (selon des techniques ultra-modernes pour l’époque) sera confiée à la firme « La Construction soudée » établie à Haren. Ce hangar VII d’une longueur de 64 m et d’une largeur de 44 m offrait, grâce à son armature d’acier externe, un espace intérieur sans qu’aucune colonne ou mur porteur ne soit nécessaire à l’intérieur. En outre deux larges portes roulantes sur rails le rendaient accessible en façade sur toute sa longueur.

La Deuxième Guerre mondiale et l’occupation allemande auront une grande influence sur l’évolution du champ d’aviation de Haren-Evere. C’est que déjà à la fin des années 30, Haren Evere commençait de ne plus correspondre aux desiderata des compagnies aériennes dotées d’avions plus modernes, nécessitant par exemple de plus de longueur de piste pour atterrir ou décoller. La question se pose alors d’adapter le terrain et ces infrastructures d’accueil des passagers ou administratives et techniques en fonction de ces nouvelles contingences… et comme les militaires envisagent eux aussi de leur côté de déménager de Haren vers un nouveau terrain situé à cheval sur les communes de Melsbroek et Zaventem, les civils décident de les suivre dans cet exode pour y construire un nouvel aéroport. Le début de la Deuxième Guere mondiale empêchera la mise en œuvre de ce projet… qui sera toutefois développé par les Allemands par l’érection d’une infrastructure aéroportuaire réservée à leur usage bien entendu ! Toutefois les Allemands ne seront pas gagnants sur toute la ligne dans cette affaire, puique, peu avant le début des hostilités, la plupart des avions de la flotte de la SABENA, toujours basée à Haren, leur échappera. En effet ces avions furent, pour la plupart, alors évacués vers Londres. Quant aux autres avions n’ayant pu être évacués, ils seront sabotés ou rendus inopérants par les Belges avant l’arrivée des Allemands. Ce qui n’empêchera pas la Luftwaffe, à partir du 17 mai 1940, de se rendre maître du champ d’aviation de Haren où Hitler effectuera uen visite le premier juin 1940. Les Allemands compléteront l’infrastructure existante par la construction du Hangar VIII et par la réalisation d’une piste en dur longue de 820 m. Un taxi-way sera aussi construit en 1942 en vue de permettre aux avions d’aller de Haren à Melsbroek.

Après la libération, la Royal Air Force s’installe sur l’aéroport de Melsbroek et fait réparer les pistes qui avaient été bombardées par les alliés. Ce sera à dater de cette époque que le sort de Haren Evere sera hélas scellé. On peut lire dans le périodique « L’écho des ailes » paru en novembre 1946, qu’il va être démantelé et que toutes les activités aériennes transférées vers Melsbroek. Surtout que la même année, la SABENA prend livraison de son premier Douglas DC-4, appareil qui à pleine charge n’aurait jamais pu décoller de Haren pour cause de piste trop courte… en regard des trois pistes de Melsbroek qui convenaient elles parfaitement pour des appareils d’un tel tonnage.

Plus tard le terrain d’Haren-Evere sera divisé en deux par la construction du boulevard Léopold III reliant Bruxelles à l’aéroport de Zaventem. Enfin, en 2002, l’Etat belge mettra le Quartier Roi Albert Ier surnommé Evere-Nord (bien que situé sur la commune d’Haren) à la disposition de l’OTAN qui le fera raser pour y construire son tout nouveau siège.

Jan Wybouw

(traduction et adaptation en français par Emmanuel Capart)