Saint Georges instruit les nouveaux convertis, opère des miracles

CHAPITRE XI.
SAINT GEORGES INSTRUIT LES NOUVEAUX CONVERTIS, OPÈRE DES MIRACULEUSES GUÉRISONS, RESSUSCITE UN BŒUF, MARTYRE DE GLICERIUS, DIOCLÉTIEN CHERCHE A SÉDUIRE LE SAINT.
La plupart de ceux qui avaient été convertis à l’occasion du mort que saint Georges avait ressuscité vinrent trouver, la nuit suivante, le saint dans sa prison. Comment, dira-t-on, purent-ils pénétrer dans cette prison ? Au moyen de fortes sommes d'argent qu'ils donnèrent aux gardiens et par la haute influence de quelques-uns d’eux. Arrivés près du Saint, celui-ci les catéchisa, les encouragea à prier Dieu et les disposa à recevoir le saint baptême. Il en guérit beaucoup de maladies mortelles, à d’autres il rendit l'usage de la vue ou des mains, ou des jambes ou d’autres sens qui étaient éteints en eux. On lui avait amené ces malades et ces infirmes à l'effet d'obtenir de sa bonté la grâce de leur guérison : ce que saint Georges, comme le relatent ses actes, leur accorda volontiers par le fruit de ses prières : Ille autem precibus eos curabat.
Georges était bien connu dans les environs pour la sainteté de sa vie, tous le regardaient comme un grand ami de Dieu qui obtenait infailliblement ce qu'il demandait à ce Dieu libéral qui se plait, disent nos saints Livres, à faire la volonté de ceux qui le craignent d'une crainte filiale et qui en conséquence observent fidèlement ses préceptes. La nuit s'était écoulée ; elle avait fui, sans que les paupières de Georges eussent pu se fermer pour lui procurer un peu de repos. Du reste les douleurs qu’il éprouvait dans ses membres et surtout l’apostolat qu'il voulut exercer à l'égard des nouveaux disciples du Christ y mettait obstacle. C'était le matin, le soleil venait de sortir de sa couche et projetait de toutes parts dans ce vaste univers l'éclat de ces rayons dorés. Le serviteur de Dieu s'attendait bien à être demandé pour comparaître devant l’empereur. Depuis quelques jours, il soupirait après la très sainte Eucharistie, ce pain des forts qui devait renouveler sa force et sa jeunesse comme celle de l'aigle, L'un des chrétiens auquel il manifesta le désir qu'il éprouvait de recevoir le sacrement de Jésus-Christ courut à l’église la plus voisine avertir le prêtre Théodore, qui vint aussitôt vêtu en laïque vers le Saint. « Mon frère, lui dit Théodore, en lui présentant l’Hostie sacrée : Mon frère, recevez le corps de votre Sauveur ; qu'il soit votre force et votre victoire, qu'il conserve votre âme pour la vie éternelle. » Georges avait les mains garottées de chaînes, à instant même ces chaînes se brisèrent et tombèrent, de sorte qu'il put de la main droite prendre le divin Sacrement et se communier lui-même. Il se recueillit, pria quelque temps, en actions de grâces des bienfaits du Seigneur, et il se disposa à secourir un homme qui venait le voir pour solliciter son inépuisable charité.Glycère, qui était un paysan et cultivateur, se trouvait ce jour-là, de grand matin, aux champs, occupé à labourer sa terre avec deux bœufs. En ayant vu mourir un, là même dans le sillon tracé par le soc de la charrue, il se livra à la désolation, au désespoir. Un chrétien, qui vint à passer en ce lieu, l'ayant entendu gémir, se plaindre et jeter des cris, et voyant son embarras, lui dit : « Brave homme, qu’avez-vous besoin de vous désoler pour la mort de votre bœuf ? Que n’allez-vous trouver le cavalier Georges dans sa prison ? il ressusciterait votre bœuf, du moins il saurait bien vous consoler de cette perte. » Glycère suivit d'autant mieux ce conseil que, d’après certains auteurs, sa femme avait autrefois rendu des services à Georges ; il alla donc, en toute hâte trouver saint Georges. Arrivé près de lui, il le conjura, les larmes aux yeux, de ressusciter son bœuf : « Mon Seigneur, dit-il au Saint, j'avais un bœuf qui m'était bien cher, parce qu'il m'était utile ; je le nourrissais, il est vrai, mais lui m'aidait beaucoup dans la culture de mes terres. Tout à l'heure, comme il tirait à la charrue avec son compagnon, il est tombé raide mort. Je vous en conjure, donc mon Seigneur, priez votre Dieu qu'il rende mon bœuf à la vie. Si je vous demande celte faveur, c'est que je sais à n’en pouvoir douter que vous êtes toujours exaucé de votre Dieu en tout ce que vous lui demandez. » Comme Glycère était païen, et que saint Georges vit dans cette circonstance, ménagée par la Providence, un puissant moyen de le gagner à Jésus-Christ, il lui répondit : « Mon fils, si vous croyez au vrai Dieu, et que dès ce moment même vous soyez résolu à quitter le culte superstitieux des idoles pour embrasser la doctrine du Christ, votre bœuf revivra. » « Je crois, dit Glycère, qu'il n’est point d'autre Dieu que celui que les chrétiens adorent, qui a créé le monde, qui l’a racheté par son Fils, et, dès aujourd'hui, je veux l'aimer et le servir de tout mon cœur. » — « Allez donc, mon Fils, repartit Georges, allez à votre charrue, vous trouverez votre bœuf qui était mort plein de vie.» Glycère s’en retourna joyeux et satisfait ; il vit son bœuf debout sur ses pieds, prêt à travailler. Il en bénit le Seigneur, qui avait signalé sur lui sa miséricorde par l’entremise de son serviteur Georges. Et de temps en temps, dans le sentiment de l’admiration que lui causait le souvenir de cette faveur, il s'écriait : « Qu'il est grand, le Dieu des chrétiens ! » Magnus est Deus christianorum !
L'Empereur ayant appris cette nouvelle merveille et la conversion de Glycère au christianisme en fut fort troublé, contrarié. Il envoya de suite des soldats avec l’ordre de se saisir de ce chrétien et de le lui amener. Il lui fit souffrir divers tourments pour le mettre à l'épreuve et triompher, s'il eût été possible, de sa vertu, Mais ce fut bien en vain, car Glycère demeura ferme dans sa Foi. Il confessa Jésus-Christ à haute voix. » Il dit alors : « Ô Dieu, qui avez fait toutes les choses qui existent, ne me réprouvez pas comme un vase inutile, parce que j'ai cru en vous, Père, Fils et Saint-Esprit. Je regrette bien de n’avoir pu recevoir le saint baptême, et je désire vivement de le recevoir maintenant ; mais je n’ai personne pour me le donner. Quant à vous, mon Dieu, vous pouvez me sauver si vous le voulez ; je vous en prie donc, Seigneur, faites que le sang qui coule de mes plaies me serve de baptême qui me purifie de toutes mes fautes. Exaucez-moi, vous, mon Dieu, qui connaissez à fond le cœur de l’homme ; ne repoussez point mon âme gémissante, qui vient avec confiance vous implorer avec instance. » Aussitôt que Glycère eut fini sa prière, on entendit une voix céleste qui dit : « Glycère, j’agrée votre prière ; vous serez parfait devant moi. Gliceri perfectu senim ad me ; lætus eris apud me. C’est dans ces saintes dispositions que Glicère consomma son martyre. Quant à saint Georges que nous avons laissé dans sa prison, le fougueux empereur qui avait été au courant des conversions et des guérisons opérées par le moyen du Saint depuis qu'il y était entré, donna ordre qu'on le lui amenât afin qu’il pût cette fois triompher de lui. Maximien dit à Dioclétien que les plus cruels tourments n'ayant pu jusqu'alors éteindre la race des chrétiens ; qu’au contraire ils se multipliaient prodigieusement, il convenait qu’il essayât cette fois encore de forcer cet homme, ce cavalier, habile champion du Christ, a renoncer à safoi et à immoler aux dieux ; que s’il le prenait par la voie de la douceur et par les caresses, il y pourrait peut-être réussir. L'empereur se résolut donc à essayer de l’abattre par de flatteuses promesses. Georges s’approchant de lui, se mit à chanter d’un air joyeux et d’un ton solennel ce verset des Psaumes. « Mon Dieu venez à mon aide ; Seigneur hâtez-vous de me secourir : Deus in adjutorium meum intende ; Domine ad adjuvandum me festina. L'empereur, se vit un peu intimidé par l'air de noble fierté et de saint courage qu'il remarqua dans les traits du Martyr. Il l’exhorta néanmoins ainsi : « De par le soleil et par tous les dieux, si tu m'écoutes Georges, et que tu immoles aux dieux, je te donnerai de grands pouvoirs dans mon empire, et je porterai ma bienveillance pour toi jusqu'à te loger dans mon palais même. J'ai compassion de toi, parce que tu m’es cher, mais tu dois être assez convaincu qu'il est meilleur pour toi de vivre sans maux et de jouir de ma protection, plutôt que de souffrir des tourments inouis et ensuite une mort toujours terrible à la nature. Si je te parles ainsi, c’est que je plains ton obstination à vouloir souffrir tous les tourments et même la mort, au lieu de chercher à vivre d’une vie heureuse et tranquille en renonçant à ta foi et en trahissant, comme je te le conseille les intérêts du Christ.» « Vous dites vrai ô prince, répondit Georges, vous dites vrai que je préfère souffrir et mourir plutôt que d’être infidèle à Jésus-Christ, mon Maître. Mais vous, pourquoi cherchez-vous en vain à me séduire ? Dites-moi, après tant de supplices que vous m'avez déjà fait endurer, quelle compensaticn pourrais-je jamais trouver chez vous, Ô prince, qui me valût la perle que je ferais en renonçant à ma foi et à mon Dieu ?» — « Ô Georges, répartit l’empereur, foule aux pieds ce prétendu crime ; immole à mes dieux, et tu jouiras de ma haute protection, tu vivras dans ma plus intime amitié ; mes biens et toutes mes possessions seront à toi tout autant qu'ils sont à moi. » — « Sachez, répliqua Georges, sachez que, parce que vous m'avez si bien éprouvé, je ne vous satisferai en aucune manière au détriment de ce que je dois à mon Dieu : Quoniam omnino teipsum mihi purgasti, hac in re tibi ego inserviam. Vous me parlez toujours de vos dieux, où sont donc, ô prince, ces dieux que vous vantez tant ! Allons vers eux. Ubi nam sunt dii tui ? Eamus ad illos.
Cette proposition de Georges combla l’empereur d’une joie inexprimable, joie qui fut partagée par les nombreux assistants ; oh ! oui, dit-il alors, allons vers nos dieux. Il pensait sans doute que Georges allait cette fois renoncer au Christ et adorer les dieux, leur offrir de l’encens et se dévouer à leur culte impie et sacrilège, mais, vain espoir ! le saint martyr était fortifié par la vertu du Tout-Puissant, et il se proposait de montrer à Dioclétien, combien cette vertu était efficace pour triompher des démons cachés dans les simulacres.