Cour d'assises - 10 mars 1882

MM. CLAUDE, vice-président et LAURENT, juge assesseurs.
Cinquième affaire. — Bréchain, Jean-Baptiste, ex-bénédictin à Solesmes, demeurant en dernier lieu à Aydoilles est accusé d’attentats à la pudeur sur des enfants de moins de 13 ans. L’accusé ne nie pas les faits qui lui sont reprochés et la défense se place sur le terrain de la non responsabilité de l'accusé. Bréchain est un homme de 39 ans, à la tête grisonnante, sa constitution parait débilitée et affaiblie, il s'exprime à voix basse, mais avec facilité.En 1880, certains symptômes le firent admettre à l’asile de Sommelay près de Lille où il passa près d’une année ; de là il fut transféré dans l'établissement de Froidmond, en Belgique ; là il resta jusqu'au 23 décembre 1880, et le docteur Lens le représente comme atteint de névrosisme et de manie des persécutions ; mais il pense que cette situation ne présentant aucun danger ni pour Bréchain, ni pour les autres, il n'y a plus lieu de le tenir enfermé. Revenu dans sa famille, à Aydoilles, il quitta l’habit de son ordre pour celui de prêtre séculier.C'est à Aydoilles qu’il commis les faits qui lui sont reprochés et dont viennent déposer les jeunes témoins.M. le docteur Ancel donne des explications médico-légales sur les lésions constatées sur les victimes.M. Martin, maire d’Aydoilles, n’a rien connu par lui-même, ni rien entendu dire qui puisse faire supposer que Bréchain ne jouit pas de son bon sens.M. Krantz, maire de Docelles :Bréchain a habité Docelles peu de temps ; il passe pour jouir de ses facultés. Dans une réunion d'instituteurs qui ont connu l'accusé dans sa jeunesse à l’école normale, on était fort étonné de ce qui lui est reproché, car à l’école normale on l'appelait le Petit-Saint. Le docteur Pierre, médecin des prisons, a remarqué de la bizarrerie, un esprit brouillon et rétif, mais rien autre chose.Grëll, gardien-chef, n'a rien remarqué d'anormal.M. Langlois, docteur de l'asile de Maréville, qui a examiné et fait examiner Bréchain, n’a remarqué aucun symptôme d’aliénation mentale ; il s'informait du sort qui lui était réservé et demandait s’il serait retenu longtemps à l'asile. — Est-il impulsif, c'est-à-dire entraîné par une force irrésistible ? Le docteur ne le croit pas, car un des caractères de l'impulsion c'est la spontanéité et la fatalité des actes.M. Sizaret, dont de l'asile de Maréville, conclut, comme son collé gue, à la responsabilité; en dehors de tout état morbide, on ne trouve, dans les faits eux-mêmes, rien qui puisse établir la faiblesse d'esprit. La lypémanie dont il a été atteint à un moment donné est un état contraire à l'érotisme, et qui, du reste, avait disparu.M. Lachaud, ancien médecin en chef des asiles d’aliénés, docteur en médecine à Maréville, a connu Bréchain à Marseille, en 1876. Il présentait un des symptômes de l’aliénation mentale, l'insomnie persistante des cauchemars, une tristesse persistante. Cet état s'exagéra en 1878 ; deux fois il menaça d’étrangler le père supérieur. L'origine de cet état morbide se rencontre dans une fièvre typhoïde dont il a été atteint à l’âge de 12 ans.La lypémanie a pu se transformer en d'autres symptômes. Pour le témoin, la folie de l'accusé a une origine héréditaire : son père est mort après une longue paralysie du cerveau ; plusieurs membres de sa famille sont notoirement fous.M. de Mardigny, Procureur de la République.Me Sergent présente la défense, et Bréchain est condamné à 8 années de réclusion.
Article publié dans le journal Le Mémorial des Vosges