Liste monarchico-cléricale - 27 septembre 1885

La Liste monarchico-cléricaleLes six candidats de la coalition monarchico-cléricale viennent de distribuer leur « programme », si on peut appeler ainsi un factum où sont résumées les allégations fausses, les attaques injustes, les prétentions surannées et intolérantes des factions qui livrent depuis plusieurs mois, à la République, le plus violent assaut. Nous n'avons jamais rien la de plus inepte, de plus insuffisant et de plus vide. Le document sue l’impuissance par tous les pores, par tous les mots. On y voit, par exemple, que le jeune candidat André Buffet, qui s’est vu obligé de sortir le drapeau de la monarchie constitutionnelle de sa poche, à Godoncourt, l'a signé avec Bouloumié, le partisan de l’Appel au peuple, c’est-à-dire de l'impérialisme, avec Jérôme ou avec Victor. Tous ont renfoncé leurs opinions dans le plus profond de leur estomac, avec l'espoir de pouvoir mieux satisfaire leurs appétits législatifs.Voilà où en sont arrivés les ex-conservateurs : à n'avoir qu'un programme négatif, un code démolisseur comme de vulgaires anarchistes !C'était fatal, d'ailleurs, car quelque dissimulation qu'ils y apportent, les factieux de la monarchie légitimiste, orléaniste ou bonapartiste, ne pouvaient s'entendre que sur une profession de foi de dénigrement et de renversement. C'est la formule vulgaire « Ôte-toi de là que je m'y mette », qui est leur mot d'ordre commun contre la République, en se réservant de se l'appliquer réciproquement à eux-mêmes le jour où ils réussiraient dans leurs criminels desseins.Nous ne pouvions néanmoins nous imaginer que les coalisés sans nom mettraient au monde une élucubration aussi nulle et aussi niaisement anti-conservatrice. C'est à croire que les ennemis de la République ont perdu totalement la notion gouvernementale, et qu'ils préparent leur dernier effondrement, — car les électeurs chercheront vainement dans leurs déclarations rien qui soit de nature à leur offrir la moindre garantie d'ordre et de sécurité. Elles respirent la guerre et ne promettent que la discorde.Ah ! les beaux conservateurs que voilà : les Ravinel, les Buffet, les Figarol, les Bouloumié, les de Pruines, et les Houël !Toutefois la profession de foi, — qui n’est la vraie, pour aucun des six candidats réactionnaires, — contient une note positive, c'est celle qu’a inspirée le parti clérical, celui dont nous avons saisi la main dans la confection de la liste des coalisés. Lui n'abdique pas même un instant, et il a fait savoir, dans leurs propres déclarations, aux monarchistes de n'importe quelle catégorie, qu'ils auraient à s'incliner, quoi qu'il arrive, devant son pouvoir. Les candidats de l'évéché de Saint-Dié et des curés n'ont pu échapper aux injonctions du cléricalisme. L'acte de foi et de soumission au pouvoir clérical forme le corps, la substance du programme Ravinel-Figarol-Bouloumié ; tout le reste est négatif et sans portée.Et ce sont des partis aussi impuissants, des gens aussi insuffisants, des conservateurs aussi renversants qui prétendent au gouvernement de la France ? Cela fait pitié ; et il faut qu'ils aient bien peu d'estime pour le caractère et l'intelligence des électeurs pour qu'ils osent solliciter dans de telles conditions leurs suffrages !Mais afin de montrer,combien nos critiques sont fondées, nous allons mettre sous les yeux de nos lecteurs les parties essentielles des déclarations Buffet, Ravinel et Cie.Parlant des députés actuels, ils disent :Vous attendiez d'eux la continuation de la politique sage, modérée, prévoyante, suivie par l’Asssemblée nationale.Quelle aberration monstrueuse ! « Politique sage, modérée et prévoyante », cette politique d'une Assemblée qui, si elle n’a pas provoqué la Commune, n’a pas su l'éviter ; qui a fomenté la restauration d'Henri V au risque de déchaîner la guerre civile ; qui a renversé M. Thiers après qu'il eût libéré le territoire ; qui a opprimé la liberté à l'imitation de l'Empire ; qui n’a su mettre à jour que des lois de réaction, telles que l'attribution, sous prétexte de liberté, de la collation des grades d'avocat, de médecin, etc.., aux facultés catholiques, c’est-à-dire aux évêques ? Politique sage et modérée, cette politique qui a été la politique de l’état de siège, de la provocation et des poursuites contre les républicains ? Mais en vérité, les Ravinel et les Buffet, de qui se moquent-ils ? Et vous, M. Bouloumié, voilà que vous transformez la politique « néfaste » du 24 mai 1873 en politique sage, modérée et prévoyante !C'est de l'audace que cette phrase en faveur de l'assemblée nationale élue dans un jour de malheur ; mais M. de Ravinel ne pouvait laisser échapper l'occasion de se glorifier de ses votes liberticides contre M. Thiers, contre le suffrage universel, en faveur des lois cléricales et de la monarchie et contre la République.Passons outre à cette écœurante déclaration. Voyons-en d’autres.Les coalisés faisant allusion « au Tonkin, parlent en faveur de « la paix ». Est-ce que l'expédition du Tonkin eût été faite si le duc Decazes, leur ministre des affaires étrangères, n'eut pas signé le traité de 1874 si mal rédigé et si dangereux, avec l’'Annam. Et ils parlent ensuite « de sauvegarder l'honneur du drapeau », qui donc l’a mieux sauvegardé cet honneur que les républicains ?Citons textuellement le passage relatif à la Liberté :La liberté. — Ils l'ont supprimée pour la majorité des citoyens !Ils ont confisqué les droits du père de famille par une loi plus oppressive encore pour le pauvre que pour le riche.À la religion, ils ont déclaré une guerre perfide ; ils ont chassé Dieu de l'école et expulsé les aumôniers des hôpitaux et de l’armée.La faveur et la délation ont bouleversé le personnel des administrations et de la magistrature, sans égard pour les droits acquis et les services rendus.Ils n’ont pas la liberté ! Que serait-ce donc s'ils l'avaient ?Elle leur fait défaut parce que la neutralité de l’école, de l’armée et de l'assistance publique a été proclamée au point de vue religieux, c'est-à-dire parce que la liberté de conscience est désormais assurée !Ils appellent la loi sur l'instruction gratuite, obligatoire et laïque une loi oppressive, parce qu'elle permet à tout le monde, les pauvres comme les riches, à se réchauffer au foyer de l'instruction. À ce sujet ils disent, plus loin, qu'ils réclameront « le « droit pour le père de famille de faire élever ses enfants conformément à ses croyances », comme si ce droit avait été entravé !Ils crient à la délation et à la faveur parce qu'en rendant à la vie privée des fonctionnaires notoirement hostiles, la République, au lieu de les casser aux gages, leur paie de grasses pensions qu'ils lui reprochent néanmoins en s’indignant devant l'augmentation de dépenses qu'elles ont causée.Sur la question financière, les candidats monarchistes et cléricaux persistent dans cette ineptie, à savoir qu’en 1876 les dépenses de la guerre étaient réglées, en se gardant bien de dire que, tous les ans, 700 millions d'intérêts à payer nous incombent pour les aventures criminelles des régimes de leur affection. Ils parlent sérieusement d'emprunts succédant aux emprunts, et ils rééditent cette affirmation dont il a été fait cent fois justice, que les déficits de l'Etat s'élèvent à cinq milliards.Sur 9 milliards, 2 milliards 600 millions sont amortis, éteints ; la bonne foi des Ravinel et des Buffet les empêche d'en rien dire ; il reste à peine 2 milliards 500 millions à rembourser, ce qui est assuré par les annuités inscrites tous les ans au budget. Ainsi, pour 1885, l'amortissement est de 155 millions, mais les monarchistes ne s'en soucient guère : il faut faire croire au pays que la République est le gaspillage et le déficit, aussi passent-ils sous silence le fait capital des travaux immenses de fortifications, d’approvisionnements, de chemins vicinaux, de canaux, de chemins de fer, etc., etc., auxquels les dépenses ont été consacrées dans l'intérêt général du travail, de la production et de la prospérité nationale.Ils parlent d'économie ces monarchistes qui réclament un souverain coûtant au pays des millions de dépenses nouvelles tous les ans et dont nous devons supporter encore pendant des siècles la charge de leurs folies et de leurs dilapidations !Ils disent qu’ils assureraient l'amortissement de la dette publique, eux qui n’ont su que l’augmenter et alors que c'est l'économie administrative de la République qui seule a fait fonctionner sérieusement l’amortissement, puisque, aujourd'hui, le capital a été diminué par ses soins de près de trois milliards, sans dommage pour la réalisation du programme de défense militaire et économique du pays.En terminant, la coalition hybride des six candidats orléanistes, bonapartistes et cléricaux revient sur l’objet capital de ses préoccupations : « sur la situation intérieure de la France. » Il faut, dit-elle, « rétablir «la paix et la liberté religieuse, pratiquer, en un mot, une politique de recueillement et de bon père de famille. »Cela signifie politique de réaction, de désorganisation et de discorde, et, étant donnée l'hypocrisie qui la caractérise, elle peut s'appeler justement aussi : politique sans nom et sans aveu.Quant aux intérêts économiques du pays au sujet desquels les candidats républicains se sont expliqués d'une façon si remarquable, si complète, si pratique et si claire, les candidats de la monarchie hybride expriment ainsi leur manière de voir : « S'appliquer à rendre à l’Agriculture, au Commerce et à l'Industrie la vitalité qui les abandonne ;«Assurer ainsi aux ouvriers de nos villes et de nos campagnes la sécurité d'un travail rémunérateur. »Si après cela les électeurs ne sont pas contents, c'est qu'ils seront difficiles : ces messieurs veulen rendre au travail et à la production «la vitalité qui les abandonne ». Il faudrait être de bien mauvaise composition pour, ne pas voter pour eux ; il est vrai qu'à ce compte tout le monde pourrait être candidat.Tel est ce programme de la coalition bonapartiste, orléaniste et cléricale des Vosges. Les électeurs s’en éloigneront avec dédain en repoussant résolument les candidatures de ces hommes qui poursuivent le retour de ces gouvernements du 24 mai 1873 et du 16 mai 1877, à l'ombre desquels ils ont violenté et opprimé si audacieusement le pays. F. AYLIES.
Article publié dans le journal Le Mémorial des Vosges