Retour de Saint Georges en cappadoce

CHAPITRE V.
RETOUR DE SAINT GEORGES EN CAPPADOCE ; DONNE TOUS SES BIENS AUX PAUVRES ET CONFESSE LA FOI DEVANT DIOCLÉTIEN.
Après que saint Georges eut accompli l'acte de valeur dont nous venons de parler, après qu’il eut par là même gagné tant d'âmes à Jésus-Christ, voyant qu'on lui prodiguait à l'envi des louanges et des honneurs qu'il ne voulait rendre qu’à Dieu seul qui avait opéré ces grandes merveilles par son moyen, il revint dans sa patrie. Il y apprit que l'on persécutait à outrance les chrétiens, que c’était le résultat de l’édit que l'Empereur lui avait voulu faire signer et qui venait d’être affiché en divers endroits de la Province, le 23 février. Georges dès ce moment chercha tous les moyens de soulager la misère des pauvres chrétiens qui se trouvaient les uns dans les prisons, d’autres mourants sur les places publiques. Ce qui l’attrista surtout fut d'apprendre l’apostasie de certains qui, parce qu'ils s'étaient vus dans la misère, s'étaient par là même déterminés à renoncer au christianisme et à sacrifier aux idoles. En réfléchissant à un tel acte d’ingratitude envers le bon Dieu, Georges ne pouvait retenir ses larmes. Il résolut de se déposséder de tout ce qui lui restait de biens. Par la mort de son père et de sa mère il était devenu héritier d’une riche succession ; déjà il avait fait d’abondantes aumônes; cette fois il donna tout ce qu'il possédait encore pour soulager les pauvres chrétiens qui se trouvaient exposés à la persécution : « Ils sont nos frères, disait Georges, les biens qu'on leur donne, c'est Jésus-Christ dont ils sont les membres qui les reçoit. » Il fit la même chose de ses meubles et de ses riches vêtements, il les vendit pour en donner l'argent aux chrétiens qui étaient dans le besoin. C'est ainsi que, dégagé de tout lien terrestre, dépouillé de toutes choses, ce fidèle athlète du Christ, se disposa à suivre son bon Maître dans la voie royale de la croix et à lui faire le sacrifice complet de sa vie.
Saint Georges ne se contenta pas de faire passer de fortes sommes d'argent aux fidèles persécutés ; lui-même se résolut à les aller consoler et à les encourager à souffrir pour le nom du Seigneur Jésus. A cette fin, il fit le voyage de Nicomédie. Arrivé en cette ville, il lut sur l’un de ses murs le décret de persécution qui venait d'être publié par Dioclétien. Ce décret portait en substance que « toutes les églises seraient abattues, les Écritures saintes brûlées. Que tous les chrétiens seraient privés de tout honneur, de toute dignité ; qu’ils seraient soumis à la torture, de quelque ordre et de quelque rang qu'ils fussent ; qu'ils seraient inhabiles à posséder des charges et des dignités ; que toute personne aurait action contre eux ; qu’eux, au contraire, n’en auraient contre qui que ce fût ; qu’ils ne seraient reçus à demander justice, ni pour vol, ni pour violence, ni pour adultère ; que les affranchis perdraient leur liberté. »
Georges, en lisant ce décret, versa un torrent de larmes : « Mon Dieu, s’écria-t-il, vous savez que je suis innocent de ces édits si cruels ! Bien loin de les approuver, j'ai quitté mon grade afin de ne point avoir à me reprocher de vous avoir persécuté dans les chrétiens, Maintenant qu'il en esf ainsi, que la persécution est ouvertement déclarée, je ne peux que protester contre l’impiété de l’empereur et l'injustice qu'il exerce vis-à-vis vos serviteurs. Oui, mon Seigneur et mon Dieu, j'irai trouver Dioclétien et lui remettrai le droit qu'il a violé devant les yeux ; que, s’il faut faire le sacrifice de ma vie, vous savez, Seigneur, vous qui sondez les reins et les cœurs, qu’il y a longtemps déjà que je me suis offert en union avec Jésus-Christ, comme victime d'amour à votre divine Majesté. Viennent, s’il le faut, les roues, les bûchers, la prison ou le glaive, que m'importe ; toute ma félicité sera de souffrir pour vous et de mourir plutôt que de trahir vos intérêts. Fortifiez-moi seulement par votre grâce, Ô mon Dieu ! »
Georges ayant ainsi prié, entra dans la maison d’un chrétien pour y changer son costume de chevalier contre le sien, puis il se dirigea vers le palais impérial. Chemin faisant, il visita quelques serviteurs de Dieu, qui étaient ou persécutés ou menacés de l'être, il les encouragea par ses discours pleins d’onction à demeurer fidèles au Seigneur, leur recommanda expressément d'invoquer souvent son tout-puissant secours par une prière humble et fervente. Arrivé au palais, il apprit que l’empereur présidait son conseil ; sans perdre de temps il se hâta de l'aller trouver. L'introducteur, l’ayant reconnu sous son costume de chrétien, le laissa néanmoins pénétrer dans la chambre où le sénat était réuni. Georges, d’un maintien ferme, d’un pas rapide, s'avança au milieu de l'assemblée, et, se tenant debout, en face de Dioclétien, qui était assis, et devant les sénateurs, il les apostropha en ces termes :
« Jusqu’à quand, Ô Empereur, et vous Sénateurs, qui m'écoutez, formerez-vous ces complots contre le Christ ? pourquoi cherchez-vous à exercer votre fureur en persécutant ses disciples, qui sont innocents ? Est-ce donc que vous ne connaissez point notre sainte religion pour vous opposer si ouvertement à elle, vouloir nuire à ceux qui la pratiquent ? Vos idoles ne sont pas des dieux, ne vous laissez point aller à cette erreur, car il n’y a qu'un seul Dieu véritable, les autres sont des dieux imaginaires, des dieux séducteurs ; bien fous ceux qui placent en eux leur espérance, qui leur vouent un culte. Oui, je le le répète, le Christ est le seul Dieu, de même qu'il est le seul Seigneur et Maître de toutes choses dans la gloire de son Père. C’est par lui que toutes les créatures ont été produites, c’est son Esprit Saint qui les conserve, qui les dirige toutes avec une sagesse et une bonté admirables. Mais vous autres, s’adressant aux Sénateurs, vous la connaissez assez, cette religion si belle, la seule divine que je viens venger de vos impiétés. Pourquoi donc, je le demande, vous laissez-vous aller à une telle démence, qui ne peut être que l’effet du renversement de la raison, en menaçant de l'exil, de l'oppression, dela mort enfin, ceux-là mêmes qui l'ont embrassée, qui y persévèrent, dont l'occupation la plus babituelle est de prier pour vous ? » Puis, Georges s'adressant particulièrement à l’empereur Dioclétien, il lui dit : « Prince ! maintenant que j'ai suffisamment exposé dans votre conseil l’injustice de vos procédés, je vous conjure au nom des droits les plus sacrés que vous avez violés, au nom de votre conscience, qui elle-même vous accuse assez, au nom du Dieu vivant et éternel que, pourtant, vous avez eu l’impiété de renier pour vous asservir au culte de simulacres qui n’ont ni raison ni sensibilité ; cessez de poursuivre le Ghrist dans ses serviteurs ; ne persécutez plus les membres de Celui qui a bien voulu sacrifier si généreusement son sang pur et divin sur la croix pour le salut de votre âme. Si, dès aujourd’hui, vous révoquez les édits que vous avez publiés contre les chrétiens, ce sang du Christ sollicitera votre pardon ; si, au contraire, vous persistez à vouloir assouvir votre haine contre eux, ce même sang deviendra votre condamnation. Souvenez-vous donc, Ô Empereur, qui êtes mon maître, de ces temps passés où vous protégiez et regardiez favorablement les serviteurs du Christ ; ils sont toujours les mêmes à votre égard, toujours aussi attachés, aussi soumis aux ordres de Votre Majesté. Pour moi, le dernier de tous, je me suis permis de venir prendre devant vous leurs intérêts, parce que j’y vois aussi les intérêts de la religion, ceux de Dieu même, qu’il est de votre devoir de reconnaitre, en rétractant des édits qui sont injustes, injurieux à ce Dieu et à des hommes appelés à la liberté de l'Évangile. »
Comme Georges était naturellement éloquent, qu'il parlait avec beaucoup de grâce et de feu, il se fit écouter avec admiration, avec respect. L'Empereur, qui l'avait aimé tout particulièrement lorsqu'il était attaché à la cour, ne put lui rien répondre sur le champ, attéré qu'il avait été par la force de ses paroles, et parce qu'il ne s’était point attendu à être repris de la sorte. Il sortit bientôt du Conseil et il alla se cacher tout honteux dans son palais.