Elections sénatoriales - 24 avril 1888

Élections sénatoriales. — Avant-hier, réunion à Neufchâteau, à l'Hôtel de ville, des électeurs républicains sénatoriaux du canton, auxquels s'étaient joints quelques-uns de leurs collègues du canton de Coussey. M. Détieux, conseiller genéral du canton de Coussey, a présenté M. Charles Ferry à la réunion. Celui-ci a pris ensuite la parole et a développé son programme. Il a commencé en déclarant qu’il ne voulait pas devoir son élection seulement à la discipline des électeurs républicains, mais aussi à leur confiance ; il s’est attaché à démontrer que, dans les circonstances présentes, sa candidature était avant tout une candidature politique ; qu'il s'agissait, pour les vétérans de la démocratie vosgienne, d'affirmer une fois de plus leur attachement à la politique d'ordre et de progrès qu'ils ont soutenue depuis dix-huit ans, mais que ce progrès doit être cherché dans l'étude des questions qui ne divisent pas le parti républicain, c'est-à-dire dans la discussion des réformes économiques et des lois d’affaires qui attendent depuis trop longtemps. Il a particulièrement insisté sur les lois qui concernent l’agriculture, la protection de ses produits, le développement de son crédit et l'organisation de ses intérêts par l'institution des chambres d'agriculture.La veille, M. Charles Ferry s'était rendu à Châtenois, où il a été reçu par M. Lambert, conseiller général du canton. Une réunion a eu lieu chez le maire, M. Henry, conseiller d’arrondissement.
Le Candidat … à la fourchette. — Le candidat... à la fourchette a été piqué hier à l'Hôtel de la Poste devant 50 délégués, — 50 ! Vous avez bien lu ! — restés fidèles à la cause monarchico-cléricale.M. Buffet, père, sénateur inamovible, venu tout exprès de Paris, officiait, une immense fourchette à la main, devant ses irréductibles mamelucks rangés autour de la marmite du comité dit conservateur des Vosges, péniblement consolidée par le cuisinier Froment, et où tournoyaient, au milieu du liquide bouillonnant, les reliefs du Balthasar électoral qui précéda la mémorable défaite du 4 octobre 1885 : Les gros morceaux, Ravinel, Bouloumié, Houël, de Pruines, se succédaient avec une vertigineuse rapidité, s’élevant du fond à la surface et replongeant au fond tandis que le sénateur de l’orléanisme et de l'évêché, nouveau Neptune, brandissait au-dessus de leurs têtes l'instrument du supplice, la fameuse fourchette destinée à donner la pâture aux faméliques qui attendaient.Trois fois la fourchette plongea dans le mélange culinaire, non sans que le malin opérateur n’eût laissé passé avant de la lancer et pour ne point les happer, Isaac-Ravinel et Bouloumié-Boulange-Plonplon seuls Ugène Houël, fouchtra-de Pruines, et le flotteur Resal, faillirent tomber sous le fer menaçant. Buffet-Neptune rougit de son impuissance et, plongeant vigoureusement son trident, il enlevait, au 4e coup, du sein de la société des engrais chimiques, au fond de laquelle il se reposait et attendait, l'important Figarol, le beau raisonneur du comice agricole de M. Buffet. Quand le morceau apparut au bout de la fourchette, ce fut du délire dans le petit clan rangé autour de la marmite, et comme le néophyte s’agitait, le chef Froment lui fit donner la parole. Alors voici, à peu près, le langage que tint le catéchumène :— Je suis peu enthousiasmé, mes amis, du coup de fourchette qui m'a piqué, — car être dévoré par les rouges ou par vous, je ne suis pas moins sûr de mon sort. Mais, si je ne suis pas d’étoffe à faire un législateur, j'ai pris à l’école normale assez de philosophie pour accepter ma destinée. J'ai d’ailleurs gardé pour me consoler le discours que je prononçais récemment à Dompaire au comice de M. Buffet, sur la tradition et la routine ! Je marquais alors mes préférences pour la tradition, aussi suis-je convaincu que, même malgré vous, je serai satisfait le 29 avril, car la tradition dans les Vosges est dans l'élection des candidats républicains, et les électeurs sénatoriaux ne voudraient pas en me nommant se plonger dans la routine. Et, ainsi, ma volonté sera faite. Ainsi soit-il !Et les fidèles, M. Buflet en tête, graves et silencieux se retiraient, maudissant le sort et le fâcheux pronostic de leur candidat. F. A.
Article publié dans le journal Le Mémorial des Vosges