Pomme de terre - 21 mars 1930

LA PAGE AGRICOLE
La protection douanière de la pomme de terre s'impose d'urgence pour 1930 Les pommes de terre à fécule qui, avant-guerre, valaient environ 7 fr.-or, ont été vendues, cette dernière campagne, 22 francs maximum, soit 4.40 francs-or. Les variétés de pommes de terre, de consommation courante, qui valaient avant-guerre aux environs de 12 francs-or, se vendent actuellement environ 30 francs papiers, soit 6 francs-or. Bref, nos pommes de terre, quelle que soient les variétés, valent actuellement la moitié ou au maximum les 2/3 de leur valeur d'avant-guerre.Cette situation a été signalée devant les Chambres au cours des interpellations de novembre dernier, et la loi du 1-12-29 sur le commerce des blés contient un article permettant au ministre de l'Agriculture de procéder par décret au relèvement des droits de douane, sur les pommes de terre et la fécule, sous réserve de déposer, dans les cinq jours, un projet de loi devant les Chambres. M. Hennessy n'ayant pas cru de voir user de ce droit, quelques sénateurs, dont, je crois, MM. Hayaux et Montenot, ont déposé au Sénat, courant décembre, un projet de loi visant A ces relèvements et qui attend encore l'occasion d’être discuté. A son tour, le ministre de l’Agriculture vient de déposer à la Chambre un projet de loi dans le même sens.Selon toute vraisemblance, des relèvements seront adoptés. Mais il est à craindre qu’ils ne soient insuffisants et avant qu’aucune décision ne soit prise, il paraît intéressant de voir quelles seraient les protections indispensables pour permettre an producteur de retrouver les conditions d’avant-guerre.Nous n’étudierons pas ici la question de la pomme de terre primeur, dont la production reste soumise à certains risques, car il suffit de circonstances climatériques défavorables, pour que la récolte arrive trop tard et soit difficilement vendable. Nous nous bornerons à dire que cette denrée peut être considérée comme n’étant pas de première nécessité et que le droit de douane actuel peut être sérieusement augmenté sans que personne ne soit en droit de s’en plaindre.La consommation de cette pomme de terre de luxe tend à se développer de plus en plus dans les villes, au détriment de la pomme de terre commune, dont la production dans notre pays est de beaucoup la plus importante. Quand c’est une pomme de terre nouvelle française qui concurrence notre pomme de terre commune, nous n'avons rien à dire, et il nous appartient d’orienter notre production selon le goût de la clientèle. Mais quand il s'agit d’une pomme de terre nouvelle étrangère, qui vient à une époque où nous ne pouvons pas en produire concurrencer notre vieille pomme de terre, nous sommes en droit de prétendre à une protection douanière efficace. Actuellement, pendant la période d'avril à octobre, pendant laquelle nous arrivent les pommes de terre primeurs d’Espagne, le droit de douane est de 15 francs aux 100 kilos. C’est nettement insuffisant, et il semble bien que ce droit pourrait être facilement doublé.Voyons plus spécialement le problème de la pomme de terre à fécule qui est semblable à celui des variétés de pommes de terre de consommation courante. Ces pommes de terre représentent la part la plus importante de notre production.Notons tout d'abord que les féculeries sont d’un grand intérêt pour le producteur, car elles sont l'exutoire naturel, non seulement de la pomme de terre spécialement cultivée pour la production de la fécule, mais encore de toutes les pommes de terre de consommation, produites en excédent, et qui, sans cela, seraient perdues. Elles sont un excellent régulateur du marché de la pomme de terre et, pour cette raison, le problème de la fécule est d’un intérêt primordial pour les planteurs de pommes de terre.Les concurrents de notre pomme de terre sont, outre la pomme de terre étrangère, la fécule étrangère et les maïs d’amidonnerie fabriqués en France avec des maïs exotiques.Pour les pommes de terre, et les fécules étrangères, le rapport apparaît facilement. Pour les maïs d'amidonnerie, il faut préciser que les produits d’amidonnerie ont les mêmes usages que ceux des féculeries et qu'ils en sont, sur le marché, les concurrents immédiats.Actuellement, le régime douanier en vigueur est le suivant : d’Octobre à Avril, le droit de douane sur les pommes de terre est de 5 fr. aux 100 kilos d'Avril à Octobre, pour protéger nos pommes de terre hâtives, il est élevé à 15 francs.- La fécule étrangère paie on tout temps un droit de douane de 70 fr. aux 100 kilos.- L'amidon de maïs étranger paie en tout temps 150 francs aux 100 kilos.- Le maïs en grains paie en tout temps également 10 francs aux 100 kilos.Signalons de suite que ce régime présente le grave défaut de n’établir aucune relation entre des produits, dont l'inter-dépendance est complète. Ainsi, nous constatons, que puis qu’il faut en moyenne 600 kilos de pommes de terre pour fabriquer 100 kilos de fécule, ce produit est inégalement taxé, suivant la forme sous laquelle il franchit, la frontière. D'Octobre à Avril, 100 kilos de fécule rentrant sous forme de fécule, paieront 70 francs aux 100 kilos ; mais, rentrant sous forme de pommes de terre, ces 100 kilos de fécule ne paieront plus que 30 francs aux 100 kilos. Soit une différence de 40 francs. De même, il faut 166 kilos de maïs pour faire 100 kilos d’amidon. Donc 100 kilos d’amidon rentrant sous forme d'amidon paieront 150 francs de droits de douane et, rentrant, sous forme de maïs en grains, ils ne paieront plus que 16 fr. 60. Soit, une différence de 134 fr. 40.Ce droit de 16,60 est également sans rapports avec ceux de la fécule 70 et 30, suivant la forme, sous laquelle elle rentre et que nous avons signalée plus haut.Il résulte de ces chiffres, qu'en fait, nous n'avons aucune protection. Les événements le confirment :— Les Hollandais offraient, courant Octobre, le rebut de leur récolte, impropre à' la consommation, mais bon pour la féculerie, à 20 francs les 100 kilos rendus féculerie région Paris, et tous droits de douane payés.— Ils offraient de la fécule à 10 florins caf dans nos ports, ce qui fait du 175 francs environ débarqué et dédouané.— Ils offraient fin Décembre de la bonne pomme de terre de consommation à moins de 25 francs rendus région Paris.On conçoit que ces offres puissent avilir les cours de nos marchés et spécialement celui de Paris, qui donne souvent le ton aux autres.Comment, dans ces conditions, refaire nos tarifs douaniers, pour ces divers produits.D’abord, il faut que la pomme de terre puisse retrouver au minimum sa valeur or d’avant guerre. Ensuite, il faut établir une parité parfaite entre les taxes qui frappent ces divers produits, dont l'interdépendance est complète. Pour la pomme de terre à fécule, nous avons dit plus haut qu'elle valait avant guerre 7 francs or, soit 35 francs papiers. Nous avons constaté qu’en Automne, les Hollandais pouvaient avec un droit de douane de 5 francs, nous en envoyer à 20 francs rendus. C’est donc un droit de douane total de 20 francs qui est nécessaire pour permettre à notre pomme de terre à fécule de ne pas être concurrencée en féculerie, tout en se vendant un prix suffisant, et c’est donc un relèvement minimum de 15 francs, que nous devons chercher à obtenir des Chambres et du Gouvernement. Les pommes de terre rondes jaunes communes étaient cotées, en 1913, aux halles (document officiel), 13,70 francs or, soit 68,50 francs-papiers. Au 31 Décembre dernier, elles étaient cotées de 25 à 30 francs papiers. On constate par ces chiffres que pour ces variétés, un droit de douane total de 20 francs serait, loin d'être suffisant, car ces cours de 25 à 30 francs sont précisément les prix auxquels sont offertes les pommes de terre hollandaises.Pour la fécule, nous voyons que les féculeries nous payaient, en octobre dernier, la pomme, de terre 22 francs, quand la fécule était cotée 185 francs.En admettant que l’augmentation du droit de douane produise son effet, et que la hausse obtenue revienne entièrement, au producteur, le féculier ayant les mêmes frais généraux et les mêmes bénéfices, il faut que la majoration de droit puisse ramener de 22 à 35 francs les 600 kilos de pommes de terre employés à la fabrication des 100 kilos de fécule. La majoration doit donc être de 6 fois 13 francs, soit 78 francs, qu’il faut ajouter aux 70 francs de droits existants. Nous obtenons ainsi un droit total de 148 francs, en chiffres ronds 150 francs, chiffre qui, remarquons-le incidemment, est exactement celui appliqué à 100 kilos d’amidon de maïs exotique.Voyons, pour terminer cette question de l'amidon de maïs. Sous forme d'amidon, l'exotique est suffisamment taxé par un droit de 150 francs aux 100 kilos. Pour le maïs en grains, une difficulté se présente, car un certain tonnage de ce produit est employé par la culture pour l’alimentation du bétail et le droit de douane proprement dit, qui est, actuellement de 10 francs, ne pourrait être relevé sans rencontrer l’opposition de certains éleveurs. Mais cette difficulté est facile à résoudre, car les amidonnneries de maïs fabriquent également du glucose, et de ce fait, sont soumises au contrôle de la régie. Rien ne s’oppose donc à ce que la régie contrôle les entrées de maïs et que ces maïs soient frappés, non plus d’un droit de douane, mais d'une taxe supplémentaire à leur entrée en usine, tout comme les sucres le sont à leur sortie.Nous avons vu que l’amidon de maïs était frappé d’un droit de douane de 150 francs ; pour établir la parité avec le maïs en grains, dont il faut 1,6 quintaux pour faire 100 kilos d’amidon, c'est un droit total de 90 fr. que devrait payer ce maïs en grains, donc une taxe de 80 francs d’entrée en usine, qu’il faudrait ajouter aux 10 francs de droit de douane existants. Il faut ajouter qu’on ne doit pas hésiter à appliquer cette taxe. En effet, les amidonneries de maïs appartiennent pour la presque totalité à une seule Société, filiale d’une grosse Société étrangère, montée avec des capitaux étrangers, dirigée par des administrateurs étrangers, appartenant à un Consortium étranger et travaillant presque exclusivement des maïs étrangers.Sur 200000 tonnes travaillées annuellement, 10000 au maximum viennent de l’Afrique du Nord et d’Indochine, le reste vient d’Amérique et de la région du Danube. La question ayant été posée, nous verrons si les Intérêts français seront sacrifiés à des intérêts étrangers.Un gouvernement résolu à défendre les intérêts agricoles devrait donc nous accorder un droit de douane de 20 à 25 francs sur les pommes de terre étrangères, de 150 francs sur la fécule, et une taxe de 80 francs à leur entrée en usine sur les maïs d'amidonnerie. Les chiffres que l’on cite comme probables sont nettement inférieurs. Il est bon de dire de suite nettement, qu'ils seront insuffisants, et que le Gouvernement et les Chambres seront grandement coupables de continuer cette politique de relèvement au compte-goutte et à retardement, qui fait (douter de l'efficacité d'une politique.
Article publié dans le journal Le Télégramme des Vosges