Les féculeries - 10 février 1923

LES FÉCULERIES
De toutes les industries de notre région, la féculerie est une des plus importantes et aussi une des plus intéressantes au point de vue do l’agriculture qui lui fournit sa matière première : la pomme de terre. La culture de ce tubercule est, en effet, une des cultures les plus productives sur notre sol accidenté et il est naturel que l’industrie qui se sert de la pomme de terre se soit remarquablement développée dans nos Vosges. D’autre part, les eaux courantes qui sont indispensables à la fabrication de la fécule ont chez nous des qualités de pureté, de limpidité et de fraîcheur exceptionnelles et ces qualités sont de première importance dans la fabrication qui nous intéresse aujourd’hui.
Histoire de la Féculerie VosgienneC’est à une fort intéressante plaquette de M. B. Daniel : « Monographie de la Fécule dans les Vosges », parue en 1902 comme supplément au Bulletin de la Chambre de commerce que nous avons emprunté les documents relatifs à l’histoire de l’industrie féculière dans notre région.En 1810, M. Bloch, de Duttlenheim (Alsace), découvre, si l’on peut dire, la fécule de pomme de terre et un an après il parvient à la transformer en sirop. Pendant une quinzaine d’années, M. Bloch est le seul à fabriquer de la fécule en France et ce n’est que vers 1833 qu’une petite féculerie est montée à Fresse (canton du Thillot) par M. Jean Steiger. Devant la réussite de son entreprise, M. Steiger construisit en 1836 une deuxième féculerie à Saulx, puis peu après une troisième à Jarménil.M. Guilgot, ancien gérant de l'Association féculière, dans une notice datée de 1878, donne d’intéressants renseignements sur les procédés qu’employaient les premiers féculiers. Ces procédés étaient on ne peut plus rudimentaires. « Une féculerie se composait uniquement d’une râpe grossière, d’une pompe à bois, d’une certaine quantité de tonneaux défoncés et de tamis portatifs. Une chambre dans laquelle on disposait des châssis sur une charpente de liteaux servait de séchoir. Une dépense de deux mille francs suffisait alors pour le matériel avec lequel on obtenait 500 kilos de fécule par jour ». Ce produit n’était d’ailleurs guère employé qu’en pharmacie.Une heureuse innovation de la manufacture de Wesserling devait rapidement donner à l’industrie féculière un magnifique essor. En 1828, en effet, cette manufacture eut l’idée de substituer la fécule à la fleur de froment qui était uniquement employée pour l’apprêt des tissus. Ce procédé qui ne tarda pas à se généraliser et entraîna du même coup une propagation rapide de la fabrication de la fécule dans les Vosges.Vers 1840, M. Jean Marchal, de Hozel (commune de Saint-Laurent), entreprit la culture industrielle de la pomme de terre et installa en même temps des féculeries à Hozel, Uriménil et Uzemain. Son exemple fut suivi et en 1858 le nombre des féculiers s’élevait à 250 pour passer 20 ans plus tard au chiffre de 300. Depuis cette époque et pour des raisons que nous examinerons plus loin, ce nombre diminua ; mais aujourd’hui, on peut encore compter une centaine de féculeries qui fonctionnent dans notre département et produisent une moyenne de 90 à 100000 sacs de 1OO kilos par an.
Comment se fait la féculeL’industrie de la fécule est ce qu'on appelle une industrie saisonnière, qui marche à plein rendement depuis le commencement de la récolte des pommes de terre, c’est-à-dire vers octobre jusqu’à fin janvier, le reste de l’année étant employé à traiter les pulpes qui ont déjà servi pour une première fabrication. Les pommes de terre sont amenées à la féculerie par les récoltants. Elles doivent être très mûres, car elles contiennent plus de fécule et sont d’une conservation plus facile que les pommes de terre cueillies avant maturité. D’autre part, il importe de traiter les tubercules au fur et à mesure de leur arrivée pour éviter des emmagasinages trop prolongés qui risqueraient de les altérer. La première opération consiste dans le lavage des pommes de terre. On l’obtient par des procédés divers, mais qui tous ont pour but de débarrrasser les tubercules de la terre et des graviers qui y adhèrent. Les pommes de terre ainsi lavées sont ensuite râpées très finement et forment, par addition d’eau courante, une sorte de bouillie qui est tamisée, à l’aide d’appareils consistant, soit en cylindres, soit en auges demi-cylindriques, animés d’un mouvement de rotation ou de va-et-vient. La fécule passe à travers les trous du tamis pendant que le courant d’eau entraîne les pulpes plus grossières qui seront utilisées ultérieurement. En sortant du tamis, la fécule en suspension dans l’eau vient se déposer dans des cuves spéciales appelées tables. Quand celles-ci sont remplies, on transporte le produit dans de larges cuves où on l’agite après l’avoir mêlé à une grande quantité d’eau. Au bout de quelque temps, la fécule se précipite et l’eau de lavage est enlevée, mais comme elle contient encore des pulpes utilisables, elle rece vra ultérieurement un traitement semblable afin de ne perdre aucune parcelle de fécule. Quand le produit a atteint la pureté désirable, il passe à l’essoreuse, puis au séchoir. Le procédé de séchage le plus couramment employé dans les Vosges consiste en une toile sans fin sur laquelle est étendue la fécule qui se trouve séchée rapidement, grâce à des courants d’air chaud que l’on fait circuler dans le local.Les fécules ainsi obtenues se nomment fécules premières, pour les distinguer des fécules secondes et troisièmes que l’on extrait des pulpes qui ont déjà été traitées une ou deux fois. Après ces opérations successives, la pomme de terre a rendu toute sa fécule et il ne reste plus que des pulpes que certains féculiers trouvent encore à utiliser comme « fleuorage » de boulangers après les avoir séchées et touraillées comme engrais ou comme aliment du bétail.
Le commerce de la fécule dans les VosgesGrâce aux remarquables qualités de nos eaux granitiques, les usines vosgiennes obtiennent des fécules de tout premier choix et très brillantes d'aspect. Elles sont utilisées et recherchées par les glucoseries, les usines de blanchiment, les tissages, les papeteries, les fabrications de pâtes, etc.Cette supériorité des produits vosgiens donnèrent naissance à Epinal à un marché important qui, pendant longtemps, fut le régulateur des cours de la fécule en France. Actuellement, le Syndicat des Féculiers de l’Est se réunit encore tous les mercredis et décide des cours à appliquer. Il possède un type officiel dit « Fécule des Vosges » qui est gardé aux Magasins Généraux et sert de base pour les diverses transactions. La création de ce produit-type a eu d’ailleurs une autre importance : il a obligé les fabricants à améliorer leurs méthodes. Malgré cela, l’industrie féculière peut encore réaliser de sérieux progrès qui lui permettent de réduire la main-d’œuvre et de diminuer leurs frais de fabrication.Le commerce de la fécule qui, en 1871 et 1880, connut son apogée avec 758255 quintaux de fabrication annuelle, déclina sensiblement jusqu’à la guerre. Cette courbe descendante était due à la grosse concurrence qui était faite à nos fécules par les produits hollandais, mais le rattachement de l'Alsace-Lorraine à la Franco doit amener un nouvel essort de cette industrie. Nos deux provinces de l’Est consomment, en effet, beaucoup de fécule : 60 à 65000 sacs par an. Elles peuvent donc constituer un précieux débouché pour nos féculeries. Cependant, et malgré les tarifs prohibitifs, la concurrence étrangère reste sérieuse.Elle est représentée par la Hollande la Pologne, la Tchéco-Slovaquie et le Danemark. Pour y répondre et si notre fabrication ne suffisait pas aux besoins, il serait intéressant d’ouvrir les portes à nos fécules coloniales, notamment aux fécules de manioc et aux fécules de tavolo. Cette dernière plante, qui pousse à l’état sauvage dans l'île de Madagascar, est fort riche en fécule et pourrait par une culture intensive, compléter la production française de pommes de terre.Avant ne terminer cette étude, nous tenons, en nous basant sur le rapport présenté par M. le docteur Boyé au conseil d’hygiène et de salubrité du département d es Vosges, à jeter la lumière sur certaines critiques qui sont encore aujourd’hui formulées à l'encontre des féculeries.Se basant sur l’odeur désagréable qui se dégage des réservoirs où sont entassées les pulpes avant leur deuxième et troisième traitement, beaucoup de personnes s’imaginent que le voisinage d’une féculerie peut être considéré comme dangereux. Le rapport de M. le docteur Boyé a fait table rase de ces accusations en démontrant que les eaux ne sont nuisibles ni pour les animaux, ni pour les plantes, que même les débris de première fabrication en fermentation ne sont nullement dangereux pour la santé publique. D’ailleurs, la plupart des féculiers ont disposé leur installation de manière à ce que la mauvaise odeur elle-même soit rendue la moins sensible possible. D’autre part la nécessité de ne perdre aucune parcelle de fécule fait que les déchets sortant de l’usine sont d’une quantité vraiment négligeable dans les eaux rendues aux ruisseaux. François BLAUDEZ.
Article publié dans le journal L'Express de L'Est