Les réactionnaires - 23 septembre 1885

LES RÉACTIONNAIRES ET LES RÉUNIONS PUBLIQUES

Les députés sortants, désignés comme candidats par l'assemblée plénière du 23 août, ont à peine commencé la campagne des réunions que la physionomie électorale prend un tout autre aspect, et met en évidence les sentiments profonds, longtemps contenus, de la grande majorité des électeurs. Dans le canton de Bains, MM. Brugnot, Albert Ferry, de Ponlevoy, députés, George, sénateur, ont eu le plus légitime succès dans les réunions qu'ils ont faites à Gruey, à Fontenoy et à Bains ; à Mirecourt, M. Jules Ferry a remporté dimanche un véritable triomphe dans la réunion de la salle des halles, où près de 1500 personnes étaient massées et où toute la famille Buffet, M. le sénateur inamovible en tête, s'était transportée avec les fidèles du clan que M. Buffet fils avait convoqués d'urgence pour les faire assister à l'exécution des républicains.

La journée d'hier lundi n’a pas été moins bonne. M. Buffet s'était transporté à la réunion publique organisée par les républicains à Châtenois, où se trouvaient plus de 300 personnes ; le sénateur inamovible y a éprouvé l'échec le plus lamentable, tandis que MM. de Ponlevoy et Méline étaient l'objet des manifestations de sympathie unanime. À Dompaire, même résultat, quoique la réunion ait été un peu houleuse : l'état-major du comité dit conservateur de Mirecourt y était en nombre. MM. Figarol, les deux fils Buffet étaient venus pour donner la réplique à M. Brugnot et à M. Claude : il a fallu l'intervention, à diverses reprises, de nos amis, pour que les monarchistes pussent prendre la parole ; l'assemblée était indignée des procédés du comité Ravinel-Buffet, qui la veille avait convoqué, au moyen de lettres dont nous avons publié hier le spécimen, le ban et l'arrière-ban de leurs partisans pour s'emparer de la salle, et qui avait fait de même par voie d’affiches à Dompaire,en excipant de ce qu'à la réunion de Mirecourt on avait étouffé la parole de ses orateurs. Etre puni par où l'on a péché, rien de plus naturel en tout cas ; et c'est vainement qu'à Dompaire la réaction a essayé de prendre sa revanche. Huit mains seulement se sont levées en faveur des candidats de la faction monarchico-cléricale, tandis que l'immense majorité acclamait les candidats républicains.

Il n'y a donc que des raisons de se féliciter des réunions qui ont eu lieu ces derniers jours ; elles ont été magnifiques, et par elles nos amis des cantons ont eu le sentiment de leur véritable force, de même qu'ils se sont rendu compte des moyens d'action et de l’état d'esprit des adversaires de la République. C'est à ce point de vue que l'observation des réunions qui viennent d'avoir lieu est intéressante et instructive.

Le parti réactionnaire et clérical n'est pas le nombre : il est une phalange sans doute, mais il n'est et ne sera jamais l'armée du suffrage universel. Il cherche à suppléer, au nombre par l'audace. Vit-on jamais, en effet, tentative plus audacieuse que celle mise en œuvre par les fils Buffet, à Mirecourt et à Dompaire, au moyen de lettres de convocation spéciale à la réunion publique de Mirecourt et d'affiches à celle de Dompaire, — surtout après la campagne violente, partiale et particulièrement passionnée des réunions privées suivie durant trois mois par les Ravinel, les Buffet, les Bouloumié et les Figarol ?

Une série intermittente de réunions privées où la République et les républicains ont été calomniés à plaisir, et d'où tout contradicteur était systématiquement exclu, a laissé la masse électorale sous la seule impression des diatribes débitées bravement à huis-clos. Chacune de ces réunions a été l’objet d'un bulletin de victoire répandu à des milliers d'exemplaires. Jamais, disons-nous, les républicains n’ont été admis là, à répondre aux grands orateurs, aux profonds politiques réactionnaires ; on leur a même soigneusement, en maintes circonstances fermé la porte au nez ; — et voilà maintenant ces étranges pratiquants de la liberté de discussion, ces débitants d’orviétan et fabricateurs en chambre de la calomnie et du mensonge ; ces agents de l'obscurantisme, éternels ennemis de la lumière, qui se convoquent en masse dans les réunions publiques organisées par les républicains pour empêcher disent-ils, que les salles de réunion soient « envahies » par leurs adversaires, mais en réalité pour les envahir eux-mêmes, et pratiquer libéralement l’obstructionnisme dans les réunions publiques, comme ils ont fait le vide et empêché de pénétrer la lumière dans leurs réunions hermétiquement closes.Ceci méritait une leçon. Les Buffet l'ont reçue parfaite et complète : une longue acclamation a accueilli dimanche M. Jules Ferry quand il a rappelé si hautement les droits de la politique nationale et quand il a stigmatisé les candidatures de monseigneur l’évêque de Saint-Dié ; et quand M. Buffet fils a voulu s'imposer ensuite à une assemblée justement indignée des procédés du comité réactionnaire, 1200 poitrines ont entonné d’une seule voix la Marseillaise, ce chant sublime qui marque en ces circonstances l'esprit de résolution du peuple en face des entreprises ténébreuses et des menaces de ses ennemis.Vous vous en êtes donné à cœur joie du dénigrement systématique, de l'équivoque et de la calomnie, dans vos réunions fermées, messieurs de la réaction ; tâchez de respecter maintenant la liberté et la sincérité des réunions publiques, si vous ne voulez pas que le suffrage universel vous renvoie sommairement.... aux conciliabules de vos réunions triées sur le volet.F. AYLIES.
Article publié dans le journal Le Mémorial des Vosges