Un émule du barbier - 26 juillet 1885

UN ÉMULE DU « BARBIER »
Les chères feuilles et les chers enfants de la réaction ne tarissent pas depuis quelques jours sur la recrue inattendue qu’ils ont faite dans nos Vosges. La notoriété de l’inamovibilité sénatoriale de M. Buffet, et celle de son enflammé neveu de Nossoncourt, M. le baron de Ravinel (saluez !), en sont du coup éclipsées.On n’entend plus que les journaux et politiciens du conservatisme chanter ensemble, chaque matin, le grand air du Barbier de Séville, avec une légère variante : Figarol-ci, Figarol-là,Figarol ! me voici. Figarol ! me voilà.Figarol, de grâce !Comment voulez-vous que je fasseAh ! laissez-moi respirer ! (Bis)C'est amusant l’air du Barbier, mais enfin, — de grâce ! — il n’en faut pas abuser... surtout par cette température.Ce n’est point que je veuille enlever au nouveau héros des dithyrambes capucino-conservateurs son particulier mérite ; ce n'est pas une raison non plus, pour lui attribuer celui qui lui est étranger. Pour être sorti de l'école supérieure de l'admiration Mutuelle des pédagogues, il ne s'ensuit pas qu'on soit un homme complet et universel... et mon Dieu ! pas n’est besoin de beaucoup d'observation pour s’en apercevoir.Ceci me vient à la pensée en considérant M. Figarol combattant l’enseignement laïque « sous le prétexte qu'il a été élevé dans la foi catholique. » Si ce n'est pas de l'intolérance pure, qu'est-ce donc ? Personne n’a songé, j'imagine, à toucher à la foi de M. Figarol ; que ne respecte-t-il celle des autres ? M. Jules Simon, l'éminent universitaire à qui le Vosgien comparaît modestement, ces derniers jours, le néophyte de son parti, a au moins laissé debout, au milieu de ses apostasies, ses opinions en matière d'instruction morale et civique ; l’orateur révélé de Rambervillers et de Bruyères pouvait bien, sans condescendre, s’arrêter au point où l’auteur du Devoir a marqué sa chute ! Mais ce n’est point mon affaire.Par exemple où le nouveau disciple de la presse monarchico-cléricale échoue complètement, c'est quand il se mêle de parler travaux publics, finances et colonies. Je trouve que le Mémorial a eu tort de dédaigner cette perle que je trouve dans une de ses harangues : « Il y a au Sénégal un chemin de fer que l’on a commencé par les locomotives qui ont eu plus de bon sens que le ministre car elles ont sombré au sortir (?) du port de Bordeaux, comme si elles avaient su qu’elles ne devaient servir à rien. »N'est-ce pas que voilà une réflexion bien trouvée ! Et que cela vous démontre, clair comme le jour, que la politique coloniale est néfaste ? Aussi les locomotives elles mêmes, inspirées par le plus simple « bon sens », se sont-elles empressées de « sombrer au sortir du port de Bordeaux. » Certes, oui, elles ont eu plus d’esprit que le ministre, mais celui qui a découvert leurs machiavéliques desseins en a certainement plus qu'elles.De là à penser que le gouvernement n’a à sa tête que des imbéciles ; que les Allemands, les Belges, les Portugais, les Italiens et les Anglais, après les Français, sont également des idiots ne comprenant en rien leurs intérêts ; et que M. Figarol avec ses locomotives est le seul homme d’esprit et de perspicacité... il n’y a qu'un tout petit pas. Et j'avoue que cela m'amuse de voir qu'après Voltaire qui avait moins d’esprit que M. Tout-le-Monde, il y a chez nous un M. Figarol qui en a plus à lui tout seul que l'univers tout entier.À lui seul le savoir, le bon sens, la connaissance du présent et la prescience de l’avenir. Tout s’explique : il prépare ses destinées futures, et c’est le cas de chanter avec les feuilles de la comédie monarchiste et cléricale, le solo de Rossini :Ah ! bravo, FigarolBravo, bravissimo. (Bis.)Tout pâlit, en effet, tout s’efface devant le néophyte ; tout... jusqu'à ce diable de M. Bouloumié qui reconnait humblement avoir trouvé plus fort raseur que lui.Dame! tout s'explique : un émule du Barbier...MÉPHISTO.
Article publié dans le journal Le Mémorial des Vosges