Crime - 7 juin 1891

Le crime de la Tranchée-de-Docelles. — Comme nous l’avons dit hier dans notre seconde édition, le parquet d’Epinal, accompagné de M. le docteur Couturier, médecin légiste, de M. Mourgues, commissaire de police et de plusieurs agents, s’est rendu vendredi soir, vers deux heures, à la Tranchée-de-Docelles. Il allait procéder à une enquête au sujet de la mort du nommé Constant Colin, âgé de 54 ans, équarrisseur. Cette mort dont nous avions parlé sous la rubrique mort subite était survenue le matin du même jour, vers trois heures.D’après la déclaration qui en avait été faite, elle semblait naturelle. La police cependant avait été mise en éveil par certains bruits et, dans la matinée, M. le commissaire de police avait accompagné M. le docteur Couturier, appelé à constater le décès. Ces premières constatations ne laissèrent aucun doute : un crime avait été commis ; Constant Colin avait succombé à une mort violente.Les soupçons se portèrent aussitôt sur un nommé Jules Chevresson, âgé de 30 ans, qui était au service de Constant Colin depuis trois mois environ. M. Mourgues l’amena à Epinal vers midi pour le reconduire ensuite à la Tranchée-de-Docelles avec le parquet. Chevresson est originaire de Blevaincourt, canton de Lamarche,Au cours de l'enquête, M. Poirson, juge d’instruction, le maintint en état d’arrestation et fit arrêter en outre la nommée Joséphine Ambroise, âgée de 42 ans, née à Aydoilles et femme de la victime. On la suppose complice de Chevresson qui serait son amant. Constant Colin aurait en effet déclaré à un voisin qu'il avait trouvé sa femme couchée avec son garçon.Quelques instants après le crime, vers trois heures un quart du matin, tous deux se sont rendus à l’auberge de M. Davillers, qui habite à peu de distance. Ils lui ont alors déclaré qu’ils venaient de trouver Colin asphyxié au milieu de sa cuisine par la fumée et les gaz qui s’échappaient de la viande de cheval qu’il faisait brûler dans son foyer.Nous avons dit plus haut que Colin était équarrisseur ; il avait ce jour-là une très grande quantité de viande et, pour s’en débarrasser, il avait commencé à la brûler vers midi. Il lui est en effet défendu de l’enfouir à cause des sources d’Uzéfaing qui sont à proximité.Chevresson ajoutait en outre que Colin était en état d'ivresse depuis plusieurs semaines et qu’un verre ayant contenu de l’eau-de-vie se trouvait à côté du cadavre avec un chapeau de paille. Mais vingt minutes plus tard, M. Davillers arrivait chez Colin avec le plus jeune fils de celui-ci, domestique chez un cultivateur de la Tranchée. Il a constaté qu’il n’y avait plus ni feu ni braise dans l’âtre ; toute vapeur asphyxiante, en supposant qu'il y en ait jamais eu, s'était dissipée !Colin n’était plus sur le parquet de la cuisine ; ses meurtriers l’avaient transporté sur un lit ; ils lui avaient, disaient-ils, vainement prodigué des soins ! C’est ce dernier fils de Colin qui est venu annoncer sa mort au commissariat de police. La maison habitée par la victime appartient à M. Thiébaut, marchand de bois.Colin, qui s'était marié en secondes noces avec Joséphine Ambroise, il y a 18 ans, avait alors quatre enfants d’une première femme ; le plus jeune, celui qui habite encore la Tranchée-de-Docelles, avait alors 18 mois. Ses deux fils aînés sont actuellement au service ; son quatrième enfant, une fille, est mariée à un cultivateur de Mossoux : M. Lagarde.M. le docteur Couturier qui a fait l’autopsie du cadavre a relevé de nombreuses traces de violences ; plusieurs coups ont été portés sur la tête avec un instrument contondant. Une forte hémorragie cérébrale a déterminé la mort.On a saisi des effets appartenant aux meurtriers et sur lesquels on a relevé quelques traces de sang.Jules Chevresson et Joséphine Ambroise ont été écroués vendredi soir à 7 heures à la maison d’arrêt d’Epinal. Ils nient énergiquement toute participation au crime.
Article publié dans le journal Le Mémorial des Vosges