Saint Georges devant l'empereur est soumis à la question par le proconsul

CHAPITRE XIII.
SAINT GEORGES DEVANT L'EMPEREUR EST SOUMIS A LA QUESTION PAR LE PROCONSUL. ALEXANDRA CONFESSE DE NOUVEAU SA FOI. LA SENTENCE DE LEUR MORT PUBLIÉE ET EXÉCUTÉE. BELLE PRIÈRE D'ALEXANDRA ET DE GEORGES. LE SAINT EST DÉCAPITÉ.
Dieu venait de manifester hautement le pouvoir qu'il sait exercer sur les esprits de l’abîme et sur tous les éléments à la prière de ses Saints. Quand Dioclétien eut été instruit des faits qui venaient de se passer, il intima l’ordre au proconsul de lui faire amener saint Georges, ce qui fut exécuté. Le Saint étant vis à-vis l’empereur, Dacien lui dit : « Quels crimes n’as-tu pas commis, toi le plus pervers des hommes, par tes arts magiques tu as réduit nos dieux en cendre. — Ne vous avais-je point promis, répondit Georges, que sur-le-champ vous seriez témoin de la puissance infinie de l’autorité de mon Dieu sur les vôtres, et cela a même été accordé à votre demande. Venez avec moi et vous me verrez sacrifier de nouveau. Dacien lui coupa la parole et dit : « Je connais maintenant ta fourberie, tu voudrais m’anéantir comme tu l’as fait du temple et des dieux, » «Ah ! misérable, répliqua Georges, vous vantez vos dieux comme s'ils vous pouvaient aider, et ils ne peuvent seulement se secourir eux-mêmes. » Alors Dacien très irrité s’écria : « Je me meurs, car je suis convaincu que cet homme m'a surpassé et m'a humilié. » A l'instant même et comme il venait de dire ces paroles, la princesse Alexandra qui avait écouté ce dialogue du proconsul avec saint Georges, accourut vers l’empereur et dit en sa présence à voix haute :'« Vous, ô Dieu de Georges, qui lui avez donné le courage d’un intrépide soldat pour qu'il pût faire face à vos ennemis et triompher de leurs attaques, soyez-moi propice, moi qui ne suis qu’une pauvre femme. Ne regardez point, Seigneur, mon ignorance, mais considérez plutôt le changement que votre grâce vient d'opérer en moi, et donnez-moi, dans votre bonté infinie, d’avoir part au sort des chrétiens et spécialement à celui de Georges, votre serviteur. » Alexandra en parlant ainsi, manifestait par le ton de sa voix et par l'abondance des larmes qu’elle répandait, une telle conviction de la Foi qu'elle venait de professer solennellement, qu'une multitude de païens crurent aussi au Seigneur Jésus, ébranlés qu'ils avaient été par la vue de la chute des idoles.
Le proconsul irrité du courage d’Alexandra, prit la parole au nom de l’empereur et dit : « Ah ! quelle douleur ! Alexandra tu persistes donc dans ton aveuglement ? » — Tu sauras, répondit Alexandra, qu'il me serait agréable de donner ma vie pour Jésus-Christ ; que loin de redouter la mort, je l’appelle de tous mes vœux, c’est assez te dire que je suis disposée à tout souffrir plutôt que d'abandonner ma Foi. » « Eh bien, reprit Dacien, puisque tu t'es laissée séduire par les chrétiens, surtout par le chevalier Georges, lu vas être traitée comme eux.» Et sans attendre l'ordre de l’empereur, ce proconsul la fit suspendre par les cheveux et la fit battre cruellement avec des verges. Pendant qu'on la battait, elle s’adressa à saint Georges, et lui dit: « Lumière de vérité et serviteur de Dieu, où pensez-vous que j’aille lorsque je serai morte, moi qui n’ai point encorereçu le baptême.» — « Ne craignez rien, lui répondit Georges, le sang que vous versez remplace votre baptême et vous mérite la couronne céleste que vous aurez bientôt.» Dioclétien qui avait vu ce qui s'était passé et avait entendu ces discours, prit cette fois un air plus sérieux. « Ah ! dit-il, nous ne terminerons donc pas cette question, nous désespérons même de convaincre Alexandra aussi bien que Georges ; assez longtemps ils se sont moqués de nous et de nos dieux ; assez longtemps ils ont impunément abusé de ma patience. Ni mes promesses, ni mes menaces, ni mes caresses, ni mes châtiments n’ont pu les ramener au culte des dieux. Eh bien, j'ordonne que tous deux aillent subir la peine capitale qu’ils ont encourue par leur révolte contre les lois de mon empire. Alexandra, il est vrai, est étrangère, mais on lui a signifié ou de se retirer chez elle, ou du moins de demeurer en repos, elle n’en a rien fait ; loin de là, elle est venue de plein gré se rire de mes décrets ; qu’elle subisse donc avec Georges qu'elle a voulu imiter, le châtiment qu'elle mérite. Après avoir dit cela, l’empereur fit publier ce décret : « Georges, disciple du Galiléen, qui a violé les décrets de son empereur et a refusé d’adorer nos dieux, par ordre du même empereur est condamné à avoir la tête tranchée par le glaive, de même que la princesse Alexandra qui s’est faite son imitatrice dans son impiété et sa révolte et a ainsi brisé les sceaux de l'alliance qui était passée entre son gouvernement et le mien.» Les bourreaux qui n'attendaient que le signal donné pour seconder et servir la fureur du proconsul et celle de l'empereur, après avoir entendu la lecture de ce décret, se disposèrent à l’exécuter. Au commandement du proconsul, ils se saisirent bien vite de ces deux victimes, les garrotèrent et puis les emmenèrent hors de Nicomédie. Pendant le trajet, Alexandra, affaiblie par les tourments qu'on lui avait fait subir et par le sang qu’elle avait alors perdu, tomba épuisée. En vain les bourreaux essayèrent de la faire marcher, ils se virent contraints de la laisser s'asseoir et reposer à terre, La sainte Martyre élevant vers le ciel ses regards joyeux et doux, remua les lèvres pour recommander au Seigneur son âme qu'elle lui rendit peu après dans une angélique paix. Quant à saint Georges, il put, à force d'efforts, arriver harassé, à demi mort d’épuisement et de fatigue, au lieu désigné pour son supplice. Voyant que les bourreaux se disposaient à l’exécuter, il leur dit : « attendez attendez un peu que je recommande mon âme et offre ma prière à mon Dieu. »
Les bourreaux le lui ayant accordé, ils virent le Saint qui élevait les mains vers le ciel, puis ils l’entendirent pousser un profond soupir et dire cetteprière :
« Mon Dieu qui êtes avant tous les siècles et dans la protection duquel je me suis confié dès mon enfance, vous qui êtes le seul bien qu’attendent les vrais chrétiens et qui remplissez leurs désirs, en leur accordant l'abondance de vos grâces avant même qu’elles vous soient demandées, exaucez-moi maintenant selon votre promesse. Et, puisque vous m’avez donné la force de vous confesser jusqu’à la mort, faites-moi aussi la faveur de souffrir patiemment jusqu'à la fin de ma carrière. Recevez mon âme en ce dernier moment et délivrez-la de ses ennemis, des esprits méchants répandus dans les airs, mon âme qui est la seule que je possède, afin que secourue par votre grâce, elle puisse arriver jusque dans votre sein. Pardonnez à ces idolâtres qui ont sévi contre moi, ce qu'ils font aussi pour vos autres serviteurs. Éclairez-les, mon Dieu, du flambeau de votre vérité sainte, puisque c’est votre volonté que tous parviennent au salut éternel. Envoyez votre secours à tous ceux qui invoqueront votre nom, par l'entremise de Georges, votre petit serviteur, ô Jésus-Christ, mon Seigneur ! Donnez à vos Saints avec la ferveur de la charité, le don précieux de votre crainte, afin qu'ils gardent toujours en eux-mêmes le souvenir de vos bontés ; que ceux-ci soient excités à les imiter dans leur foi, et que les uns et les autres se rendent dignes de jouir un jour de la vie céleste et du royaume éternel, où vous régnez avec le Père et le Saint-Esprit. Amen.Le Saint ayant fini sa prière, se mit à genoux et présenta sa tête au bourreau qui, d’après l’ordre de Dacien, la lui trancha d’un seul coup. Ainsi s’endormit dans le Seigneur, à l'âge de vingt-deux ans, ou environ, le bienheureux saint Georges, le vingt-troisième jour du mois d'avril, qui était la veille d’une fête, l’an 303 de Notre-Seigneur Jésus-Christ. D'après Jacques de Voragine, au retour de Dacien dans son palais, la foudre le pulvérisa ain que tous ses ministres, Dieu voulant nous montrer par ce châtiment bien mérité, qu’il venge ses Saints en punissant leurs persécuteurs souvent même dans cette vie.
Quant au précieux corps de saint Georges, il fut recueilli honorablement par des chrétiens, ses amis, qui l’inhumèrent avec toute la piété possible dans une de leurs terres à Nicomédie. Puis, quelques années après, quand la persécution fut ralentie, on le transporta à son pays même, c’est-à-dire à Diospolis, comme il sera dit ailleurs.La vie et la passion de saint Georges a été écrite aussitôt après sa mort par un de ses disciples nommé Pansicrate, et il s’en est fait une multitude de copies qui, au moyen âge, ont été fort répandues dans les cloîtres. C’est aux soins de ces bons religieux de conserver ces précieux manuscrits que nous devons la substance qui forme le fond de celle que nous venons d'écrire.