Culture de la pomme de terre - 24 avril 1922

La Culture de la pomme de terre dans les VosgesSon amélioration
La pomme de terre, aujourd’hui si répandue, semble être notre plus vieille plante potagère tellement elle est devenue nécessaire à notre alimentation et cependant sa culture est relativement récente. L’oignon, dont l’importance est toute relative, l’a précédée dans nos jardins et dans nos préparations culinaires. Elle fut introduite dans notre département par les vallées de Schirmeck et de Celles, probablement vers 1600, puis se répandit rapidement vers le milieu du XVII° siècle. Dès 1715, une ordonnance du Duc de Lorraine exigeait qu’elle figurât dans le règlement de la dîme. Turgot et Parmentier en furent les propagateurs en France, mais elle était déjà cultivée dans notre région. Le département des Vosges est resté un producteur important. Le climat, la nature du sol sont favorables à la production des tubercules et aujourd’hui encore, les semenceaux des Vosges sont recherchés et appréciés par les autres régions, jusque dans l’Ardèche. La culture s’est surtout développée grâce à l’industrie féculière, favorisée, dans la montagne, par l’abondance et la qualité des eaux, la fécule étant utilisée sur place par les blanchisseries, pour l’apprêt des tissus de coton. Les premières féculeries se seraient installées vers 1835. En 1868 on en comptait 200 dans le département, la plupart étant des usines annexes de la ferme. A cette époque, « la fécule d’Epinal » jouissait d’une grande réputation et les Vosges connurent une ère de prospérité qui se manifesta par l’augmentation de la valeur vénale et locative de la terre. Dans la suite, des amidonneries et des féculeries plus perfectionnées s’installèrent dans d’autres régions et concurrencèrent l’industrie vosgienne ; en 1910 on ne comptait plus que 98 usines et en 1921, 67. La culture de la pomme de terre a subi une régression parallèle et la statistique officielle indique 27800 ha en 1912 et seulement 18161 ha en 1921. Si nous examinons les prix de vente de la fécule et de la matière première, nous voyons qu’en 1910, la pomme de terre industrielle valait 5 francs les 100 kgs, et en 1921, 20 francs, alors que la fécule est passée de 24 francs à 170 fr. Le prix de la fécule était 5 fois supérieur à celui de pomme de terre ; il l’est devenu 8 fois 1/2. Dans la montagne, une large place est réservée à la pomme de terre qui, dans les cantons de Fraize, Gérardmer, Saulxures, occupe la moitié des terres labourées. Dans le département tout entier, elle occupe près du 1/8 des terres labourées ; son importance, ne doit pas diminuer. Sur les sables granitiques et gneissiques de la montagne où les sables gréseux mêlés d’argile de la Vôge, la pomme de terre se trouve dans un milieu favorable ; la population industrielle de la région ne fera qu’augmenter les débouchés et les féculeries installées désormais avec tous les perfectionnements modernes et de plus en plus sous forme de coopératives, absorberont une grande partie des récoltes laissant au producteurs un bénéfice plus important. La production du plant de semence doit aussi conserver sa vieille réputation vis-à-vis des autres régions de la France. Les variétés les plus appréciées autrefois ont dégénéré ; leur rendement est devenu peu élevé, leur résistance aux maladies a diminué. La Jeuxey (ancienne Vosgienne) n’est plus connue, en 1900 on appréciait beaucoup la Maerker, la Landjuwel, la Fin de Siècle, plus tard, la Rouge Américaine, la Richter, l’Institut de B., le Magnum, l’Early. Aujourd’hui on cultive de plus en plus la Wohltmann, la Ferdinand Heine, la Rouge Colin pour la féculerie, l’Industrie et l’Institut de Beauvais, pour l’alimentation. La cause du fléchissement des rendements paraît être dans la dégénérescence causée par certaines maladies contagieuses et héréditaires connues sous les noms d’enroulement et de mosaïque et qui ont été étudiées en Hollande par le professeur Quanjer, en France, par MM. Ducomet et Foëx. D’après une note récente déposée à l’Académie d’Agriculture par ces deux pathologistes français, le renouvellement des semences, malgré ses nombreux partisans, « doit être effectué avec discernement, sans quoi l’opération peut être infiniment plus nuisible qu’utile. La fâcheuse situation sanitaire actuelle de la pomme de terre doit être en grande partie imputable à ces échanges de semences qui se sont effectués sans méthode dans toutes les directions, entre les régions les plus diverses. Il en est résulté une large diffusion de la maladie. En attendant d’être en possession de formes plus satisfaisantes que celles que nous possédons, il est sage de faire le nécessaire pour conserver ces dernières. » Les conditions climatériques de 1921 ont été défavorables à la pomme de terre, les rendements étaient faibles et la qualité des tubercules, médiocre. A la suite des pluies orageuses d’août, une deuxième génération de tubercules s’est développée aux dépens de la première et les cultivateurs sont embarrassés pour choisir leur semence. M. Schribaux, professeur à l’Institut Agronomique, conseille de prendre deux lots de tubercules appartenant à chacune des générations et de les faire germer rapidement dans un local obscur et chaud. Quand les germes auront atteint 1/2 cm. à peine, on choisira la semence dans les tubercules qui germent le mieux, en éliminant les tubercules stériles et les tubercules donnant des germes grêles. Après ce tirage, on les exposera en couche mince, à la lumière, sous un hangar ou sur un grenier et on les retournera de temps en temps. On obtiendra ainsi des germes courts et trapus qui donneront une levée régulière et hâtive. Si l’on n’a que de petits tubercules, on les plantera plus serrés et on réduira le nombre des yeux en ne conservant que les plus forts. Il faudra, d’autre part, assurer une bonne préparation du sol et appliquer une fumure rationnelle. Le fumier de ferme a dû être enterré de bonne heure. Dans les terres granitiques et gréseuses, bien fumées, on pourra mettre 3 à 400 kgs de scories ; dans les sols calcaires et les limons silico-argileux on répandra à la place, 300 kgs, de superphosphates et dans tous les sols on apportera 2 à 300 kgs de sels de potasse d’Alsace. Tous ces engrais doivent être enfouis avant la plantation par un labour ou un scarifiage. Il est grand temps de le faire. Enfin, à la plantation, dans les terres compactes, et lors de la levée et du premier binage, dans les terres légères on répandra avec profit 80 à 100 kgs de nitrate. Pour prévenir la pourriture, on pratiquera par la suite le sulfatage au sulfate de suivre, puis on procédera au marquage des pieds vigoureux et sains pendant la végétation, dans les champs réservés à la semence. Dans ces conditions seulement on pourra espérer avoir de la bonne pomme de terre à planter en 1923.
Article publié dans le journal L'Express de L'Est