Obsèques - 7 mai 1921

Obsèques. — On nous écrit :
Les deux populations d'Aydoilles et de Fontenay se sont admirablement montrées, mercredi 4 mai, à la cérémonie religieuse et patriotique de l’inhumation de deux glorieux enfants de ces communes, morts pour la France.Les conseils municipaux avaient répondu unanimement à la convocation de leurs dignes maires. MM. les curés de la région étaient accourus, malgré les rogations et malgré un ministère chargé par la veille de l’Ascension, pour prêter leur concours dans la circonstance. Une très belle compagnie de pompiers, bien dirigée, bien équipée, se faisait remarquer par une tenue parfaite. Instituteurs et institutrices avaient merveilleusement préparé leurs enfants, après avoir ornementé la salle d'attente pour la réception des corps. Chaque petit garçon portait une couronne à la main, et chaque petite fille portait un bouquet, ils formaient une double haie d'honneur, devant la salle d'attente, devant l'entrée de l'église et pendant les discours prononcés au cimetière. L'église avait revêtu le grand deuil, donné par la famille Dufour ; une tenture tricolore entourait le catafalque ; des trophées de drapeaux ornementaient les colonnes. Les deux Sociétés des jeunes gens d’Aydoilles et de Fontenay s'y trouvaient présentes avec leurs drapeaux et bannières ; des jeunes filles prêtaient à l’organiste le concours de leurs chants. Depuis longtemps, l'église d'Aydoilles n'avait vu pareille assistance, aussi nombreuse et aussi recueillie, où l’on remarquait M. le chef d’escadron d'artillerie Toussaint, officier de la Légion d'honneur, son fils et les glorieux survivants de la grande guerre, décorés de la croix de guerre, car ils sont nombreux à Aydoilles et à Fontenay. Les chevaliers de la Légion d'honneur et les décorés de la médaille militaire y sont aussi relativement nombreux et célèbres.Citons parmi les chevaliers d'Aydoilles, Gustave Collot, caporal de fusiliers marins, ayant dix citations, le capitaine Thouvenot, le lieutenant Georges Conraux, l'adjudant pilote-aviateur André Conraux qui a abattu cinq avions ennemis. M. Maurice Dufour, maire d'Aydoilles, est décoré de la croix de guerre. Le lieutenant Robert Laheurte et l'adjudant des tirailleurs Georges Arnoux en sont constellés.Tout le personnel de la tuilerie d'Aydoilles était là au complet: avec M. Morel, directeur, et Mme Georges Bastien, représentant son honorable famille.Après la célébration solennelle des messes, et avant l'absoute, M. le curé d'Aydoilles les prononça le discours suivant :Discours de M. le curé d’AydoillesNous avons aujourd'hui une première part à la lugubre distribution de nos glorieux morts pour la France. Aydoilles et Fontenay honorent en ce moment deux d'entre eux ; leurs cercueils juxtaposés sont enveloppés par le drapeau-national, couverts de couronnes et de fleurs. Leurs funérailles sont un triomphe, le triomphe du poilu qui s'est sacrifié pour sauver la France de la domination des barbares d'outre-Rhin.A tous les enfants d'Aydoilles et de Fontenay morts au champ d'honneur, nous voudrions faire le plus magnifique accueil ; ils le méritent ainsi que leurs familles en deuil, Ces hommages, nous les accordons aujourd'hui à Louis Leroy et à Georges Marchal, deux amis d'enfance, deux camarades du même cours de préparation militaire, deux engagés volontaires de la grande guerre du droit, deux inséparables, jusque dans leurs glorieuses funérailles.Avant de bénir leurs tombes, je viens vous rappeler leurs actes, dignes d’être immortalisés dans notre martyrologe. Louis Leroy, enfant de Fontenay, dont la famille ici présente du côté maternel est d'Aydoilles, s’engagea au 44° régiment d'infanterie. Au premier jour de la guerre, il fait partie de la 14° division de Villaret, du 7° corps Bonneau.Le 7 août, il prend part à un assaut à la baïonnette qui enlève Altkirch. Le lendemain, il entre à Mulhouse. Le 9 août, il défend Cernay et il évita l'encerclement.Passant sous les ordres du général Vauthier et, du général Pau, il triomphe à la victoire de Dornach, le 19 août, et il rentre une seconde fois à Mulhouse.Le 24 août, il quitte l'Alsace avec douleur. Son 7° corps passe à la VI° armée, Maunoury, il va défendre Paris et la France.À la bataille de l'Ourcq, il combat cinq jours et cinq nuits, sans interruption ni accalmie, le 5 septembre, à Saint-Soupplets, au nord-ouest de Meaux, le 6 septembre, à Etavigny, au nord de Meaux, le 7 septembre, à Villers-Saint-Genest, au nord est de Meaux, le 8 septembre, à Acy, le 9 septembre, à la glorieuse victoire de May-en-Multien.Malgré une fatigue extrême, il talonne, avec la 6° armée, les trois corps d'armée et les trois divisions de cavalerie de von Klück. Mais les positions de la rive droite de l'Aisne et du plateau de Saint-Gobain ont été organisées par l'ennemi. Maunoury ordonne au 44° R. I. de faire l'assaut d'Autrèche. Louis Leroy prend part à ces terribles attaques où il tombe glorieusement le 16 septembre.Sur ce même théâtre de bataille, il sera vengé par Georges Marchal, le 12 octobre 1918. C'est le jour où Autrèche est enlevé par le 6° corps, où le massif de Saint-Gobain est pris par la 10° armée Mangin.Engagé volontaire au 61° d'artillerie, Georges Marchal fait partie de la 6° brigade d'artillerie. 11 rentre triomphalement à Laon, le 13 octobre. Pendant huit jours et huit nuits, il prend part aux attaques de la Hunding-Stellung, sur la Serre, où Mangin enfonce tout, mord, brise, déchire, broie et passe le 25 octobre ; il bondit sur l'ennemi en retraite, cueillant avec nos armées depuis le 15 juillet 1918, 139000 prisonniers ef 1880 canons. C’est la dernière phase da l'ultime bataille. L'armistice est signée ; hélas ! à une immense joie succède un grand malheur ; les wagons qui ramènent les permissionnaires du 61° R. A. tombent dans le Matz. Avec un grand nombre d’artilleurs, Georges Marchal meurt pour la France et pour Dieu. Je lui avais fait faire sa première communion le 22 mai 1910.Au nom de tous mes paroissiens, au nom de Messieurs du Souvenir français dont je suis le délégué, j'adresse à tous les parents de tous les enfants d’Aydoilles et de Fontenay, morts au champ d'honneur nos sentiments de sincère condoléance, avec l'expression de notre admiration pour leurs soldats disparus. Certes, ils étaient beaux quand ils se ruaient comme des lions aux assauts, quand jour et nuit ils bravèrent la mitraille implacable dans les tranchées boueuses ; ils avaient des âmes de feu dans des corps de boue, avec des vêtements en guenille, troués de blessures et de sacrifices, mais auréolés de gloire. Nulle part, les plus belles histoires de l'humanité n’ont raconté un plus grand amour du sol national.Dans leur orgueil, nos ennemis espéraient que notre génération ne pourrait pas porter de tels fardeaux d'immolation. Dieu aidant, voyez sur quelles hauteurs morales et patriotiques nos poilus sont montés en Alsace, à Gerbéviller, à la Chipotte, à Rozelieures, au Grand Couronné, sur l'Ourcq, sur la Marne, sur l’Yser, sur la Somme, à Verdun, à Notre-Dame-de-Lorette, en Champagne, à La Fontenelle ; tous ces noms et tous ceux des cols vosgiens sont des noms d'épopée qui replacent magnifiquement notre race à la tête des nations.Ils étaient. beaux. nos poilus lorsqu'au soir des batailles, ils passaient sous un drapeau en loques sur le pli duquel était écrit 1e nom de la France. Plus beaux encore quand la guerre les plaçait sur un lit d'hôpital comme des christs rédempteurs couverts de plaies saignantes.Mais, où ils rayonnent nos héros, plus transfigurés qu'à la bataille, qu'à la victoire et qu'à la douleur, j'ose le dire bien haut, malgré les deuils des pères et des mères, c'est dans la mort. Leur mort n’est pas une ruine c'est une exaltation, c'est l'apothéose des soldats.Tout à l'heure, inconnu et perdu dans les rangs de l'immense armée, le petit soldat, fils des champs, en tombant pour la France, creuse une fosse d'où jaillissent des rayons d'immortalité ; son nom retentit dans le cœur du pays tout entier.Rendons hommage à nos héros, recueillons sur leur tombe une leçon de patriotisme, prions pour leur âme au pied des autels, promettons à la patrie d'imiter leurs vertus. Faisons à la France de tous nos dévouements réunis une couronne immense de gloire et une puissance invincible. C’est le serment qu'en votre nom j'ai déposé sur l'autel de la patrie, en offrant à Dieu l'immolation de nos martyrs de la guerre avec celle de notre divin Rédempteur, pour la revanche du droit, pour la liberté des peuples, pour le salut de la patrie et de tous les Français, pour le triomphe de la paix victorieuse et durable.
Article publié dans le journal Le Télégramme des Vosges