Agriculture et évolution sociale - 5 octobre 1937

L’agriculture et l’évolution sociale
Discours de M. Dormann, sénateur de Seine-et-Oise, ancien ministre prononcé à l'Assemblée générale de l’Union des Syndicats Agricoles des VosgesMessieurs,Vous ne sauriez croire combien je suis reconnaissant à mon excellent collègue et ami, M. Barbier — doublement collègue, puisque tous deux nous appartenons à la Commission d’Agriculture du Sénat — de m’avoir procuré le plaisir et le grand honneur de me trouver aujourd’hui au milieu des agriculteurs du département des Vosges. Je dis grand honneur, car votre département a permis à un de ses plus éminents représentants, à une époque où !a misère désolait le monde agricole, de redonner confiance à tous les gens de la terre de France, je veux nommer Jules Méline, dont le nom sera toujours respecté.Originaire de la région sud de Seine-et-Oise, à l’orée de la Beauce, j’ai senti déjà, à ce moment-là, combien l'influence de votre compatriote a été grande et il ne peut m'être plus agréable devoir que celui de saluer sa mémoire.Vous dirais-je comment je suis arrivé à me consacrer à la défense desagriculteurs ? C’est assez simple. Né au milieu d’eux, j’y ai toujours vécu. Foncièrement attiré par leur noble profession, j’ai eu la possibilité, ainsi, de les voir journellement, de connaître leur vie, leurs efforts et trop souvent leurs déceptions.J’ai compris la grande leçon qui se dégage de ceux-là qui sont constamment en lutte avec les éléments, leurs ennemis héréditaires. Pour résister à ses éléments, il faut leur optimisme, leur fatalisme, peut-on dire, leur résignation et, en même temps, leur ardeur au travail.J’ai compris également, que l'agriculture est véritablement le fondement de la vie humaine et que nous nous devions de lui donner l'appui le plus vigilant pour lui permettre de continuer à jouer son rôle.Mais les événements ont marché terriblement vite depuis le bouleversement causé par cet horrible cataclysme que fut la guerre. Les méthodes ancestrales ont été complètement mises en échec devant des problèmes nouveaux surgis des conséquences de notre vie économique.Le paysan qui pourtant a été le plus fidèle à ses habitudes, à ses traditions, s’est senti menacé. Lui qui ne mesure pas ses efforts a dû subir des privations qu’il supporte stoïquement, c'est vrai, mais qui sont profondément injustes.Ainsi les campagnes se dépeuplent de plus en plus. En écrivant son « Retour à la Terre », en 1900, votre compatriote avait vu le grand danger menaçant le pays. Hélas ! aujourd'hui il nous faut abandonner l'espoir du retour à la terre et borner nos efforts à lutter plus spécialement contre l’abandon de la terre. Si nous lisons les statistiques, nous apprenons qu'il n'existe plus que 3655000 exploitants, propriétaires, fermiers et métayers, en diminution de 1700000 par rapport à 1892. Ce résultat n’a-t-il pas quelque chose d'alarmant ?Parce que la classe paysanne est restée la partie la plus saine de notre armature nationale, nous devons chercher à la protéger de toutes les manières inlassablement.Mais de son côté le paysan français a besoin de faire lui-même de nouveaux efforts. « Aide-toi, le ciel t'aidera », dit le vieux proverbe. Ces efforts ils sont considérables, car il ne s’agit plus de lui demander de se plier à de nouvelles méthodes culturales, ou de savoir plus judicieusement choisir les meilleures semences ou les engrais les mieux adaptés à sa terre, il s'agit maintenant de lui demander de changer son caractère d’individualisme, sa façon de vivre. C'est, bien là ce qui est la tâche la plus ardue, en même temps que la plus délicate.Il y a encore peu de temps — surtout, dans mon pays — le paysan était rebelle à toute idée qui pouvait lui enlever de son particularisme et de sa personnalité. Il travaillait pour lui, sans croire avoir à se mettre d'accord avec son plus proche voisin. Il lui a bien fallu se convaincre que dans toutes les catégories les hommes ne pouvaient vivre seuls, travailler isolément. Comme tous les autres fractions des travailleurs, ils sont aujourd'hui placés dans celle cruelle alternative : ou s’unir, ou périr.Sur tout le territoire, une floraison de groupements sont éclos, des syndicats d’abord, puis des comités de défense paysanne, des coopératives.Que ce soit pour la vente de son blé, de son lait, de ses pommes de terre on de son vin, le producteur est obligé, maintenant, de se grouper, de s'unir étroitement : qu’il me soit permis de dire que s’il l'avait fait plus tôt et plus complètement, il n’aurait pas à supporter un régime étatiste menaçant de supplanter le vieux libéralisme qui pourtant a duré des siècles.C’est un fait, la profession agricole doit s'organiser, et elle doit s'organiser elle-même. C'est pour elle une question de vie ou de mort, et c’est pourquoi j'ai entrepris de me consacrer à prêcher ces doctrines qui ont une forme d’axiomes.L'ordre du jour de cette séance m'a révélé que le sujet que j’aurai surtout à traiter aujourd'hui devant vous serait « L'Agriculture et l'Evolution sociale ». C'est, à côté des question techniques, un sujet qui mérite qu'on s'y attache.Pourtant, en guise de préambule, voulez-vous tout de même me permettre d'évoquer devant vous quelques questions qui sont d'actualité et dont deux sont ici plus locales.La production laitière et la fabrication du fromage dans les VosgesLa production laitière présente dans les Vosges une grande importance. En 1936, la production totale de ce département atteignait 1180600 hectolitres de lait produits par un troupeau de 82146 vaches.La fabrication du fromage constitue la branche la plus importante de cette industrie, puisqu'elle absorbe 40 % de la production totale. La production fromagère, de son côté, porte d'une part sur la fabrication des fromages de Munster, absorbant 85000 hectolitre de lait dans les vallées des Vosges, et d’autre part, à l'ouest du département, dans la plaine, sur la fabrication des fromages de Gruyère et des fromages à pâte molle, nécessitant 150000 hectolitres.Parlons plus spécialement du fromage de Munster. Celui-ci est assez intéressant parce que sa fabrication se fait, pour la plus grande partie à la ferme ; il existe cependant quelques fromageries industrielles dans les régions d'accès facile et où les communications sont possibles en toutes saisons.Les fabricants de fromages fermiers sont groupés en coopératives, elles-mêmes affiliées à une Union de coopératives qui met à la disposition de celles-ci un service commercial. Les coopératives d’affinage sont en même temps des coopératives d'achat des produits nécessaires à la vie des fermiers.Or, l’examen des comptes de la coopérative de Vagney, une des plus importantesde la région des Vosges, a démontré une situation difficile des producteurs de Munster. En est-il de même dans les autres, coopératives ? Cela est fort probable.S’il n’est pas possible d’envisager la création d'usines de type industriel pour la fabrication du fromage de Munster, dans les hautes vallées des Vosges, où le ramassage est impossible pendant l’hiver, le problème de la fabrication en commun s’est posé dans ces régions pour deux raisons. La première à cause de la variation dans le poids, la dimension et même les qualités extrêmement variables d'un producteur à l’autre ; la seconde en raison de la tâche considérable imposée aux mères de famille.Sans doute y aurait-il intérêt à envisager la fabrication en commun dans un chalet spécial, par un fromager rémunéré par l'ensemble des producteurs. Déjà il y a un exemple, au chalet de Le Mont, dans la vallée de la Moselotte ; celui-ci a été créé au mois de juillet dernier, à la suite des études faites sur la fabrication du fromage de Munster par le centre mobile l'expérimentation laitière, organisé dans les Vosges, en application de la loi sur le lait. Les résultats sont assez satisfaisants pour permettre d'envisager l'amélioration des conditions de vie des producteurs des vallées des Hautes-Vosges, et d’accroître la qualité moyenne de cette sorte de fromages.Pour compléter l'organisation du marché de ces fromages, il était nécessaire d’envisager la possibilité de reporter sur les périodes déficitaires les produits obtenus en périodes excédentaires, pour éviter des variations extrêmes de prix. Pour cela on envisage actuellement l’organisation de caves climatisées qui permettront de placer les fromages à une température et à un degré d’humidité bien déterminé de façon à en ralentir la maturité.Ainsi, de la coopération complétée et du groupement des intérêts communs pourront naître des intérêts particuliers mieux servis et plus en rapport avec les efforts consentis par tous.Il faut donc, de toute évidence, orienter votre action de ce côté.
La fécule de pommes de terreAutre exemple qui justifie, bien l’importance d’une action en étroite union.Les Vosges sont le département le plus gros producteur de pommes de terreindustrielles et de fécule. Je l'ai appris parce que mon propre département de Seine-et-Oise est également intéressé par cette production.Mais me permettrez-vous de taire une constatation ? Vous avez une production très divisée, tant au stade culture qu’au stade féculerie. Régulièrement, à l’époque de la fabrication, septembre, octobre, novembre, nos producteurs de la région de Paris se plaignent d’une baisse faite dans votre contrée, dont ils supportent le contre-coup.Je sais bien que vous avez des arguments pour justifier une baisse de 15 fr. par quintal par rapport aux autres rayons, et ceci compte tenu des différences de qualité et des frais de transport. Vous invoquez : 1° La nécessité où vous êtes de réaliser des ventes de fécule rapidement pour donner des acomptes aux cultivateurs ; 2° Vous redoutez, en tenant les cours de faire le jeu des concurrents de la fécule de pomme de terre, notamment de l'amidon de maïs et autres ersatz.Examinons donc, si vous le permettez, rapidement, les remèdes.D'abord sur vos besoins de trésorerie. Il est un fait que les féculiers vosgiens sont en général de petits industriels ou de petites coopératives et que vous manquez d'avances.Lorsqu’on vous dit : « La fécule est un produit, qui se conserve remarquablement, stockez donc et obtenez des avances par warrants sur la marchandise stockée, ce qui vous permettrait de donner des avances aux cultivateurs », vous répondez que vous manquez de place pour loger, et chaque année vous perdez des sommes importantes en faisant perdre aux producteurs des autres régions.Pourtant n’a-t-on pas obtenu, bien avant l’institution de l’Office du Blé, et dans de nombreuses régions, des résultats tangibles pour le stockage du blé et le financement de cette céréale ?Ce qui a été possible pour le blé, pour le vin, pour de nombreux autres produits agricoles, peut l’être pour la fécule. Il suffit de le vouloir.C’est une question do discipline et de compréhension de l’intérêt général. C'est aussi une question d'organisation professionnelle, capable de résister aux courtiers de fécule qu savent entretenir chez vous des principes d'individualisme.Certains d’entre vous disent que la pomme de terre et la fécule sont payées assez cher. Permettez-moi de vous répondre que l'absence de logement et de trésorerie dont vous souffrez montrent bien que vous ne vendez pas à un prix suffisamment élevé. Cela démontre également que si les autres rayons n'étaient pas, eux, solidement organisés pour résister ce serait la panique des cours au début de chaque campagne.Il vous suffirait donc, pour améliorer cette situation, que les féculeries des Vosges et du rayon de l’Est créent un organisme inter-professionnel comprenant des producteurs de pommes de terre, des féculiers et des courtiers qui pourraient alors fixer le cours en accord avec les autre rayons. Les marchandises non vendues an cours fixé pourraient être stockées dans des locaux qu'il serait facile de se procurer ou d’édifier, et qui permettraient d’obtenir les avances nécessaires pour les premier acomptes à donner à la culture.En ce qui concerne la concurrence de l'amidon de maïs et des ersatz divers, il ne faut, ni en sous-estimer, ni en surestimer les dangers.L'amidonnerie de maïs, travaillant toute l'année des matières non périssables, riches en amidon, a un avantage certain sur la féculerie, industrie saisonnière, travaillant des matières périssables, pauvres en fécule. Cette différence a justifié les mesures de protection en faveur de la féculerie.N’oublions pas que la féculerie est 100 % française, alors que l’amidonnerie est en fait constituée par un seule société qui s'intitule « Société Française des produits du Maïs », qui est, à la vérité, une filiale de « Korn Product », société américaine. Je n’entreprendrai pas ici de vous donner des détails sur la formation de cette société, sa composition, ni sur les circonstances des interventions qui ont protégé ses actions. Retenons seulement qu'une lutte acharnée, vieille de 50 ans, se poursuit âprement entre les deux industries, féculerie et amidonnerie, avec des alternatives diverses.Notons également que depuis 1930, l’amidonnerie a nettement rétrogradé sur le marché intérieur (près de 50 %). Elle a mesuré la force des associations agricoles et de la Confédération des planteurs de pommes de terre.Finalement les deux ministres intéressés, agriculture et travail, place l'amidonnerie comme une industrie complémentaire de la féculerie, vendant cher pour éviter de lui faire de la concurrence.Ainsi peut-on dire que les Vosgiens ont tort de lâcher les prix pour éviter que l’amidon ne prenne la place de leur fécule. Ce danger n’existe pas, car les dirigeants de l’amidonnerie sont bien trop malins pour faire une concurrence qui justifierait immédiatement une offensive contre eux.Quant aux autres ersatz, fécules de manioc, fécules exotiques (Sagou, Tavolo, etc...) leurs usages sont limités, alors que dans la plupart, la fécule s’avère difficilement remplaçable.En résumé on peut dire :Que l’effort d’organisation de la réduction vosgienne et du marché vosgien de la fécule est possible. Simple question de volonté et de discipline ;Que la concurrence de l’amidonnerie et des ersatz, pour sérieuse qu'elle soit, ne saurait s’opposer à un effort tendant à une meilleure tenue des cours sur la période de fabrication.L’amidonnerie elle-même prétend que c’est la féculerie qui lui fait de la concurrence en lâchant les cours.Pour donner de la force et des moyens à ceux qui défendent votre production et votre industrie, faites donc les efforts nécessaires pour vous organiser solidement. Vous ne manquerez sûrement pas de connaître bientôt les bienfaisants effets de votre volonté.Permettez-moi maintenant de vous entretenir rapidement d'une question agricole d’ordre général.
Le prix du bléLa loi instituant l’Office National du blé a fait déjà couler beaucoup d’encre. Répétons que sa discussion fut longue et heurtée.Ce que je puis vous affirmer, c'est que son étude devant la Commission d’agriculture du Sénat, et devant, cette assemblée, fut des plus attentives et des plus serrées. Nous avons longuement discuté, avec une seule préoccupation ; celle de défendre les intérêts des producteurs en maintenant l’harmonie de la vie économique du pays. Nous pouvons peut-être déplorer de n’avoir pas toujours rencontré le même esprit dans l’autre assemblée. C’est ainsi que sur un point important, celui de la manière de calculer le prix du blé, il ne fallut pas moins de sept navettes pour déterminer le mode de majorité.Un système bien français consiste à déclarer que la majorité est acquise quand la moitié plus une des voix est obtenue. En la circonstance, on discute longuement, et le gouvernement, soutenu par sa majorité, fit adopter ce nouveau mode de majorité invraisemblable des 3/4, des 4/5 des membres appartenant au Conseil Central. C’est assez dire que jamais l'accord ne serait possible au sein de ce comité et que finalement le Gouvernement déciderait lui-même de ce prix. Les événements justifièrent cette appréhension que le Sénat avait craint. Gageons que si le même principe de majorité était appliqué à certains systèmes électoraux, les élus seraient peu nombreux. Monsieur Monnet lui-même n’aurait pas obtenu son siège.Vous vous souvenez tous qu'au lendemain de la fixation du prix de la récolte, 36, survint la dévaluation. La plus élémentaire justice aurait voulu que tout de suite on tint compte de ce bouleversement financier, dont les agriculteurs ne pouvaient être rendus ni responsables, ni victimes. Malgré tous les efforts du Sénat, qui vote notamment à la grosse majorité de 251 voix contre 40 un amendement que j’avais présenté à ce sujet (le gouvernement « devra » au lieu de « pourra »), aucune modification ne fut apportée et les paysans durent subir la diminution du franc sons avoir la possibilité de pouvoir élever le prix de leur principale production.Dernièrement, il fallut à nouveau fixer le prix du blé pour la récolte 37-38. Mêmes difficultés pour arriver au vote au Conseil Central. Malgré le rapport, de notre collègue Thureau-Dangin, qui apportait des chiffres des comités départementaux dont la moyenne ressortait à 193 fr. 67, le prix légal fut fixé par le gouvernement à 180 francs.Si vous le voulez bien, ne discutons pas sur ce prix lui-même. Mais, ainsi que la question est posée actuellement par l’Association Générale des Producteurs de blé, demandons si ce prix a été fixé en conformité des clauses expresses de la loi ? Sans hésiter nous répondrons : « Non ! ».Avec un soin minutieux fut rédigé l’article 9 de la loi du 15 août 1936 pour la fixation du prix. Le texte en est net et précis et ne peut prêter à équivoque. Il indiquait en outre qu'on devait tenir compte : 1° De l'indice pondéré du prix de la vie ; 2° Des salaires ; 3° Des produits ou objets d’utilisation courante dans les exploitations rurales, et de l’ensemble des charges pesant sur la production. Le calcul ministériel considéra que quatre indices devaient servir à l'évaluation au lieu des trois indices voulus par le législateur. Pour justifier cette thèse, une virgule, une simple petite virgule fut ajoutée au texte pour séparer les deux membres de phrase finale de ce premier alinéa de l'article 9. On juge des conséquences qui on put être tirées de ce fait, si menu en apparence.Puis le calcul lui-même des indice fut interprété de fantaisiste façon. Enfin il ne fut pas tenu compte de l’importance de la récolte, comme telle était la volonté du législateur, ainsi que cela fut à plusieurs reprises affirmé au cours des débats.Résultat, la valeur de la récolte, évaluée par hypothèse à 67 millions de quintaux, ne produira que 12 milliards de francs dévalués, ce qui représente seulement 8 milliards en francs Poincaré. L'ensemble de la culture française subit donc une perte de 3 milliards en francs Poincaré ou 4 milliards 1/2 en francs dévalués.Certainement cette question sera reprise devant le Parlement.Le blé à 180 francs est-il suffisamment rémunérateur ? Incontestablement non, puisque le prix des engrais et de toutes les denrées nécessaires à la profession agricole ont subi une hausse hors de proportion ; que les prix des salaires ont été en hausse et restent toujours sous la menace d’augmentation nouvelle. Actuellement, il faut bien le dire, le cultivateurs peuvent mal juger. Ils ont été si malheureux qu'ils apprécient d’avoir quelque argent. Très adroitement, pour faire avaler la pilule, on a élevé de 50 à 75 le nombre des quintaux pouvant être réalisés de suite ; on é élevé également de 100 à 135 francs le premier acompte délivré. Mais attendons quelques mois et nous verrons si tout le monde se déclare satisfait de ce prix.En tout cas, le principe subsiste : le prix légal du blé a-t-il été établi en conformité de la loi ? A cela nous devons répondre catégoriquement : non.
L’évolution sociale en agricultureAprès avoir ainsi rapidement passé en revue les différents points qui sont à l'ordre du jour concernant le monde agricole, et constituant le fond même de la profession, il est indispensable d'étudier les problèmes qui en sont un complément direct et qui prennent maintenant une très grande place dans la vie économique. Ces questions sont une conséquence de l’évolution sociale actuelle dont on ne saurait vouloir nier les progrès, mais dont nous devons rechercher l’adaptation à la vie rurale tout entière.Je sais bien que la caractéristique la plus profonde des gens de la terre est la tradition, la saine tradition qui nous a permis de supporter tous les bouleversements de l’histoire. N'oublions jamais que c’est le paysan de France qui a assuré la pérennité de la grandeur et de l'équilibre de ce pays que nous aimons tant. Toutefois, ne confondons pas tradition avec routine.Il est impossible à une fraction de la population, à la plus grande partie de celle-ci, d’assister seulement en spectatrice au mouvement qui s'est mis en marche et qui entraîne trop souvent le monde dans une course folle. Il n'est pas possible de penser qu’une partie de la classe ouvrière, celle qui peine le plus, celle dont le labeur est le plus écrasant, assistera, impassible, à la marche des évènements sans être tentée d’y prendre part.Comment imaginer la possibilité de retenir les travailleurs à la terre si ceux-ci voient à côté d’eux, des hommes comme eux, dont l’effort est moins considérable, dont la vie est plus large, ne consacrer que la moitié de leur temps au travail pour en recueillir un bénéfice plus grand. Humainement, on ne peut rester insensible à semblable situation.Loin de nous l’idée de faire l’éloge des lois sociales récentes, votées hâtivement, en pleine surexcitation, dans une fièvre malsaine. Pour dire toute ma pensée même, ces mesures prises ainsi dans une sorte de crise démagogique, risquent de retarder des réformes sérieusement étudiées, qui seraient acceptées librement par tous et serviraient davantage la cause des travailleurs.Qui donc pourrait nier la nécessité du relèvement des conditions de vie de tous les travailleurs de la terre ? Mais cette amélioration, indispensable, ne peut pas être obtenue par une simple réglementation, même légale, par exemple de la durée du travail en agriculture.Les lois de la nature sont plus fortes et plus stables que toutes les lois que les hommes peuvent édicter. On ne peut encore commander ni aux éléments, ni au temps.Soyons donc vigilants, restons en éveil pour surveiller tous les projets dont l'agriculture est menacée en ce qui concerne la limitation des heures de travail. Tous nos efforts doivent tendre à un aménagement rationnel de cette question, en rapport avec les exigences de la profession et celle des saisons. Il ne faut pas être surpris, comme par exemple au regard de la loi des congés payés. Nous devons faciliter l’entente entre patrons et ouvriers. Toutefois, certaines grandes lois sociales ont besoin de correctives pressantes, urgentes même ; d'autres qui ne sont encore qu'à l'état de projets, appellent également notre attention. Nous allons donc, aussi rapidement que possible, étudier les unes et les autres.
Les Assurances SocialesLa loi sur les assurances sociales ne fut pas accueillie, il faut bien le dire, au moment où elle fut votée, avec une grande ferveur par le monde agricole.Toutefois il faut bien reconnaître que le régime spécial réglementant les obligations des salariés et des employeurs agricoles a certainement facilité son application et son adaptation. Le caractère mutualiste qui a été conservé en cette circonstance no pouvait que réjouir le fervent mutualiste que je suis et je serais heureux si un jour il était possible de faire appliquer l'ensemble de la loi de la même façon. Mutualité forcée, me direz-vous ? Il faut le reconnaître, évidemment. Mais je vous assure que lorsqu'on se rend compte des services rendus, on ne peut que se féliciter d'avoir contribué à ces bienfaits. Dès la mise en route de la loi, j'acceptai la présidence d'une Caisse Mutuelle d’assurances sociales agricoles. Les débuts furent pénibles, les adhésions étaient rares ; puis, peu à peu, les immatriculations nous parvenaient. Aujourd'hui, nous ne sommes pas peu fiers des résultats obtenus et nous avons fait la preuve qu'on peut arriver à gérer une caisse dans des conditions satisfaisantes avec les cotisations actuellement prévues.Ne croyez pas, toutefois, que nous pouvons nous croire à l'abri de toutes les tracasseries. En avril dernier, le ministre de l’Agriculture, Monsieur Monnet, adressait à tous les présidents de Caisse une circulaire les informant des intentions du gouvernement de soumettre l’agriculture aux mêmes règles que le commerce et l'industrie. La réponse ne se fit pas attendre. Après entente avec mon collègue au Sénat, M. Cassez, ce dernier interpella le ministre du Travail, étant entendu que je prendrais part à cette manifestation. A la tribune nous fîmes la démonstration que le régime spécial de l’agriculture devait être maintenu et le Sénat nous approuva à l'unanimité. Du reste, le ministre du Travail, fait étonnant, démentit la circulaire adressée par son collègue de l'Agriculture ! Depuis lors, cependant, le ministre du Travail n’avait pas complètement désarmé. Nanti des pouvoirs étendus accordés par la loi du 30 juin 1937 lui permettant de prendre des décrets-lois, il se préparait à remanier, avant le 31 août dernier, terme donné à ses pouvoirs, le décret-loi du 8 septembre 1935, régissant le régime général des Assurances sociales et particulièrement. celui du 30 octobre 1935, régissant le régime agricole.Heureusement alertés, les groupements nationaux, Caisse Centrale et Secours Mutuels agricoles, Union Nationale Mutuelle agricole Fédération Nationale de la Mutualité examinaient le projet de décret-loi, et malgré le court délai qui leur était imparti, apportaient au ministre du Travail des observations motivées que nous avons du reste appuyées, M. Cassez et moi-même. Parmi les modifications prévue par le Ministre, nous noterons spécialement : 1° Création d'une catégorie d’assurés sociaux obligatoires, dit à salaires élevés. La cotisation mensuelle pour cette catégorie devait être fixée à 30 francs.En vérité, cette création a été fréquemment demandée par les intéressés, mais à condition de n’y faire entrer que les assurés obligatoires réputés, d’après les salaires préfectoraux, gagner plus de 10000 francs par an. Le ministre voulait absolument maintenir le salaire minima de 8000 francs. 2° Relèvement des cotisations mensuelles des trois catégories actuelles de 25 %, et portées respectivement à 15, 20 et 25 francs. On ne peut s’expliquer cette hausse que rien ne peut justifier, et qui aurait gravement indisposé tous les intéressés.
Article publié dans le journal L'Express de L'Est