Féculiers des Vosges - 9 février 1879

Adresse des Féculiers des Vosges.— Les féculiers et les cultivateurs des Vosges sont invités à signer l'adresse dont on trouvera plus loin le texte.Nous n’entrerons pas aujourd’hui dans la discussion de ce document dont l'importance n’échappera certainement pas aux cultivateurs des arrondissements d'Epinal, de Remiremont et de Saint-Dié. Nous nous contenterons de la signaler à leur attention.Au fond, la question qu'on y débat à pour eux une importance capitale ; c'est tout simplement l'avenir des progrès matériels qu’ils ont obtenus d’un sol ingrat à force de travail et de persévérance qui se trouve en question ; il s’agit de savoir si le système économique que nos Chambres sont appelées à adopter favorisera l'essor de l’agriculture dans les Vosges et la prospérité d’une importante industrie, ou si, anéantissant les résultats acquis, il fera succéder à une aisance, chèrement achetée, la gène et le découragement.Mais nous nous arrêtons ; pour aujourd’hui nous nous contentons de poser en quelque sorte la question par la publication de l'adresse dont nous avons parlé, en nous réservant de revenir prochainement sur un sujet d’une importance capitale pour le département.Voici cette adresse :Epinal, le 1er février 1879.A Monsieur Jules Ferry, député des Vosges,Président de la Commission d'enquête sur les tarifs douaniers, à Versailles.Monsieur le Président,Nous soussignés, fabricants de fécule et cultivateurs de la région de l'Est, avons l'honneur de vous exposer que l’industrie de la fécule, qui avait pris un développement considérable, tout en procurant du travail à une nombreuse population et contribuait pour une large part à la prospérité du pays, se trouve menacée dans son existence par l'invasion des fécules étrangères sur les marchés français.Si cette malheureuse situation n’était due qu’à des causes accidentelles, nous supporterions courageusement des pertes, même considérables, dont nous verrions le terme à la fin de la campagne; mais nous n’espérons aucune amélioration.La main-d'œuvre s’est considérablement élevée dans les Vosges, les contributions et les charges de toute nature ont augmenté depuis la guerre d’une manière très sensible et les transports sont beaucoup plus coûteux chez nous que dans les autres pays.L'Allemagne affecte à la culture de la pomme de terre une bien plus grande étendue de terrains que la France ; la conformation de son sol, généralement plat, se prête on ne peut mieux à l'emploi économique des machines agricoles les plus perfectionnées pour la plantation, la culture et l'arrachage des pommes de terre, tandis que dans les Vosges, dans la partie montagneuse principalement affectée à cette culture, l'emploi de pareilles machines ne serait pas possible. En Allemagne, la main- d'œuvre n’est pas chère et les transports y sont beaucoup moins coûteux qu’en France.Il convient surtout de tenir compte de ce fait, c’est que l'Allemagne convertissait annuellement plusieurs centaines de mille sacs de fécule en sirops, elle les écoulait aux Etats-Unis. Mais les Américains ne voulant pas rester plus longtemps tributaires de l'Etranger, se sont mis à construire de vastes usines el produisent aujourd’hui des quantités assez importantes pour suffire à la consommation de ce grand pays.L'Allemagne ne trouvant pas à convertir ces énormes quantités de fécule, se trouve forcée de les vendre en nature en se créant des débouchés sur tous les marchés européens. C’est là une de principales causes qui ont amené ces masses de fécules allemandes dans toutes les parties de la France et même au cœur des Vosges, où plusieurs de nos principaux consommateurs se sont approvisionnés en fécules étrangères, avec une différence de plus de 15 francs par 100 kilogs sur les prix de revient des féculiers des Vosges.Il est encore à remarquer que quelque mauvaise qu’ait été l'an dernier la récolte des pommes de terre dans les Vosges, elle ne l'a pas été moins en Allemagne, à en juger par les statistiques qui ont été publiées récemment.L'industrie de la fécule est une question capitale pour notre pays.Si depuis trente ans la richesse et le bien-être se sont étendus sur nos campagnes, si la propriété a doublé et même triplé de valeur, c’est la féculerie qui en a été la cause principale.N'est-ce pas par l'usage des eaux provenant du râpage de la pomme de terre que le rendement des fourrages s’est accru et tout le monde est d’accord aujourd’hui pour proclamer qu’une plus grande production fourragère est la condition essentielle d’une culture rémunératrice.Nous pourrions même citer tels propriétaires qui ont créé des féculeries dans le but surtout d’avoir des eaux de fécule pour arroser leurs prés.Le coup porté à l’industrie féculière par la concurrence étrangère serait donc la cause des plus grands désastres.Nous ne voyons de remède à ce malheur que dans la protection et nous vous supplions, Monsieur le Président, de vouloir bien prendre la défense de nos intérêts, en insistant auprès du Gouvernement pour que les fécules étrangères soient à l'entrée frappées d’un droit qui permît à l'industrie nationale de lutter à armes égales.Dans le cas contraire, cette industrie, dont l'importance est incontestable, disparaîtrait forcément devant la concurrence de l’Etranger.Veuillez agréer, etc.
Nous croyons savoir que des exemplaires , de cette adresse sont dès à présent mis en circulation dans nos campagnes.Nous engageons les intéressés, c’est-à-dire les cultivateurs et les féculiers,à y apposer leurs signatures ; afin que l'importance de la démonstrations s'impose à l'attention du gouvernement.D'ailleurs, il est bon de dire que les cultivateurs et les féculiers des Vosges ne feront en ce cas que suivre l'exemple qui leur est donné par les cultivateurs et les féculiers de l'Oise.
Article publié dans le journal Le Mémorial des Vosges