Fécules - 29 septembre 1895

POMMES DE TERRE ET FÉCULES
Au printemps dernier, lors de la plantation des pommes de terre, nous exprimions la crainte que la récolte de 1895 n’apportât aucune amélioration au sort malheureux des cultivateurs. Voici le moment de l’arrachage et cette prévision ne s’est que trop tristement réalisée.L'abondance de la récolte n’est plus aujourd’hui qu’un facteur secondaire. La situation est dominée absolument par le prix auquel on peut vendre. Or, ce prix est dans la dépendance de celui de la fécule. Aujourd’hui, la fécule est tombée au taux infime de 22 à 23 fr. par 100 kilogr. Comment concilier, à ce taux, les intérêts du producteur et ceux du fabricant ? C'est absolument impossible. Pour fabriquer et vendre à ce prix, l’industrie est obligée d'acheter sa matière première dans des conditions telles que le cultivateur ne peut retrouver, même de loin, l'équivalent de ses frais de culture.Telle est la situation actuelle ; c'était celle d'hier, ce sera celle de demain, si les conditions ne changent pas. Elle ne provient pas d’une surproduction anormale, qui aurait provoqué l’avilissement des prix. Elle est due exclusivement aux conditions d’infériorité déplorables dans lesquelles la féculerie a été placée vis-à-vis des industries qui fabriquent des produits similaire avec des matières premières d’origine exotique.Voilà longtemps que ces faits sont connus et parfaitement établis. Pour remédier à cet état de choses, une proposition a été présentée à la Chambre des députés ; on en connaît les péripéties. Arrivera-t-on enfin à une solution ? En attendant, cultivateurs et féculiers ne savent à quel saint se vouer ; leurs souffrances sont cruelles, et ils n’en voient pas la fin.Ces préoccupations légitimes sont manifestées dans une pétition rédigée par un groupe de féculiers, et dont nous recevons communication. Après avoir rappelé les causes du malaise, cette pétition ajoute :Depuis nombre d'années, vous nous avez promis plusieurs lois bienfaisantes : elles sont à peine ébauchées.Ainsi, en 1872, vous avez mis un droit de 12 fr. sur les fécules étrangères : mais on fabrique en France, avec toute espèce de maïs, riz, manioc, sagou, etc., des fécules qui ne paient qu'un droit dérisoire ; sans compter que les produits similaires de nos colonies ne paient rien du tout et viennent à contre-sens, supplanter ceux de la métropole !On dit que nous sommes protégés, mais en réalité, nous ne le sommes pas. Il n'a été pris à l’égard de la féculerie que des demi-mesures, dont l'effet, comme toujours, est déplorable.Il fallait nous dire carrément : « Ne comptez pas sur nous, débarbouillez-vous avec vos produits comme vous l’entendrez....»Mais aujourd'hui, nous sommes en droit de compter sur vous parce que votre politique nous indiquait que vous aviez l'intention de nous venir en aide, parce qu'il y a un droit de 52 francs sur les glucoses étrangères : ce qui revient à dire que les glucosiers doivent travailler la fécule de pommes de terre et les produits français.Enfin, et surtout, nous comptons sur vous parce que, il y a plusieurs mois, vous avez voté l’article premier d’une loi sur les amidines, qui ne peut pas, pour votre dignité, ne pas être complétée, et que vous aurez à cœur de reprendre dès la rentrée des Chambres.Il faut que le maïs entrant en glucoserie, il faut que l’amidine paient un droit équivalent à celui de la fécule étrangère. L'intérêt même de l’agriculture française serait que tous les maïs acquittassent le droit d'entrée de 6 francs, que nous, féculiers, nous avons toujours réclamé.Cette pétition aura-t-elle un écho suffisant ? Elle montre, en tous cas, que le mal est toujours aussi grave, et qu’on aurait tort de conclure de la patience des cultivateurs à leur indifférence. Une année a été perdue à nouveau ; il serait désastreux qu'il en fût de même pour l’année 1896.(République française.)
Article publié dans le journal Le Républicain des Vosges