La féculerie en danger - 17 décembre 1895

LA FÉCULERIE EN DANGER
Encore la société de Girecourt. Ah ! C'est qu'elle a été rudement remplie, la journée d’hier ; c'est qu'on a échangé à la réunion générale, comme au banquet, des observations que présentent un bien vif intérêt.Dans la séance de la Bourse, M. Victor Louis, féculier, a lu une lettre d'Amérique, dont ce passage mérite la plus vigilante attention. « Nous avons fait une récolte énorme de maïs ; mais il ne rapporte pas beaucoup, à peu près quatre francs les huit doubles. Il y a beaucoup de planteurs qui le brûlent en place de charbon. La récolte de coton est courte ; les prix sont presque doubles de l'année dernière. »M. Alexis François remarque que, en d’autres termes, le maïs vaut au Texas trois francs douze centimes les cent kilos. Avec deux ou trois francs pour le fret, plus trois francs de droits, on obtient le chiffre infime de neuf francs les cent kilos. Il est impossible que la féculerie française lutte dans ces conditions. M. Krantz, président, rappelle que la Chambre a voté l’article 1 du projet de loi sur les amidines ; que l’article 2, renvoyé à la commission, n’en est jamais revenu, que M. Méline et ses collègues vosgiens ont fait inutilement des efforts constants pour ramener le projet à l'ordre du jour. Mais le nouveau ministre de l’agriculture, qui a déjà occupé ce porte-feuille, M. Viger, a pris l'engagement de poser la question avant peu.Que décidera la Chambre ? On l'ignore.« Je ne crois pas, ajoute l'honorable député de la première circonscription d’Epinal, qu'on obtienne à la fois les droits réclamés et sur les maïs et sur les riz. Il est difficile de frapper les riz. M. Méline a l'intention de faire la part du feu, en laissant les riz de côté, au moins provisoirement, pour insister sur les amidines de maïs. J'ai l'espoir que la loi sera votée; mais je manquerais à un devoir de sincérité, si je n'avertissais nos concitoyens des vives résistances auxquelles nous nous heurtons. »— « Si la loi n’est pas votée, dit M. Alexis François, nous serons forcés, de fermer nos féculeries, et la pomme de terre sera perdue dans les Vosges. » — « Et notre agriculture entière en recevra le fâcheux contre-coup, ajoute M. Krantz. Comme MM. Méline, Boucher et moi l'avons écrit dans notre réponse aux féculiers vosgiens, il est urgent que nous agissions sur les féculiers des autres contrées, en sorte qu'ils joignent leurs instances aux nôtres, et que les députés du centre, de l'Oise, de Seine-et-Oise nous prêtent leur aide. »M. Heury Boucher dit de son côté que les députés vosgiens ont reconnu la diffi- culté de faire porter exclusivement à l'ordre du jour le projet qui occupe tant les Vosges, vu le petit nombre de départements intéressés dans la question. Ils se sont entendus avec leurs collègues normands pour y joindre un projet sur les margarines ; en outre, on le corsera avec une proposition relative aux marchés de Paris. Ces trois projets, formant un ensemble, ont chances d’être appelés à la discussion le 22 ou le 23 décembre, pendant cette courte période où la Chambre attendra que le budget lui revienne du Sénat. M. Méline y compte.Quant au riz, les expéditions coloniales ont pour effet d’en étendre la culture. Les colonies sont représentées par des hommes actifs, qui veillent. Moins on parlera de l'affaire, mieux cela vaudra. On échouerait si l’on discutait trop. Le plus sage est d'abandonner la partie pour les riz, qui ne menacent pas encore directement la féculerie, Comme un tiens vaut mieux que deux tu l’auras, il con- vient de parer à la menace du maïs et de suivre ici la méthode d’Horace contre les Curiaces ; plus tard, on avisera pour les riz. Il y aura lieu d'y songer bientôt, à la vérité.M. Boucher ajoute qu’on a monté en Indo-Chine de grandes usines à décortiquer le riz. Les Chinois y envoient leurs produits, puis les lancent sur l'Europe. Cette industrie s'étant développée avec rapidité, les brisures de riz sont tombées à un bon marché extrême.M. Lemasson annonce que dans le Nord arrivent des quantités considérables de brisures.M. Dufour conseille le système préconisé par MM. Méline, Boucher et Krantz ; car les riz ne sont pas encore venus aux glucoseries.M. Boucher signale encore une tactique de nos adversaires, qui voudraient lier la question des riz à celle des maïs; ils nous tracent ainsi notre devoir et ce serait commettre une faute que de les suivre.Sur la proposition de M. Alexis François — que l’assemblée adopte à l'unanimité — M. Krantz enverra au ministre et à la commission des douanes une lettre dans laquelle, au nom de la société, sans viser les riz, il exprimera le désir de voir voter, au plus tôt, les droits sur les amidines de maïs.
Article publié dans le journal Le Mémorial des Vosges