Election sénatoriale - 26 avril 1888

ÉLECTION SÉNATORIALECandidat à deux facesJ'admire ce discours dépouillé d'artifice.On a lu hier, dans le Mémorial, la lettre-circulaire que M. Figarol, candidat de la réaction monarchico-cléricale, a adressée aux électeurs sénatoriaux des Vosges. On en a remarqué la forme volontairement modérée et adoucie, et nous en avons dénoncé immédiatement le défaut de franchise, la duplicité.Nous n’aurons pas attendu longtemps la justification éclatante de l'accusation que nous avions immédiatement formulée : M. Figarol nous l’a apportée lui-même par les journaux royalistes de la région : le Journal de la Meurthe et des Vosges et le Vosgien, sous la forme du discours qu'il a prononcé après avoir été sacré candidat à lunanimité... par M. Buffet père.Voici les parties principales de cette harangue digne de passer à la postérité, et qui laisse loin derrière elle la circulaire que nous avons publiée hier :
Je ne prends pas pour moi seul, dit M. Figarol l'honneur que vous me faites en me désignant candidat. Vous avez pris, sur la liste des candidats de 1885, mon nom parmi les autres, ex souvenir du réveil, dans les Vosges, du parti conservateur. Bien que le succès n'ait pas été pour nous, ce n’a pas été sans importance que de réunir 33000 voix contre 45000, dans un département qui semblait inféodé à l’opportunisme et je dirai à une dynastie, si nous n’étions en république. (Rires et applaudissements.)Ici quelques observations à M. le candidat réactionnaire. Il ne s’agit plus du conservateur arriéré et pacifique, qui veut se consacrer à la « défense de la liberté religieuse des pères de famille et des intérêts de l’agriculture », mais bien de l’homme de parti, de combat, choisi parmi les candidats cléricaux et royalistes du 4 octobre 1885. C'est lui qui le dit. Nous signalons l’aveu aux républicains, et en particulier aux véritables conservateurs.Le candidat de... M. Buffet s’enorgueillit bien mal à propos des 33000 voix obtenues au 4 octobre 1885 ; c’est le même nombre, — ni plus ni moins, qu’en février 1876, en octobre 1877, et en août 1881. C'est la routine et le piétinement, M. Figarol ; soyez donc plus modeste. Quant aux voix républicaines, elles ont été de 53000 et non de 45000. Soyez plus juste, M. Figarol.« L’opportunisme » est resté l'ennemi pour le candidat revenant. Il n’en dit pas autant du radicalisme, ni de l’intransigeance ; il les escompte, au contraire ; il escompterait même les voix communalistes, s’il y en avait pour lui assurer le succès. Eh bien ! nous ne craignons pas d’avancer que, s’il y avait des défections, elles ne viendraient que de boulangistes cachés ou avérés, revenant à leur maladie césarienne. D'où profit bien mince, car ils ne sont plus nombreux dans les Vosges, et qui ne saurait consoler ni adoucir le candidat déchaîné.Il paraît, à l'entendre, que la France et les Vosges ne sont inféodées à aucune dynastie ; il y a longtemps qu’on le sait ; aussi puisqu'il se dit si haut monarchiste, le saura-t-il bien mieux le 29 avril.
Il continue :Nos adversaires, dans l’émoi où les mettent les élections de la Dordogne et du Nord, accusent le suffrage universel, qui se retire manifestement d’un parti agonisant, et demandent au Sénat et aux électeurs sénatoriaux de venir à leur secours.Ce n'est pas lui qui demanderait aux électeurs sénatoriaux de venir à son secours ; aussi peut-il être tranquille, ils ne le secourront pas. Mais il est clair comme le jour que M. Figarol est littéralement furieux du tour que M. Buffet lui a joué en le choisissant ; de là ses apostrophes véhémentes et son indéchiffrable pathos. Nous offrons, en effet, un lapin blanc et le fauteuil sénatorial, à quiconque déchiffrera ce logogriphe :Ils sont vraiment mal venus de s'appuyer sur le Sénat, quand ce sont les mêmes hommes qui ont, à l'époque où ils se croyaient pour toujours sûrs du suffrage universel, contribué à l’abaissement de cette Assemblée, qui lui apportaient, à une époque dérisoire, l'examen de la loi des finances et le soumettaient à la Chambre.Ouf ! Déjà dans sa circulaire d’Aydoilles, M. Figarol commençait ainsi : « Elu au Sénat, je m'efforcerai... » Eh bien ! puisque vous êtes élu au Sénat, qu'est-ce que vous voulez ? Ils sont insatiables, ces soi-disants conservateurs. Ils sont élus... par la pensée, et ils ne sont pas contents. Ambitieux et égoïstes, allez. Et M. Figarol se déchaîne contre les républicains... toujours dans le même style :Laquelle de nos institutions, dit-il, ont-ils laissée intacte ?Est-ce l’administration dont ils ont découragé les employés par un népotisme scandaleux ?Est-ce la magistrature qu'ils ont épurée ? Est-ce l’armée elle-même dans laquelle ils ont introduit la politique. — La politique en usage aujourd’hui ?Est-ce l'instruction ? Mais rien n’est plus tyrannique que d’attenter à la liberté religieuse, de ruiner la foi dans l'âme des enfants !... (Vifs applaudissements).Evidemment, on a heurté l'idéal de M. Figarol, qui avait rêvé l’administration peuplée de monarchistes, la magistrature mal payée et dévouée à ses amis et aux curés ; l’armée formée exclusivement avec les fils de cultivateurs et d'ouvriers, les fils de nobles et des bourgeois pouvant s'affranchir ; un peuple dans l'ignorance des choses humaines et entretenu dans cette vieille foi de l’ancien régime, qui faisait vivre en paix et dans la béatitude les serfs et les sujets. C’est évidemment dommage ; mais nous avons changé tout cela.
Il dit encore :Les nombreux électeurs — près de la moitié — qui avaient voté contre eux ne demandaient à la République que de ne pas aggraver ses fautes. Leurs divisions les ont découvertes aux yeux du pays tout entier.Est-ce des divisions des républicains qu'il s'agit, ou de celles « des nombreux électeurs qui avaient voté contre eux ? » On n’a jamais pu savoir ; mais ceci peut très bien se rapporter aux divisions réactionnaires quand on voit l’esprit césarien et plébiscitaire, encouragé par les bonapartistes, se réveiller et rompre l’union des droites, qui ne surnage plus dans le pays que grâce à de vieilles et fragiles relations.
Mais voici le bouquet de M. le candidat Figarol : C’est à vous, messieurs, qu'il appartient de leur faire comprendre que le pays est décidément las et dégoûté !Mais c'est à vous aussi de proclamer bien haut que le parti conservateur ne veut pas mettre le pays dans les mains d'un dictateur INCONNU. (Très bien !) Ce n’est pas là qu'est le remède. (Non ! non ! Applaudissements !)Pour moi, messieurs, je veux vous dire en TOUTE FRANCHISE QUE JE SUIS MONARCHISTE, et que c'est sur la monarchie seule que je compte pour le salut et l’apaisement du pays.« Le pays est décidément las et dégoûté ! » — Comme en termes galants ces choses-là sont dites ! M. Figarol ne veut pas mettre son parti dans les mains d’un « dictateur inconnu » ; mais s’il le connaît, si c’est le comte de Paris, par exemple, il est pour le dictateur. Nous nous en doutions, car il est monarchiste, M. Figarol, et c’est « sur la monarchie seule qu'il « compte pour le salut et l’apaisement du pays ».Aïe !... aïe !... aïe !..., Elève Figarol, qu’avez- vous dit là ? Et si vous alliez avoir cent voix de moins ! Vite, corrigez-moi çà, et alors...Mais, si je siège au Sénat, porté par vos suffrages je ne serai pas de ces hommes de parti qui sacrifient la patrie à leurs opinions ; de ceux qui ne songent qu'à tout renverser pour fonder plus tôt, sur les ruines qu'ils auraient faites, l'édifice qu'ils rêvent.On n’est pas plus cruel pour les amis de droite, qui démolissent tous les jours avec l'espoir de fonder plus tôt, « sur les ruines qu'ils font, l'édifice qu'ils rêvent. » Et M. Figarol ferait comme eux en sa qualité de monarchiste, puisqu'il ne voit que le gouvernement de ses rêves « pour le salut et l’apaisement du pays ».
Telle fut la harangue agressive et enflammée de M. Figarol. Les électeurs sénatoriaux ne manqueront pas de la comparer à la lettre-circulaire, tout miel et sucre, qu’ils ont reçue du même candidat ; et s’il en est après cela qui se laissent prendre à celle-ci, c’est qu’ils l’auront bien voulu.En tout cas, M. Figarol ne saurait recueillir la voix d'aucun républicain ni d’aucun véritable conservateur. F. A.
Relevons à la suite de ces observations un fait significatif. L’organe figaroliste, le Vosgien, qui publie si crânement le discours de combat de son candidat, ne reproduit pas la circulaire effacée, au ton presque anodin, qu'il a adressée aux électeurs sénatoriaux.Le Vosgien lui-même a eu le scrupule d’opposer les unes aux autres, les déclarations si contradictoires, de fond et de forme, de son candidat, métamorphosé en chèvre avec les uns, en chou avec les autres, suivant ce qu’il croit être les besoins de sa cause.Rarement on avait vu mettre plus d’ingénuité dans des procédés de tromperie. Mais, après tout, M. Figarol n’est pas pour rien le candidat des amis de la Compagnie de Jésus.
À propos du nombre de délégués présents à la réunion réactionnaire de dimanche à Epinal, le Vosgien invoque une déclaration de notre confrère du Progrès ; celui-ci s’est trompé, voilà tout, car il n’y avait pas plus de 50 à 60 auditeurs, dont la moitié tout au plus étaient des délégués. On a pu les compter et les voir à la sortie. Il n’y a pas eu non plus de réunion par arrondissement.Il est vrai que les amis de M. Figarol dédaignent la pauvre réunion républicaine du 15 avril, à laquelle avaient adhéré d’avance plus de 500 électeurs sénatoriaux, et qui a compté plus de 300 délibérants ou votants. — « Ils sont trop verts », vous dis-je!
Le Mémorial n'avait pas encore été injurié durant cette campagne électorale ; or, voici que le Vosgien commence sous la signature Y. Cette lettre Y est généralement l'expression de la deuxième inconnue à éliminer dans une équation algébrique du 1° degré, pour en déduire la valeur de X.Nous aussi, nous éliminons Y, car nous ne connaissons pas de gens plus dignes de dédain que ceux qui abritent, sous le masque de l'anonymat, leurs injures et leur insuffisance. F.-A
Articla publié dans le journal Le Mémorial des Vosges