Journée de la pomme de terre - 9 octobre 1931

Journée de la pomme de terre à Bruyères Communications de M. Malliard, ingénieur agronome
Messieurs, Je dois d’abord attirer votre attention sur ce fait que le programme m’attribue l’intention de vous entretenir de la nouvelle coopérative des féculeries. Je n’ai pas reçu mandat de vous parler de la création, ni du fonctionnement de cet organisme, et je vois ici, parmi nous, son distingué président, M. Maurice Lesguillons, qui ne manquera certainement pas de s’acquitter de cette tâche.Personnellement, c’est en qualité de président du Syndicat des Féculiers de la Région de l’Est que je prends la parole pour pousser un cri alarme. Vu la gravité des circonstances, je considère que c’est pour moi un devoir, je dirai même un cas de conscience. Le 5 novembre 1930, j’ai convoqué en Assemblée générale le Syndicat des Féculiers de la Région de l'Est, pour lui exposer les démarches faites auprès des Pouvoirs Publics en faveur de la féculerie, ainsi que les résultats obtenus, notamment le relèvement des droits de douane sur la fécule et le maïs étranger. J ai profité de cette séance pour exposer un projet de coopérative, lequel n’a obtenu l’approbation d’une petite partie seulement des féculiers présents. La même idée, reprise au mois de janvier, a abouti définitivement à la création d’une coopérative des féculeries de pommes do terre qui groupe, d’ores et déjà, les deux tiers de la production, soit 200000 sacs. Les dissidents, ou plutôt les non adhérents, sont presque uniquement vosgiens. Suivant une vieille habitude, ils manifestent leur indépendance en baissant indéfiniment les prix de vente, sans tenir le moindre compte des continences de la campagne. Ces contingences, les voici :Aucun stock en France — production française toujours insuffisante pour couvrir les besoins de la consommation nationale. Importation de 80.000 sacs pendant la campagne 1930-1931. Récolte 1931 inférieure aux prévisions, pauvre en fécule, très sujette à la pourriture. La Hollande, qui détient le contrôle du commerce de la fécule, offre à 8 florins 87, soit avec les frais 230 francs Lille, Rouen, Paris, Strasbourg. En raison des pluies persistantes, malgré l'habileté prodigieuse et la science des planteurs hollandais, leur récolte ne dépassera pas 50 % de la moyenne. Un consommateur hollandais de 50000 sacs disait récemment : « J’achète à 8 florins 87 ; la fécule doit monter ». En Allemagne, la fécule vaut 120 francs, auxquels il faut ajouter 120 francs de droits de douane, plus 10 francs de frais, pour lui faire franchir la frontière, total : 250 aussi, annonce une mauvaise récolte. La petite Belgique, elle aussi annonce une mauvaise récolte. Enfin, la dégringolade de la livre provoque la mise en route des tissages anglais, arrêtés depuis plusieurs années. L'industrie cotonnière de la Grande-Bretagne est un consommateur de 600000 sacs. Elle absorbera facilement le stock hollandais. Je résume la situation du marché de la fécule en France : pas de stock, pas d’importation, récolte médiocre comme quantité et qualité. Production à peine égale à la consommation. Aucune industrie ne se trouve dans une situation aussi saine. Cependant, les Vosgiens ont baissé à 170 francs, faisant un écart injustifié et inutile de 60 francs avec la Hollande. Pourquoi ? Ils ne vendront pas un sac de plus. Si la fécule des Vosges est moins belle que celle de Hollande, elle ne le cède pas comme rendement à l’encollage. Les féculiers ne conserveront même pas de quoi payer, sans perdre, les prix médiocres offerts à la culture. Dans l’intérêt de tous, cultivateurs et féculiers, il faut enrayer cette baisse et remonter le cours de la fécule ! Comment s’y prendre ? Adhérer à la Coopérative des Féculeries. Accepter ses prix et les appliquer. Il ne s’agit pas de former une coalition pour affamer le consommateur ; d’abord parce que la fécule n’est pas un article d'alimentation, ou si peu que ça ne compte pas ; ensuite parce qu’il s’agit uniquement d’empêcher le prix d’une denrée agricole de s'avilir au-dessous de la limite où il est possible de la produire. Que les féculiers présents, représentant une importante fraction de la production régionale, remettent leurs adhésions à M. Legue, le dévoué directeur de la Coopérative des Féculeries, et le cours de 190 francs s'impose automatiquement pour la fécule première ; tandis que le cours de 170 francs, qui est pratiqué actuellement dans les Vosges, fait perdre 6 millions de francs à la féculerie et par répercussion à la culture. Aucun féculier soucieux de ses intérêts ne doit rester en dissidence. Et maintenant, Messieurs, je vous demande la permission d’aborder un autre sujet, et d’exposer, en quelques mois, un remède à la crise, non pas mondiale, mais spécifiquement française. A vous de juger s’il mérite de retenir l'attention.Je pose d’abord en fait que la France est le seul pays du monde capable de se suffire à lui-même ; le seul pays où l’agriculture et l'industrie sont si harmonieusement proportionnées que l’une consomme ce que l’autre produit et vice-versa ; tandis que l’Allemagne, l’Angleterre, les Etats-Unis, etc..., ont une production pléthorique incapable de subsister sans exportation. La France — métropolitaine et coloniale — peut vivre sur elle-même, en s’isolant du reste du monde, sans manquer de rien, sans travailler au ralenti, sans subir aucun chômage.Ceci dit, je vous prie de faire avec moi quelques constatations. Nos voisins, notamment l’Allemagne et l'Italie, vont faire de l'inflation monétaire, à la suite de l’Angleterre. Le Gouvernement italien a déjà communiqué un démenti. On sait ce que ça veut dire. Donc, la puissante Albion donnant l’exemple, les pays qui souffrent de la crise répudieront l’étalon-or, afin d’assurer plus d’élasticité à leurs prix de revient, tant agricoles qu’industriels ; disons le mot, pour mieux pratiquer le dumping. Il est évident que si deux vases inégalement remplis, sont mis en communication, les liquides atteindront le même niveau. Si la France consent une « entente économique » ou une trêve douanière à un pays surproducteur, son marché sera submergé. Notre balance commerciale est fortement déficitaire. Pour 1931, les importations dépasseront les exportations de quelque 12 milliards. En Allemagne, c’est le contraire, les exportations dominent les importations de 2 milliards, rien que pour le mois d’août dernier, envahissant les pays avoisinants, notamment l’Angleterre, la France, la Suisse. Cette dernière s’en est plaint vivement à la Société des Nations. L’Allemagne a commis des folies industrielles. Son potentiel de fabrication est colossal. Elle cherche partout des débouchés. Si la livre sterling, pivot du commerce mondial, s’est effondrée, l’Angleterre le doit, en partie, à une balance commerciale très déficitaire. Voilà un exemple à ne pas suivre. A tout prix, il faut équilibrer la balance commerciale. On doit aussi remédier totalement aux déficits : déficit du budget, déficit des chemins de fer, déficit du chômage, etc.... Pour cela, l’or de la Banque de France est indispensable. Je n’insiste pas. C’est l'évidence même. Charité bien ordonnée commence par soi-même. Le libre échange a paru favoriser, pendant un temps, le commerce britannique ; puis il a tué son agriculture d'abord, son industrie ensuite, et finalement ses finances. L’exemple est d’actualité. La catastrophe anglaise est en partie imputable au libre échange. La nomenclature des maux dont nous souffrons est suffisamment impressionnante pour que je ne m’étende pas davantage. Il faut conclure, attacher le grelot. Au lieu de définir d’une façon abstraite le remède que je propose, je vais m’efforcer d’en rendre l'idée saisissable dans un exemple concret : toute Nation qui voudrait vendre à la France un milliard de marchandises, serait tenu d'acheter aussi un milliard de marchandises, par réciprocité. Dans ce but, le tarif douanier minimum serait concédé seulement jusqu'à égalité, dans les échanges commerciaux. Le tarif général prohibitif frapperait impitoyablement tous les dépassements. C’est une idée que j’émets pour éviter que la France fasse des marchés de dupe. Je n’oserais pas me risquer à proposer un texte de loi, devant les Administrateurs, les Juristes, les législateurs éminents que j’aperçois dans la salle : mais je les supplie d’examiner cette proposition sans idée préconçue, avec la volonté d’y trouver remède à la crise ; en se disant que l'économie politique est un éternel recommencement. Nos primitifs et lointains ancêtres n'auraient-ils pas trouvé, du premier coup, la bonne méthode commerciale, qu’ils énonçaient dans la formule : troc pour troc.
Article paru dans le journal L'Express de l'Est