Un évêque de la république - 25 mars 1877

Un Évêque de la RépubliqueÀ cette heure où le clergé français tout entier courbe la tête sous les injonctions du Vatican, où tout esprit de liberté semble mort en lui, il peut être bon de rappeler à tous, à nous surtout, Vosgiens, le souvenir d’un prêtre de l’Eglise catholique, qui sut, tout en restant fidèle à ses principes religieux, combattre et souffrir pour la liberté. Il fit voir ainsi que la République et la vraie religion ne sont pas incompatibles. IL n’y a que la superstition et la mauvaise foi qui ne sauraient trouver place dans le giron républicain.Je veux parler de Jean-Antoine Maudru, évêque de Saint-Dié pendant la période révolutionnaire, prélat digne de tous les respects, sagement libéral et sagement religieux.Quand se produisirent les premiers mouvements de la Révolution, Maudru était un bon et simple pasteur de campagne, curé d’Aydoilles depuis quelques années déjà, et où sa mémoire depuis quelques années déjà, et où sa mémoire fut longtemps respectée. Il avait alors quarante un ans, étant né à Adompt (canton de Dompaire), le 5 mai 1748. Ses goûts religieux étaient bien vifs, puisque, pour les suivre, il avait abandonné à vingt ans l’état de son père, pauvre horloger, pour entrer au séminaire. Ce n'était donc point un de ces prêtres, si nombreux alors, que la loi du droit d’aînesse jetait dans la carrière militaire ou dans les ordres. Ces prêtres, vains et frivoles, n'apportaient dans leur métier qu’une profonde ignorance des choses de la théologie et les habitudes légères d’un monde pourri jusqu'à la moëlle par les débauches de toute espèce. De tels prêtres ne furent pas pour peu dans les tendances voltairiennnes de la Révolution de 1789. Maudru n’était pas de ceux-là.Entré au séminaire à vingt ans, il en sortit à vingt-cinq ans, vicaire à Jussarupt. C'était bien le digne prêtre de l'Evangile, charitable et bon, doux et fort, adonné surtout à l'instruction de ses ouailles, se distinguant déjà de ses confrères, trop portés à laisser les leurs croupir dans l’ignorance.Aussi quand éclata la Révolution, ne fut-il pas de ceux que le bas clergé envoya plaider sa cause aux Etats-Généraux. Il continua à vivre obscurément, paisiblement, portant à tous la bonne parole, aux riches les consolations, aux pauvres le pain et les vêtements.Cependant l'Assemblée constituante s’occupait à réformer les mœurs et les habitudes du clergé de France, et, en 1791, promulgua les décrets dits : Constitution civile du Clergé. Un des principaux articles de cette loi enlevait au roi, pour le remettre à la nation, ainsi que cela se pratiquait aux premiers temps du catholicisme, le droit de nommer les évêques et les prêtres.Les Vosges sont bien loin de Paris, et Maudru, entouré de l'estime et de l'affection de ses concitoyens, en était plus loin encore. C’est cependant à lui d'abord que songèrent les électeurs vosgiens pour le siège épiscopal du département, alors, comme aujourd'hui, établi à Saint-Dié.Sa réputation de charité, de tolérance, n’avait cependant pas dû franchir le modeste cercle de sa paroisse. Ses rapports avec l'illustre philanthrope qui avait nom l'abbé Grégoire le désignèrent sans doute plus spécialement aux suffrages des électeurs vosgiens. Et, le 17 février 1791, sans qu’il eût songé même à demander ce poste, sans, démarches, sans brigues, Maudru fut élu évêque de Saint-Dié, en remplacement de M. Chaumont de la Galaizière, qui avait refusé de prêter le serment constitutionnel.L'élection de Maudru, faite à Epinal, y fut accueillie avec enthousiasme par la population et par les autorités départementales: c'était ce qu'on appelait le directoire du département, où siégeaient alors Perrin, Poulain-Grandprey, etc.Sans perdre de temps, le nouvel évêque, après avoir célébré à Epinal. une messe solennelle et reçu les félicitations du Directoire et des électeurs, alla prendre possession de ces fonctions, qu'il devait remplir avec tant de vertu, de dévouement et de lumières.A peine installé, il commence ses tournées pastorales. Non-content de prêcher et d'examiner, comme c'était son devoir, Maudru cherche à inculquer aux saines populations vosgiennes les principes de cette magnanime Révolution qui les a faites libres:Un véritable catéchisme des droits de l'homme et du citoyen parut par ses ordres. Tout y respire l'amour de la patrie, de la liberté, le respect des lois, la bonne confraternité ; tout y exalte la douceur, la bonté, la justice, la tolérance et le plus pur patriotisme.On pourrait croire qu’un zêle si grand et si pur devait le préserver de ses ennemis. Loin de là. A cette époque, où l'absence complète de liberté avait rendu les hommes serfs, manants, comme de véritables animaux, quelques esprits, grisés par cette atmosphère toute nouvelle pour eux, poussaient jusqu'à la folie l'amour de l’indépendance et ne voulaient plus subir aucune loi, aucun frein.Pendant le cours de ses visites, — c’est lui- même qui le raconte avec tristesse dans ses mémoires, — il fut maintes fois assailli par des ennemis du bien public. Partisans de l’ancien régime ou amis fanatiques de la Montagne se liguèrent contre lui: Les uns ne lui pardonnant pas d’avoir passé à la Révolution, le traitant de parjure et d'infâme; les autres lui reprochant sa tiédeur et accusant de mollesse la sage et tranquille affection qu’il portait à la Révolution. A maintes reprises, la force armée dut le protéger contre les fauteurs de troubles. Et même on dut arrêter et jeter en prison trois jeunes gens fanatisés qui avaient formé le projet de l'assassiner. Digne ami du généreux Grégoire, l’évêque Maudru intercéda pour eux près du tribunal de Saint-Dié, chargé d’instruire leur procès ; il fit tant et si bien qu’il eut le bonheur de les voir mis en liberté et il put les reconduire lui-même à leur famille. Une telle mansuétude ne désarma point ses ennemis. Dénonciations sur dénonciations furent lancées contre lui au Comité de Salut public.Préoccupés avant tout des dangers de la patrie, Saint-Just, Carnot, dédaignèrent ces lâches écrits. Mais, quand les frontières furent délivrées, Robespierre, maître alors de la Convention, de la France, prêta l'oreille aux suggestions de la calomnie. Et Maudru, trainé comme un malfaiteur de brigade en bridage, fut plongé à Paris dans les cachots de la Conciergerie. Huit mois, huit longs mois s’écoulèrent. Chaque jour, Maudru croyait voir se lever son dernier soleil. On était en 1794. Un jour de juillet, on vint lui dire qu’il était libre, que Robespierre était mort et que bientôt la justice prononcerait sur lui. Le tribunal révolutionnaire l’acquitta et le gouvernement le maintint dans ses fonctions d'évêque.C’est en janvier 1795 que Maudru fit sa rentrée triomphale dans son diocèse, salué par les acclamations des fidèles. Mais pas une parole de haine ou d’aigreur ne sortit de sa bouche. Il comprit que, dans les terribles circonstances d’où sortait la France, il n’était pas digne d’un ministre de paix, d’un citoyen, d’accuser et de maudire les hommes qui, sans souci de leur mémoire, avaient assumé sur leurs têtes l’écrasant fardeau de la Défense nationale.Il reprit ses occupations d'autrefois, rappelant les prêtres qui s'étaient cachés pendant la tour-ente, exhortant les fidèles et travaillant sans relâche à la réouverture des églises.Mais le vaillant patriote n’était point au bout de ses malheurs. À peine de retour, les journaux et les clubs tonnèrent contre lui. Il dut comparaître devant les tribunaux comme anti-républicain. Mais le Directoire, qui gouvernait alors la France, ne permit pas plus longtemps de tels excès. Maudru, sur ses protestations réitérées, fut réinstallé, et le magistrat qui l'avait poursuivi et insulté fut révoqué.Le Consulat avait remplacé le Directoire et entrepris un nouveau travail de réorganisation de l'Eglise. La loi du 18 germinal, an X, réduisit le nombre des évêchés et supprima celui de Saint-Dié. Maudru descendit des honneurs de l’épiscopat avec la même simplicité qu'il avait toujours montrée, et se contenta de la cure de Stenay, dans la Meuse. Dans cet humble poste, il continua ses efforts pour l'instruction de ses paroissiens. Mais, pour soulager davantage leurs misères, il obtint, par décret impérial, le droit d'établir, dans un vieux couvent de minimes abandonné, une manufacture de draps de Sedan, procurant ainsi à tous les ouvriers, à tout le monde, le travail et le bien-être. Des bénéfices qu’il réalisa dans cette exploitation, rien ne resta dans ses mains. Tout fut distribué en secours aux vieillards, aux malades, aux indigents, et bientôt, grâce à lui, prospère et souriante, la ville de Stenay ne compla plus un seul mendiant dans ses murs.Les désastres de 1814 et de 1815 vinrent fondre sur la France. On pense combien dut souffrir le cœur dn patriote évêque devant les malheurs de la patrie. Tandis que les vosgiens, ses anciennes ouailles, combattaient avec Brice, avec Vadet, avec Chambure, Maudru, vieux et brisé, priait pour eux et pour sa patrie.Après le triomphe des Bourbons, son âge, une si belle vie, eussent dû lui garantir le repos. Mais ce même homme, que les jacobins exaltés avaient poursuivi comme royaliste, fut persécuté comme républicain, par des légitimistes zélés. Triste sort, réservé trop souvent parmi nous aux esprits droits et modérés à qui l’exagération a toujours répugné ! Placé sous la surveillance de la police, comme révolutionnaire, et comme ayant excité à l'assassinat de 60 personnes dont il aurait dressé la liste, Maudru respira un peu pendant les cent jours.Le canon de Waterloo s'était à peine tu, que lors de l'entrée des Prussiens à Stenay, le 4 juillet 1875, une populace royaliste les ameuta contre Maudru, lui associant un autre honnête homme, le maire de Stenay, M. Gillet : Maudru, sans fuir Stenay, quitta sa maison et trouva asile chez une femme courageuse et dévouée dont on est heureux de tracer le nom, Mme Lemejean, maîtresse de pension. Pendant six mois, comme au temps de la Terreur, Maudru dut se cacher dans un étroit cabinet, sous les toits, avec un grabat pour tout mobilier. Pendant six mois, il fut poursuivi, traqué ; sa tête réclamée, mise à prix, son sauveteur, menacé d’être fusillé sil était connu. Maudru laissa passer l’orage, mais sa santé, affaiblie par l’âge, les émotions, les souffrances, fut fortement ébranlée. La pitié de ses ennemis ne le ménagea pourtant point. Dénoncé à l’évêque de Nancy pour avoir fomenté les troubles de Sténay, il lui fut interdit d’y exercer désormais son ministère. Dénoncé au roi, comme républicain, il fut de nouveau. placé sous la surveillance de la haute police et interné à Tours.Cela se passait en 1816. Au mois de mars, l’ancien évêque des Vosges vint s'installer à Tours ; mais la police ne se contenta pas de le surveiller, elle le taquina, le harcela sans cesse d’interrogatoires, de visites domiciliaires. On saisit ses papiers, et enfin on l'arrêta, six mois après. Après huit jours de prison préventive, il fallut bien le relâcher et reconnaître l'injustice des soupçons portés contre lui.Découragé, il alla chercher un refuge près de son ancien grand vicaire, devenu curé de Ménil-Amelot en Seine-et-Marne. Obligé de se rendre à Paris pour faciliter la surveillance à son égard, il y fixa sa résidence et vécut dans une tranquillité relative.Mais tout ressort était brisé en lui. Le vigoureux patriote de 1798, l’apôtre infatigable du travail, de l’instruction, de la liberté religieuse sentait approcher le terme de sa longue existence. Comme son vieil ami, l'ancien évêque de Blois, Grégoire, il alla vivre dans la banlieue de Paris sur les gracieux côteaux de Belleville. Là, entouré de vieux débris de la Révolution, le prêtre-citoyen coula en paix ses derniers jours. Il put regarder sans rougir et sans trembler son passé révolutionnaire. Fidèle à ses principes, il avait toujours suivi ce qui lui semblait le devoir. La mort vint le prendre le 13 septembre 1830 ; et il mourut tel que, trente ans auparavant, les électeurs des Vosges l'avaient choisi : plein de douceur et d’une inaltérable sérénité. Il expira entre les bras de vieux camarades puissants d’hier, persécutés du jour et que la mort devait bientôt appeler dans l'éternel repos.Ce furent ces amis qui accompagnèrent son modeste convoi. L'abbé Grégoire murmura quelques paroles d’adieu sur sa tombe, où il rappelait et ses vertus, et ses services. Puis ce fut tout.Maintenant que les grands hommes de la Révolution ont dépouillé le masque horrible dont les Loriquet de 1815 les avaient affublés, et nous apparaissent dans toute leur force et leur grandeur, consacrons un souvenir au vieillard doux et calme que notre département eut pour prélat dans des temps troublés, et qui, malheureusement, n’a guère laissé d'imitateurs. Cette vie de sacrifice et de dévouement est une consolation et un espoir.Qu’un si noble exemple soit enfin suivi !Félix BOUVIER.
Article publié dans le journal Le Mémorial des Vosges