Circulaire confidentielle - 8 août 1888

LES SYNDICATS AGRICOLES MONARCHISTESCirculaire confidentielleNous avons dénoncé, à plusieurs reprises, les agissements politiques auxquels se livrent, sous le couvert des syndicats et des intérêts agricoles, les adversaires de la République. Aux preuves que nous avons mises à jour s'ajoutent successivement des preuves nouvelles, venant confondre fort à propos les intrigants et les factieux qui poursuivent imperturbablement leur œuvre et les républicains qui auraient été assez naïfs jusqu'à présent pour s'y laisser prendre.Vous avez entendu parler, amis lecteurs, de la « Ligue de la Consultation nationale ». Cette association politique a été inspirée, disait le Vosgien, après ses congénaires monarchistes, par les Instructions de son Seigneur le comte de Paris ; elle est sortie de l'Union des droites, — de ces fameuses droites qui s’entendraient bien pour tout démolir si elles n'étaient pas prêtes à s'entredévorer à la seule pensée de reconstruire. Ses présidents se nomment MM. le duc de Doudeauville, pour la monarchie traditionnelle ; Jolibois, pour le plébiscite bonapartiste et boulangiste ; et le baron de Mackau, pour l'orléanisme plébiscitaire.Son but emprunté, comme le disait la feuille réactionnaire d'Epinal, à la macédoine rédigée par le comte de Paris à ses fidèles, et renouvelé des circulaires Boulanger, — « est de poursuivre sans relâche, devant le Parlement et devant le pays, (voir les statuts publiés aussi par le Vosgien), la dissolution de la Chambre pour arriver, par la révision des lois constitutionnelles, à la consultation directe de la nation ».La « Ligue de Consultation nationale » comprend des sociétaires et des adhérents ; les premiers sont ceux qui versent 12 francs par an ; les seconds ceux qui paient une somme inférieure. Avec ces ressources, « elle organise la propagande par des publications, des conférences, des réunions privées et publiques ». La réaction tout entière s'est massée autour de la dite Ligue. Les organes monarchistes ou bonapartistes, des départements, sans distinction de préférences, absolutistes ou constitutionnels, légitimistes, orléanistes ou bonapartistes lui ont donné sans réserve leur appui. Autour des présidents dont on vient de lire les noms, se rangent, comme membres du comité d'action : MM. de Breteuil, de Maillé, Albert de Mun, royalistes ; Paul de Cassagnac, Berger, Chevreau, Delafosse, de Martimprey et Jacques Piou, impérialistes ou orléanistes.Eh ! bien, le croirait-on, cette machine, si fortement montée contre la République, et les syndicats dits agricoles que les chefs de la réaction se sont mis à organiser depuis quelque temps avec tant de zèle dans les départements, protestant avant tout contre toute arrière pensée politique et manifestant une bienveillance inattendue vis-à-vis des cultivateurs républicains qui voudraient bien se joindre à eux, — l’une et l’autre institution, la Ligue et les syndicats, disons-nous, — formeraient, dans la pensée de leurs créateurs, deux parties d’une organisation d'ensemble destinée à saper et à renverser les institutions républicaines.La démonstration concluante nous en est apportée aujourd'hui par une circulaire adressée à tous les syndicats agricoles bien pensants de France en général et des Vosges en particulier, émanant de la Gazette des Campagnes, qui joint à son mérite d'être agricole les qualificatifs « conservateur et religieux ». Voici la copie de cette instructive et édifiante circulaire, autographiée, sans nom d'imprimeur : Confidentielle. Monsieur,J’ai l'honneur de vous prier d’avoir l’obligeance de me confier pendant quelques jours la liste et les adresses des membres de votre syndicat.Je ne conserverai ce document que le temps matériellement nécessaire à l’expédition de la lettre ci-incluse adressée aux électeurs par la Ligue de la consultation nationale. (La lettre ci-incluse n'est autre qu'un prospectus de ladite Ligue).Dans le cas où cela vous serait possible, je vous serais reconnaissant de joindre à cette liste d’autres adresses.Agréez, Monsieur, l’expression de mes sentiments distingués. CREPEAUX, Secrétaire de la rédaction de la Gazette des Campagnes, 32, rue Matignon.Le rapprochement est complet, la prise sur le fait indéniable. Après le Vosgien et ses pareils grands et petits, après ses chefs et ses sous-chefs, donnant tous leur adhésion où leur appui à la Ligue de renversement républicain dite de consultation nationale, voici qu'un organe autorisé, « agricole, conservateur et religieux », appelle à la rescousse, pour aider et fortifier la dite Ligue, les membres des syndicats agricoles et toutes autres personnes que les politiciens monarchistes des départements voudront bien lui désigner.La voilà dans tout son épanouissement, l'œuvre des syndicats agricoles, dont les Ravinel, les Figarol et les Buffet faisaient leurs gorges chaudes : elle n’est ni plus ni moins dans leurs mains que l'exploitation des intérêts et des souffrances de l’agriculture au profit de leur politique de renversement et de désordre. Il n'y a pas ici de dénégation possible : la circulaire de la rédaction de la Gazette des Campagnes est là qui l’interdit et qui, dès à présent, coupe court à toute tentative de protestation.Libre maintenant au gouvernement de la République de fermer les yeux sur les agissements factieux de ses adversaires ; libre encore à des républicains aveugles ou traîtres de prêter la main à de pareils agissements ; quant à nous, pas plus aujourd'hui qu'hier, nous ne saurions être dupes ou complices.F. AYLIES.
Article publié dans le journal Le Mémorial des Vosges