Merveilleux effet de la patience de Saint Georges

CHAPITRE VIII.
MERVEILLEUX EFFET DE LA PATIENCE DE SAINT GEORGES ; ELLE CONTRIBUE A LA CONVERSION DE DEUX PRÊTEURS ET DE LA PRINCESSE ALEXANDRA.
Cette guérison merveilleuse de saint Georges, jointe au courage, à la patience avec lesquels il supportait les plus vives tortures sans faire entendre le plus léger murmure, la plus petite plainte, montrant toujours, au contraire, un visage riant et assuré, ne contribua pas pour peu à la conversion d’un grand nombre d'idolâtres, à augmenter en même temps la rage de Dioclétien pour faire persécuter ces nouveaux convertis. De ces glorieuses conquêtes du Saint sur les princes des abîmes, l’histoire ne nous a conservé que les seuls noms d’Anatole et Protole et celui d'une noble princesse, appelée Alexandra. Nous croyons ne point trop sortir de notre sujet en rapportant ici, du moins brièvement, l’histoire de leur martyre.Anatole et Protole étaient prêteurs (On nommait ainsi les magistrats qui rendaient la justice dans Rome, et ceux qui gouvernaient des provinces). Touchés des beaux exemples qu'ils admiraient en saint Georges qui avait été confié à leur garde, ils se convertirent au Seigneur, ce que fit également leurs familles, qui avaient suivi la scène du martyre de saint Georges. Ces champions de la foi, fortifiés par la grâce du Christ, se réunirent près de saint Georges, et ils s'écrièrent unanimement à voix haute afin que l’empereur et ses officiers pussent les entendre qu'eux aussi étaient chrétiens , que comme le tribun Georges, ils étaient prêts à souffrir et même à mourir pour la confession du saint nom de Jésus-Christ.L'empereur, ayant entendu cela, montra un sentiment d’indignation contre eux. Il les fit d’abord soumettre à la question. Le proconsul, chargé de les interroger, leur dit : « Qui donc a pu vous séduire jusqu'au point de vous détourner du culte des dieux pour vous faire adorer le Dieu des chrétiens ? Ils lui répondirent : « Personne ; mais nous avons été si bien édifiés de la joie, du bonheur que Georges éprouvait dans les cruels tourments qu'il souffrait de votre part, que nous aussi, éclairés par la même Foi, fortifié par la même grâce divine que lui, nous avons préféré choisir la perte de notre corps dans le temps plutôt que la perte de notre âme pour l'éternité. » « Ah ! bien, reprit le proconsul, puisque vous voulez suivre le fanatique Georges dans sa révolte contre nos lois, vous allez, tout à l'heure, le précéder dans les tourments qu'il doit subir encore, dans la mort même. » Et, élevant la voix, il cria : « C'est là le sort qui attend tous les rebelles qui refusent leur soumission à notre empereur, qui trahissent la fidélité qu'ils lui doivent. » Le proconsul fit son rapport à Dioclétien qui aussitôt réunit un conseil. 11 fit venir devant l'assemblée les confesseurs de lai Foi, c'est-à-dire Anatole, Protole et leur famille. Là, il leur posa à peu près la même question qui déjà leur avait été faite : « À quoi prétendez-vous, en résistant ainsi aux volontés de l’empereur pour suivre les superstitions des chrétiens à l'exemple de Georges ? que ne sacrifiez-vous plutôt. » Tous s’écrièrent d'une même voix : « Nous sommes chrétiens, comme tels nous refuserons toujours d'offrir des sacrifices à vos dieux, qui ne sont que des démons. Nous adorons le seul Dieu tout-puissant en trois Personnes qui s’est révélé à nous ; nous le servirons jusqu'au dernier soupir de notre vie, lui qui nous a créés, rachetés, qui nous conserve et nous vivifie. » — « Prince, dit le proconsul à l'empereur, vous entendez les blasphèmes de ces chrétiens, comme ils se rient de vos lois, que faut-il ordonner pour punir leur témérité, afin que d’autres ne soient pas tentés de les imiter. » L'empereur qui tenait à mener Georges à bout, à le gagner enfin, se contenta seulement sans autre for me, de condamner ceux-ci à avoir la tête tranchée. L'ordre du prince fut mis aussitôt à exécution. Car les satellites s'étant saisis d’eux, les ayant liés avec de grosses chaînes, ils les menèrent hors la ville dans un lieu inhabité, In locis desertis, dit Lippoman. Là, après leur avoir fait souffrir mille insultes, ils dégainèrent leur épée qu'ils firent vibrer aux regards des saints confesseurs comme pour leur dire que l'heure du martyre allait sonner ; qu'il était temps encore pour eux d’adhérer aux lois de l’empire, et à sacrifier pour se délivrer de la mort. Mais ils se mirent tous à genoux et levèrent les yeux vers le ciel comme pour montrer que là étaient toutes leurs espérances et leurs trésors, que la mort allait les en mettre en possession, en même temps que c'était du ciel qu'ils attendaient le secours divin. Îls prièrent ainsi :« Seigneur Jésus-Christ, recevez nos âmes, conduisez-les dans votre royaume, où nous ne serons plus exposés aux poursuites de nos ennemis visibles et invisibles, qui ne cherchent qu’à nous séduire en nous éloignant de vous, où nous vous posséderons, vous le doux objet de notre amour, sans crainte de vous perdre jamais, où enfin, nous vous louerons dans tous les siècles. Nous avons il est vrai, par le secours de votre grâce, confessé la sainteté de votre Nom, donné des preuves de notre foi en vous ; toutefois Seigneur fortifiez-nous encore à cette heure, pardonnez-nous les égarements de notre vie, couronnez les efforts que nous avons fait pour vous plaire par la grâce de la persévérance, afin que nous ne tombions point dans le crime de l’infidélité en ce moment d'épreuves, qui nous empêcherait de recueillir les fruits de la rédemption que vous nous avez méritée, vous priverait en même temps de la gloire qui vous doit revenir du salut éternel de nos âmes, par Jésus-Christ, Notre Seigneur.Amen. »Les saints n’eurent pas sitôt terminé cette prière que les exécuteurs impitoyables leur tranchèrent la tête. Et leur âme s’envola au ciel dans les mains des anges pour recueillir les palmes du martyre et l’auréole des vainqueurs.En ce temps-là vivait une princesse des Perses, nommée Alexandra ; elle était engagée dans les ténèbres de l'idolâtrie, mais bientôt vint le moment heureux où la lumière si pure de la grâce divine brilla à ses regards et lui dessilla les yeux, Elle se trouvait à Nicomédie, comme on persécutait le chrétien Georges ; elle fut tellement édifiée de sa joie parmi les indicibles tortures qu'il souffrait pour le nom de Jésus-Christ, qu’elle se sentit subjuguée par la grâce qui lui parla au cœur et lui découvrit le sentier de la vérité qui conduit au salut. C'était le grand travail de la conversion qui devait avoir en elle un prochain triomphe. En effet, aussitôt qu'elle eut appris la mort des généreux serviteurs de Dieu, Anatole et Protole ; elle alla en toute hâte trouver l’empereur, et lui parla avec une noble et sainte fierté en ces termes : « Prince, je suis chrétienne et servante du même Dieu que Georges adore, pour lequel il est persécuté, et que Anatole et Protole viennent de glorifier si hautement en mourant pour son amour.Christiane ego serva sum illius Dei : quem Georgius colit…L'empereur Dioclétien fut profondément affligé du merveilleux et prompt changement qui venait de s’opérer en Alexandra qu'il estimait beaucoup. Et comme d’ailleurs, il était allié avec l’époux de la princesse (Selon le sentiment le plus reçu par les auteurs, Alexandra était l'épouse du gouverneur Dacien, qui était prince de l'empire, et qui secondait les empereurs Dioclétien et Maximien dans leur implacable fureur contre les chrétiens. Il se trouvait à Nicomédée à l'époque de la passion et du martyre de saint Georges. Peu de temps après, Dioclétien et Maximien l’envoyèrent en Espagne, en apparence pour gouverner celte province, mais plutôt pour être le ministre de leur impiété, où nous l'y trouvons au commence- ment de l'année 304, époque du martyre de saint Vincent, diacre.), il ne voulut point la soumettre aux rudes épreuves par lesquelles il était résolu de faire passer tous ceux qui s'avoueraient chrétiens, et qui refuseraient d'adorer ses dieux. Toutefois, afin de cacher les apparences, et pour maintenir la rigueur de ses lois, quoiqu'il ne lui plût pas d'interroger lui-même Alexandra, il ne laissa point d’ordonner à son proconsul Maxence qui était un cruel et perfide tyran, de remplir près d'elle cet office. Et pour ne point paraître approuver tout ce qui se ferait par les ordres de Maxence, Dioclétien reprit le chemin de son palais, non toutefois sans être inquiet et bourrelé par la crainte.Maxence ayant fait approcher Alexandra de son tribunal, lui dit : « Dites-moi, ô princesse Alexandra, pourquoi louez-vous le Christ et méprisez nos dieux » ? « Parce que, répondit Alexandra, Jésus-Christ étant le seul Dieu véritable avec son Père, et le Saint-Esprit, il est plus avantageux pour moi de mépriser vos dieux ignobles et de souffrir les tourments, la mort même pour Jésus-Christ en qui je crois, j'espère, que j'aime, et qui, le premier à souffert et est mort pour moi. » « Maxence reprit: « Tu insultes donc les dieux et l’empereur, puisque tu refuses de les reconnaître ? Alexandra répliqua: « moi, reconnaître vos dieux, jamais. Quant à l’empereur, je ne méprise en aucun sens ses ordonnances, je ne fais que préférer aux siennes celles de Jésus-Christ, selon que je l'ai appris à le faire des chrétiens que j'ai vu souffrir et comme nous l’insinuent les Livres saints. D'ailleurs, Maxence, tu sais que je ne suis ici qu’en passant, que les lois qui régissent l’empire ne doivent point m'atteindre.» Maxence à Alexandra : « Tu penses donc, Alexandra, que je te laisserai aller sans te punir, à moins que tu m'obéisses. L'empereur t’ayant mise à ma disposition, je sévirai contre toi,jusqu'à ce que je t'aie fait renoncer à ta résolution de vivre et mourir pour ton Dieu. Alexandra : « Que dis-tu, Maxence ? Sache bien que mon Dieu est tout puissant, et qu’il saura me fortifier par sa grâce, afin que je conserve jusqu'à la fin la Foi et sa sainte crainte dans mon cœur. » Soit que Maxence redoutât la vengeance du prince des Perses, soit qu'il fut honteux de persécuter la princesse, son épouse, qui devait être libre dans les États de Dioclétien, il la laissa aller en lui recommandant surtout de la part de l’empereur, de ne plus reparaître en ce lieu pour y engager les chrétiens à mourir ; que si elle se montrait publiquement favorable à leurs superstitions, de par les lois de l’empire, elle ne serait pas plus épargnée que les autres. Alexandra se retira et alla consoler et fortifier par ses avis et ses aumônes les saints confesseurs du Christ détenus, chargés de chaînes dans d'obscurs cachots ; puis elle revint sur le théâtre des tourments du martyr saint Georges ; elle se confondit avec la foule des païens pour être plus à même de considérer ce qui s’y faisait, et de s’édifier par l'exemple de patience qu’elle admirait dans ce saint et généreux disciple du Crucifié.