Conduite édifiante de Saint Georges dans la profession des armes

CHAPITRE III.
CONDUITE ÉDIFIANTE DE SAINT GEORGES DANS LA PROFESSION DES ARMES ; IL QUITTE SON GRADE.
Georges vivait à la cour de Dioclétien en bon et chrétien soldat, obéissant à Dieu et à son prince par amour pour Dieu. Le respect humain, ce grand cheval de bataille ne le faisait point reculer ; il ne se souciait pas du qu’en dira-t-on, et malgré les quelques railleries qu'il eut parfois à essuyer de la part des princes qui composaient la cour de Dioclétien, il ne continua pas moins à observer exactement les préceptes, les conseils évangéliques et les pratiques religieuses, convaincu de cette maxime de la vérité même : « Que pour être serviteur de Jésus-Christ, il faut mépriser le monde et aimer à en être méprisé. » En effet, nul ne peut à la fois servir deux maîtres : Dieu et le monde, et dès que l’on estime, que l’on recherche l'approbation des hommes, l’on devient par le fait l'ennemi de Jésus-Christ, Qu'il était beau de voir ce jeune prince quitter les délices des sociétés pour aller au temple des chrétiens épancher son âme par de tendres colloques dans le sein de son Dieu. Qu'il était beau de le voir descendre quelquefois de cheval pour embrasser le pauvre de Jésus-Christ qu'il rencontrait sur la route, pour le consoler, et surtout pour l’assister ! Si telle était la conduite de saint Georges à la cour où pourtant alors il était si difficile de se conserver pur de la corruption du siècle, combien plus chrétienne, plus pieuse était-elle lorsqu'il lui était possible de séjourner quelque temps chez sa mère. Cette mère, si bonne, si vertueuse, si excellente, rappelait à son fils les sages avis qu’elle lui avait donnés lorsqu'il était enfant. Georges en remerciait sa mère et lui promettait bien d'en faire son profit. Quel exemple de vigilance d’une part, d'obéissance de l’autre ! Honte aux parents qui, parce que leurs enfants ont grandi, ne les conseillent ni ne les reprennent plus, ni ne veillent plus sur leur manière de vivre. Honte surtout aux enfants orgueilleux, rétifs, méchants qui, parce qu'ils sont sortis de l'enfance, dédaignent et méprisent les avis si pleins de tendresse d’un père, d’une mère quis ont en conscience obligés de les instruire, de les diriger et de veiller sur eux, comme devant rendre compte à Dieu de leurs âmes qu'il leur a confiées. Ah ! que les parents et leurs enfants viennent ici à l’école de saint Georges et de sa pieuse mère pour apprendre la règle de leurs devoirs.
Jusque-là les fidèles avaient pu servir Dieu avec sécurité, car la religion avait été protégée par l’empereur. Mais Georges qui l’approchait de près en sa qualité de sénateur savait par conviction que la façon d'agir de Dioclétien n'était qu’un jeu politique. Déjà il avait entendu parler au palais, dans le conseil, du projet de persécuter les chrétiens. Alors l’empereur avait cessé d'être chrétien lui-même ; il s'était laissé gagner par des adulateurs qui l'avaient entraîné au culte des idoles. Il sacrifiait Dieu à Apollon. Il avait cette divinité païenne en singulière vénération, parce que par elle il obtenait la connaissance des choses futures. C’était vers l’année 302, Dioclétien avait déjà régné 18 ans. Georges avait remarqué, au palais de Nicomédie, les entretiens fréquents et mystérieux de ce prince avec le César Galerius. Galerius était l’homme le plus inhumain, le plus cruel qui fut jamais. Dioclétien avait un cœur bon, tendre, humain ; mais il se laissa séduire par Galerius, de sorte que ces deux princes agitèrent bientôt la question de reprendre le dessein de Néron, et avisèrent aux moyens les plus expéditifs pour qu'on put enfin réussir par un coup terrible, mais décisif à exterminer pour jamais le christianisme. Le vieil empereur Dioclétien résista longtemps. Il était dangereux, selon qu'il disait, de troubler encore le repos du monde, de verser des flots de sang. Les supplices d'ailleurs n’aboutissaient pas, puisque les chrétiens ne demandaient qu'à mourir. Enfin, poussé par Galerius, Dioclétien consentit à soumettre la question à son conseil de guerre ; mais auparavant il voulut consulter l’oracle Apollon. Une fois donc il vint exprès au temple d’Apollon avec les sacrificateurs et les de vins, ils interrogèrent Apollon qui ne leur répondit rien. Enfin, ils insistèrent, le prièrent de leur dire au moins la raison de ce silence. « C’est que, répondit Apollon, les justes répandus sur la terre m'empêchent de dire la vérité. » L'empereur n'ayant pas bien saisi tout le sens de cette réponse forcée, interrogea les aruspices (Ministres de la religion chez les anciens Romains, dont la fonction consistait à chercher des présages dans les mouvements de la victime avant le sacrifice, et après, dans l’inspection de ses entrailles.) qui étaient là présents. Ceux-ci lui déclarèrent que les justes dont parlait Apollon étaient les chrétiens.
L'empereur ayant compris entra en fureur et il jura qu'il exterminerait tous les chrétiens. C'est alors que la tempête qui se formait depuis quelques années contre les disciples du Christ, fit craindre et sembla menacer de noyer l'Église entière dans le sang des martyrs. Saint Georges était parfaitement instruit de ce qui se tramait, il se disposait à faire à Dieu le sacrifice de sa vie plutôt que de renoncer à la Foi ; il priait même le Seigneur de ne permettre point que l’empereur poussât à bout un si perfide dessein, à moins que sa gloire n’y fut intéressée, En qualité de tribun et de sénateur, Georges fut une fois appelé à siéger parmi le sénat, car il s'agissait de faire ratifier le décret de l’empereur qui ordonnait une persécution générale contre les chrétiens. Ce décret tout injuste qu'il était fut reçu néanmoins avec applaudissement par le conseil inique, excepté du seul saint Georges qui s’y opposa avec un courage vraiment mâle et héroïque, comme à un dessein pervers, contraire au service du vrai Dieu, aux droits des citoyens. L'empereur n’ignorait pas que Georges était chrétien ; mais il fut fort contrarié de l’opposition qu'il trouvait en lui, ayant toujours comme il disait compté sur sa fidélité. Georges toutefois ne faiblit point en face de l’empereur ; il avait appris du Livre sacré qu’en pareil cas il vaut mieux obéir à Dieu qu'aux hommes. Il mit donc cette maxime en pratique, et fortifié par la grâce de l'Esprit Saint, il protesta que jamais il ne justifierait la conduite que son empereur allait tenir vis-à-vis des chrétiens, que dès ce moment même il refusait de paraître à sa cour, de siéger dans son conseil. Cela dit, Georges se disposa à retourner vers sa mère. Il se fixa chez elle, mais non pour longtemps, car elle mourut bientôt entre les bras de ce fils bien-aimé qu'elle avait élevé avec tant de soins et de zèle dans la vraie piété. Georges pleura amèrement la perte de cette tendre mère, mais avec la résignation la plus chrétienne.
À partir de ce moment, Georges fut en possession de tous ses biens patrimoniaux. Il ne s'occupa plus que de l'exercice de la prière et des bonnes œuvres, faisant de larges aumônes aux pauvres, se mortifiant pour se disposer par une vie pénitente et sainte au sacrifice de sa vie, si le Seigneur le demandait de lui.