Union féculière des Vosges - 17 décembre 1936

DANS LA FECULERIE
Un Banquet d’honneur est offert, par l’Union Féculière des Vosges et de l’Est, à M. H. Du Fretay, délégué général de la Confédération Nationale des producteurs de pommes de terreUne réunion très importante, puisqu’elle ne comprenait, pas moins de 50 délégués de féculeries coopératives et de féculeries artisanales, a eu lieu hier 13 décembre à Bruyères, au siège social de l’Union Féculière, à l'Hôtel de l'Agriculture. Elle avait pour but de recevoir M. H. du Fretay, délégué général de la Confédération nationale des Producteurs de pommes de terre, dont le dévouement à la cause des planteurs est bien connu. A 10 h. 30, M. du Fretay arrive à Bruyères, en compagnie de M. Lecoanet, président de l’Union féculière, et de M. Louis Guillon, ancien député, maire de Thaon et conseiller général des Vosges, secrétaire général de l’organisme de défense que dirige M. du Fretay. Après quelques mots de M. Lecoanet pour saluer M. de Fretay, au dévouement duquel il rend tout de suite hommage, M. Louis Guillou, à son tour, rappelle dans quelles conditions, il y a 7 ans, fut créé par lui et par son ami l’organisme national des producteurs de pommes de terre. Il tient à bien marquer que si les cultivateurs producteurs de tubercules ont été, ainsi que la féculerie. en mesure de défendre normalement leurs intérêts, c’est bien grâce à l’action pressante du délégué général. Mais, dit-il, une offensive nouvelle se dessine contre les producteurs agricoles, qui, hélas ! malgré les recommandations qui leur sont faites depuis de longues années, continuent à produire et à vendre en ordre dispersé, ne présentent pas un front uni pour faire valoir leurs si légitimes revendications, alors que de l’autre côté, de puissants trusts de transformation sont, eux, solidement unis et assez adroits pour faire entrer dans leur jeu les représentants des masses ouvrières, sous l’inexact prétexte que les produits agricoles, toujours trop chers, sont cause de la hausse du prix de la vie. Il termine son allocution en disant aux cultivateurs présents : « Pour vous qui représentez une élite, votre tâche n’est pas finie, pas plus que la nôtre. Malgré vos désillusions qui sont les nôtres, malgré vos désespérances devant tant d’incompréhension chez ceux que vous défendez, désespérances qui sont aussi connues de nous ; malgré les critiques ou les calomnies répandues contre vous, répandues contre nous, parce que nous sommes des gêneurs de gros intérêts, vous continuerez votre tâche, comme nous continuerons la nôtre, en poussant toujours plus avant l'organisation de la masse agricole française qui n’a pas encore joué, dans ce pays, le grand rôle qu’elle devrait y jouer. La moitié de la France est simplement considérée par l’autre comme la nourricière de la nation. Nous voulons, nous, que les paysans faisant leurs affaires eux-mêmes par la coopération qui est devenue un moyen indispensable de salut, par le syndicat, obtiennent aussi la part de direction à laquelle ils ont droit dans les affaires pu bliques ». Très vigoureusement applaudi, M. Louis Guillon passe la parole à M. du Fretay qui, après avoir remercié les dirigeants de l’Union Féculière de leur délicate invitation, retrace de façon magistrale quelle fut la vie de la Confédération nationale des Producteurs de pommes de terre depuis le jour où il l’a créée avec son ami Louis Guillon. Nous croyons intéresser vivement nos lecteurs en rappelant de façon schématique les points principaux de ce remarquable discours, car les producteurs de pommes de terre de notre région, si nombreux, y trouveront les enseignements utiles et une raison d’espérer dans l’organisation professionnelle. M. du Fretay rappelle tout d’abord l’action passée de la C. N. P. P. T. Fondée fin 1929, début de 1930, par quelques dirigeants agraires, dont M. Guillon et lui-même, a vite fait sa place dans le cercle des grandes associations agricoles nationales. Son premier acte fut d'appuyer la proposition du sénateur Hayaux, sur le droit d’accise en amidonnerie de 25 frs par 100 kgs d’amidon, puis d'obtenir l’application de cette mesure. Ensuite, ce fut le barrage progressif contre la concurrence étrangère : Sur la matière première pomme de terre, dont les droits furent relevés de 6 à 9 frs, puis à 12 frs, puis à 15 frs, puis enfin à 30 frs. Sur la matière première maïs, par des relèvements de droits successifs de 10 à 2 frs. et par le contingentement qui bloque actuellement les quantités allouées à l'amidonnerie pour le travail en consommation à 3000 quintaux par trimestre, soit 12000 quintaux par an, au lieu de 250000 quintaux. Sur la fécule étrangère, par des relèvements de droits de 70 à 120 frs d’abord, à 150 frs ensuite, aux cent kilos. Sur la fécule exotique, par un relèvement de droits de 60 frs aux 100 kilos. Sur la dextrine étrangère, par un relèvement de droits de 140 à 200 frs aux 100 kgs. Sur l’admission temporaire en amidonnerie, par une réforme profonde, malheureusement atténuée par un décret récent, qui a relevé les taux de réexportation de 47 à 55 % pour l’amidon, et de 47 à 90 % pour le total de l’amidon et des sous-produits. La C.N.P.P.T. a également à son actif un effort d’organisation interprofessionnelle du marché des amylacés, qui a échoué par la faute de l'intransigeance de l'amidonnerie, mais dont le principe reste juste, et qui devra être repris un jour ou l'autre. Tout récemment, la C.N.P.P.T. vient, de lutter victorieusement contre une offensive organisée contre la hausse de la fécule, sous le prétexte de la vie chère, offensive qui semble vouloir se poursuivre sous d'autres formes. Tout cela est vite énuméré, mais ce la représente cependant un long et patient effort, une activité considérable et une volonté toujours tendue vers le but à atteindre. Un examen des cotations de la fécule depuis le début de 1930 montre que les efforts de la C.N.P.P.T. n'ont pas été vains, puisque, sauf l’effondrement passager d’ici il y a deux ans, les cours se sont toujours maintenus au coefficient 5, et même au-dessus de ce coefficient. Peu de produits agricoles ont, durant cette période de crise, connu un sort aussi favorable. La C.N.P.P.T. a accompli sa tâche avec des moyens matériels dérisoires. Il serait temps que les intéressés lui apportent un concours plus substantiel sans lequel elle pourrait difficile ment continuer sa tâche. De toutes les questions effleurées ci-dessus, trois surtout restent d'actualité immédiate et méritent un ex posé plus complet. Ce sont celles : a) de l’offensive récente des com missions de surveillance des prix ; b) de la réforme de l'admission tem poraire en amidonnerie ; c) de l'organisation interprofession nelle du marché des amylacés.
Offensive de la Commission de surveillance des prix Cette offensive a eu une double origine : les industries textiles, un ancien courtier en fécules. Elle a abouti à faire classer la fécule denrée de première nécessité ! Décision assez ridicule quand on songe que, dans un drap, la fécule employée pour l'apprêt intervient pour un prix de 4 centimes au mètre carré, lorsque la fécule est à 240 frs les 100 kilos. Devant cette constatation, on a prétendu reporter le caractère de première nécessité sur le poste « alimentation ». Mais, de ce côté, la consommation en France de 75 grammes par habitant et par an, le caractère de « première nécessité » est aussi peu fondé que pour les industries textiles. De ce côté, les choses sont un peu calmées, et un nouveau relèvement des cotations vient d’être autorisé. Mais, il y a nécessité de se bloquer à ces cours de 220 frs pour rayon Paris, et 230 frs rayon de l’Est, en première grains, car, en tenant les prix à un niveau plus élevé, en ne livrant pas ou en livrant peu, on provoquerait une importation certaine de fécules hollandaises. Un mouvement est déjà amorcé dans ce sens, et cela n’a rien de souhaitable. Par contre, il reste à régler la question des cotations, et à obtenir qu'elles se fassent correctement. Pour cela, il faut en venir à deux cotations, une pour le rayon de Paris et de l’Oise, l’autre, pour le rayon de l’Est. Il faut que chacune de ces cotations reflète exactement les prix des affaires effectivement traitées. Il faut, pour le rayon des Vosges, qu'elles soient établies d’accord entre quelques dirigeants agricoles, aidés de quelques courtiers. Il restera ensuite à régler, pour certaines féculeries industrielles, le rapport à établir entre le prix pratiqué pour les fécules et le prix payé au planteur pour la pomme de terre. Si tout cela ne s'effectue pas correctement, des offensives se poursuivront contre les prix de la fécule, sous le prétexte des abus pratiqués à l’abri des cours élevés, et cela, en fin de compte, se retournera contre les planteurs et contre la protection dont ils bénéficient.
Réforme de l’admission temporaire en amidonnerie Jusqu’en mars 1936, l’amidonnerie n’était tenue qu'à la réexportation de 47 kgs d’amidon par 100 kilos de maïs traités. A partir de cette date, les taux de réexportation ont été fixés : à 60 % pour l’amidon ; à 35 % pour les sous-produits ; à 95 % pour le total. Un décret de septembre 1936 a réduit ces taux de réexportation : à 55 % pour l’amidon ; à 90 % pour le total amidon et sous-produits. La C.N.P.P.T. a toujours été très prudente dans le passé pour apporter des affirmations dans ce domaine, tant qu’elle en était réduite à des présomptions et des hypothèses. Aujourd'hui, elle détient des preuves que les rendements sont de : 62 à 70 % pour l’amidon ; 100 % pour le total amidon et sous-produits. II faut donc que cette question soit réexaminée, et que la réforme qui s’impose soit obtenue. Ni du point de vue du Trésor, ni du point de vue agricole, on ne peut admettre une fissure aussi large que celle qui subsiste aujourd’hui.
Organisation interprofessionnelle du marché des amylacés L’irrégularité de la production de la pomme de terre et de la féculerie fait que celle-ci ne peut, à elle seule, approvisionner le marché. Il faut donc des compléments pour certaines années, si l’on veut éviter des plaintes et des offensives des consommateurs de fécule, qui se retourneraient contre les producteurs. L’amidonnerie est la mieux placée pour fournir ces compléments, mais si on peut admettre qu’elle remplisse cette fonction complémentaire dans les années déficitaires en fécule, on ne peut admettre qu’elle exerce une concurrence dangereuse les années de forte production. On est ainsi amené à concevoir un système d'organisation du marché des amylacés : 1° Où la fécule nationale a un droit de priorité incontesté ; 2° Où la glucoserie, filiale de l’amidonnerie, absorbe les excédents de fécule quand il y on a ; 3° Où l’amidonnerie complète la production de fécule, les années où celle-ci est déficitaire : 4° Où, pour le marché intérieur, l'amidonnerie utilise par priorité les maïs coloniaux, et où les contingents de maïs étrangers ne sont fixés qu’après accord des producteurs de pommes de terre et des féculiers ; 5° Où un organisme interprofessionnel, à prédominance nettement agricole, serait institué pour étudier et régler toutes les questions, les Pouvoirs Publics intervenant pour rendre obligatoires les décisions prises. Nous étions déjà entrés dans cette voie, mais sous le signe d’accords libres. Mais l’amidonnerie n’ayant voulu se soumettre, ni à une restriction suffisante de sa production, ni à un contrôle effectif de celle-ci, les accords furent rompus. Le marche est alors retombé dans une situation anarchique. Nous avons, au bout d’un an, redressé la situation par une violente offensive protectionniste. Mais voici que, cette année, le déficit de récolte détermine des offensives contre la protection obtenue, rendant inévitables des importations. Il est indispensable que celles-ci soient contrôlées par les producteurs nationaux, pour éviter la constitution de stocks inutiles. Mais, comment y parvenir sans une organisation inter-professionnelle détenant tous les renseignements sur la production, sur les stocks, et sur les besoins de la consommation capables d’absorber les excédents momentanés, etc... Tant que le marché sera livré à des irrégularités de production et de sommation, il y aura des oscillations de prix et de protection douanière préjudiciables aux producteurs. Il faut créer un régime de stabilité et de sécurité, où la production nationale aura la priorité incontestée, et où la production étrangère ne sera que le complément de production nationale, son importance étant à tout instant déterminée d'accord avec les producteurs nationaux. Là, comme ailleurs, il faut en finir avec un libéralisme et un individualisme anarchiques. Il faut en venir à la direction par les professions organisées, auxquelles les Pouvoirs Publics par des textes appropriés, donneront l’autorité nécessaire.
Conclusion Il a été beaucoup fait pour la défense des planteurs et des féculiers. Mais on ne peut dire qu'on ait créé un régime de stabilité et de sécurité suffisantes. Nous restons sous la menace constante de réduction de protection, d’effondrement des cours. C’est là une situation dont il faudrait sortir. Lorsque tout va bien, on manque généralement de courage pour voir le danger prochain, et l'effort à faire pour le conjurer. Il appartient, en pareil cas, à ceux qui sont mieux placés pour apercevoir les dangers de l’avenir, d'avoir le courage de les signaler, plutôt que d'endormir les intéressés dans une quiétude dangereuse. C’est pour notre part le devoir que nous avons tenu à remplir.Après le remarquable discours de M. du Fretay, les nombreux délégués, après l’apéritif, se réunirent dans une salle voisine, où le banquet d’honneur lui fut offert. Le menu fût comme toujours, à hauteur de la réputation qui n'est plus à faire de l'Hôtel de l'Agriculture. Après les toasts, deux superbes cadeaux furent remis à MM. du Fretay et Louis Guillon, comme témoignage de la reconnaissance des organisations représentées pour l'action menée par eux depuis sept années. Surpris et touchés de cette manifestation, MM. du Fretay à Guillon remercièrent en termes émus.
Article publié dans le journal L'Express de L'Est