Petite guerre - 17 septembre 1889

PETITE GUERREL’incident Boucher - FigarolC'était au comice de Châtel, dimanche, par une belle après-midi. Les cultivateurs avaient savouré la cuisine de M. Perriot-Bonvin, — un nom prédestiné pour un restaurateur. M. Purnot et M. Maud’heux avaient été applaudis. Ni le secrétaire général, ni le président n’avaient prononcé le nom d’un candidat. On ne pensait pas plus à la lutte électorale qu’à sa première panade.Les convives digéraient doucement sous les auspices de Cérès, en sirotant un petit champagne gai venu d’Epernay, quand M. Figarol prend la parole.M. Figarol est féculier. On pensait qu'il allait parler de la pomme de terre. Point !« M. de Ravinel ...! » (Mouvement de surprise général.) Ah ! voilà ce banquet de la concorde transformé en réunion électorale !M. de Ravinel a chargé M. Figarol de le représenter. M. Figarol, en bon représentant, tresse une couronne au candidat monarchique de la 2e circonscription, tout en se félicitant de la trêve que les réunions du comice apportent dans nos luttes politiques.Puis il parle du comice de Rambervillers, dont M. de Ravinel est président, et il remet sur le tapis le grand argument électoral du baron : les secours aux victimes de la grêle.Le public est interloqué ; des appréciations en sens divers s’échangent.Tout à coup on entend un sifflement aigu ; une flèche part et va se planter en frémissant dans la poitrine de M. Figarol.M. Henry Boucher, candidat républicain dans la seconde circonscription, avait l'intention très formelle de ne pas prendre la parole ; mais il devait à son parti, il se devait à lui-même de riposter à cette apologie déplacée.« Je remercie M. Figarol, dit le conseiller général du canton de Bruyères. Un appel à la trêve sur le terrain agricole est toujours entendu par nous. Il s’imposait d'autant plus aujourd’hui que M. Figarol, parlant d’un homme politique absent devait en parler d’une façon correcte. Or, je ne connais qu’une façon correcte de parler en semblable circonstance d’un absent, c’est de boire à sa santé. »Un immense éclat de rire accueillit cette spirituelle saillie. Qui fut penaud ? Le pauvre M. Figarol comprit que son toast était déplacé. IL eût voulu être à cent pieds sous terre.O charpentiers, qui construisites l’estrade, que ne ménageâtes-vous une trappe pour que M. Figarol pût disparaître après sa bévue ?Mais le charpentier le plus avisé n’aurait jamais imaginé que M. Figarol dût commettre une pareille gaffe.Les réactionnaires étaient confondus. M. Figarol, pour son compte, honteux et confus, Jura, mais un peu tard, qu’on ne l’y prendrait plus, GUI.
Article publié dans le journal Le Mémorial des Vosges