Scrutin sénatorial - 1 mai 1888

L'ÉLECTION D'HIERLe scrutin sénatorial n’a pas trompé notre confiance. Comme nous l’avions prévu, M. Charles Ferry a été élu sénateur des Vosges au premier tour de scrutin, par la plus belle des manifestations électorales, dont le succès est rehaussé encore par l'ardeur et la violence employées dès samedi soir et durant toute la matinée de dimanche par les meneurs dissidents.Mais le scrutin désormais mémorable du 29 avril empruntait une signification toute particulière aux divers éléments en présence. D'un côté, la réaction monarchique et cléricale avait jugé habile de confier son drapeau au plus effacé et au moins compromis de ses ex-candidats battus au 4 octobre 1885 : ses grands chefs, MM. Buffet, de Ravinel, etc... s'imaginaient que M. Figarol franchirait aisément la barrière républicaine sous ses couleurs grises de membre de comice agricole réactionnaire, de la société d'émulation et de président de la société des engrais chimiques. Les délégués des communes ne se sont pas laissé prendre à la supercherie enveloppée dans la circulaire volontairement incolore que l’on sait ; ils ont dépisté l’adversaire à l’affût et lui ont infligé la plus humiliante défaite, celle-là même qu'avait prédite et que s'était refusé à endosser M. de Ravinel, qui s'y connait.D'un autre côté, les républicains de progrès et de gouvernement avaient à faire face aux dissidences violentes qui se dessinaient au dernier moment et qui prenaient pour candidat M. Morlot, ancien conseiller d’arrondissement du canton de Châtenois, à qui ses concitoyens ont cependant refusé de renouveler son mandat à la suite des élections législatives du 4 octobre 1885. M. Morlot avait été à ce moment, comme on sait, le commensal de l’intransigeance et du séparatisme, et porté sur la même liste que MM. Lefebvre-Roncier, Goujon, Cambier, etc. À défaut d'un candidat sérieux voulant épouser leurs mécontentements, leurs jalousies ou leurs visées politiques, les indisciplinés et les adversaires de la politique républicaine libérale et progressive de gouvernement se rabattaient quand même sur ce candidat perpétuel dont l'esprit et les capacités sont à la hauteur de la modestie.Il y avait lieu de penser cependant que la clairvoyance, l'exemple patriotique et l’abnégation dont avaient fait preuve MM. Bailly et Brugnot devant la réunion plénière préparatoire du 15 avril auraient porté leurs fruits, et que les prétentions injustifiables d’un ex-candidat de la désorganisation républicaine n'auraient pas trouvé d'appui. C’eût été compter sans les hostilités personnelles et politiques auxquelles l'honorable candidat républicain, M. Charles Ferry, sénateur depuis hier, et notre éminent représentant M. Jules Ferry, sont en butte depuis quelques années, — hostilités qui ont été assez fortes pour faire oublier à quelques républicains les engagements solennels qu'ils avaient pris par leurs paroles et par leur vote dans la réunion du 15 avril. Alors s’est produit en faveur de la candidature Morlot le racolement fiévreux, dévorant dont tous les délégués ruraux ont été l'objet depuis leur descente du train jusque sur la place du Palais-de-Justice ; distribution de libelles injurieux venant de Paris ou de Commercy ; affichage de placards outrageants, etc., le tout sous l'œil bienveillant et satisfait des chefs de la réaction, renaissant à l'espérance d’un échec relatif du candidat républicain, M. Charles Ferry, au premier tour. En effet, on apprend que, dans cette hypothèse, une coalition est bien près de se faire, et qu'à l'exemple de leurs amis du Nord, et en dépit des indignations calculées de M. Buffet père, les chefs réactionnaires sont disposés à reporter les voix dont ils disposent sur le candidat Morlot.Mais les délégués ruraux ne se sont pas laissé démonter : au milieu de l’indignation que leur causaient les calomnies répandues contre le candidat républicain sous la couverture du nom du candidat fantoche de l’intransigeance ou du boulangisme honteux, on entendait très distinctement prononcer les mots de défection, de trahison.Nous ne nous sommes pas associé à ces accusations cruelles pour ceux à qui elles s’adressaient ; nous les avons même combattues ; mais il faut reconnaître qu’elles étaient bien logiques et bien naturelles en présence du genre de propagande qu'on avait sous les yeux.On connaît le beau résultat du scrutin ; M. Charles Ferry, le candidat le plus combattu, le plus injustement et le plus audacieusement calomnié, était proclamé sénateur haut la main par plus de 200 voix de majorité sur le candidat réactionnaire, tandis que les dissidents ne réunissaient pas, sur M. Morlot, plus de 111 voix, chiffre inférieur à celles qu'ils avaient opposées à M. Ch. Ferry, dans la réunion préparatoire du 15 avril.C’est le triomphe du bon sens, de la discipline et du progrès mesuré et sûr ; c'est la consolidation de la politique désormais inébranlable dans les Vosges, dont M. Jules Ferry est dans notre pays l’un des plus éminents représentants. C’est en un mot, la certitude que les Vosges sont indissolublement attachées à la République modérée et progressive, inaccessibles aussi bien à la politique brouillonne et dissolvante des indisciplinés, des intransigeants et des fauteurs de dictature, qu'à la politique de ces autres révolutionnaires : les revenants de la monarchie. Aussi avec la satisfaction que nous cause pour le présent l'élection d'hier, nous avons le droit d’avoir plus que jamais confiance dans l'avenir.Tout l'honneur en revient aux électeurs sénatoriaux des Vosges, à leur fermeté, à leur perspicacité. Aussi terminerons-nous par ce cri que nous poussions hier : Vivent les Vosges ! Vive la République ! F. AYLIES.
Article publié dans le journal Le Mémorial des Vosges