La fécule des Vosges - 10 octobre 1902

La fécule des Vosges
Notre honorable concitoyen, M. Dautel, conseiller municipal d’Épinal, a présenté à la chambre de commerce des Vosges — dont il est membre titulaire — un très intéressant travail sur la production féculière dans notre département. Cette industrie, complément naturel de l’agriculture, date de l'an 1810. La première fabrique a été installée à Fresse-sur-Moselle, en 1833. Quelques années plus tard, on en construisait d'autres.En 1878, les Vosges comptaient plus de trois cents féculeries pouvant donner 250000 quintaux. Puis un marché important se créait à Épinal et régularisait le marché français, parce que nombre d'industries, en France ou au dehors, utilisaient nos produits : telles la glucoserie, le blanchiment du tissage, la papeterie, les pâtes alimentaires. A cette époque — de 1860 à 1861 — se fondaient dans notre ville les Magasins généraux.Par les garanties qu'il offrait aux contractants, par la création d'un type officiel de fécule, par divers avantages, cet établissement aidait puissamment à la prospérité de la féculerie vosgienne. Dès lors, les fabricants se voyaient amenés à perfectionner leur outillage. A l'exposition universelle de 1867, la fécule des Vosges obtenait une médaille d’or et elle servait au jury comme type pour l'examen des autres provenances. Elle enlevait la même récompense en 1878 et en 1900.Par des tableaux détaillés, M. Dautel indique le mouvement de nos fécules aux Magasins généraux durant une période de quarante et un ans — de 1861 au 31 décembre 1901. Pour la première série décennale le chiffre du mouvement atteignait 736058 quintaux ; il dépassait ce chiffre pendant la seconde période, pour descendre à 552091 au cours de la troisième et tomber à 383849 pendant les onze dernières années. Le premier fléchissement date de 1878.A ce moment, les fécules allemandes et hollandaises, n'ayant à supporter pour leur entrée en France qu’un insignifiant droit de douane de 1 fr. 20 par quintal, se mettaient à inonder nos débouchés habituels, au-dedans et au-dehors. L'importation des maïs exotiques employés en glucoserie n’était que d’un million à douze cent mille quintaux en 1877. Elle s'accroissait si rapidement qu’en 1890, elle arrivait au total énorme de 6423426 quintaux. Il fallait aviser.Dès 1879, les féculiers français se groupaient dans une réunion au Grand-Hôtel, à Paris. Une commission, dont faisaient partie MM. Guilgot, Dufour, Pierrat, François et Balandier, rédigeait un mémoire tendant au relèvement des droits. Elle saisissait la commission des douanes et aboutissait, en 1882 seulement, au vote d’un droit de six francs au tarif général et de quatre francs au tarif conventionnel.Peu de temps après, on reconnaissait l'insuffisance de cette satisfaction et la nécessité d'une protection plus efficace pour nos cultivateurs. M. Brugnot, sénateur, MM. Krantz et Boucher, notamment ce dernier qui préside la chambre de commerce des Vosges, secondaient de tous leurs efforts la cause féculière auprès de la commission, à la tête de laquelle se trouvait un autre député vosgien, un éminent économiste, M. Jules Méline. Les intéressés s'étaient constitués en syndicat sous la direction du dévoué M. Florion.La légitimité de ces réclamations vigoureuses étant admise, la loi du 8 juillet 1890 frappait le maïs étranger, à son entrée en France d'un droit de trois francs par quintal en grains et de cinq francs en farine. En 1892, le droit sur les fécules étrangères était porté à quinze francs par quintal au tarif général et à douze francs au tarif conventionnel. Le nouveau régime est supportable pour notre marché intérieur; mais il ne nous a pas pu rendre nos débouchés extérieurs.D'autre part, le marché régulateur s’est émietté, au détriment du centre vosgien, parce que la culture de la pomme de terre s'est généralisée. Il existe aujourd’hui d’autres centres où l'on a construit de grosses féculeries, notamment dans la Seine, l'Oise, Saône-et-Loire, le Loiret, le Nord. Il en est résulté un nivellement général et un manque d'amplitude dans les cours de la fécule. Aussi, beaucoup de féculeries vosgiennes ont-elles disparu. Le nombre en est tombé, ces vingt dernières années, de 300 à 75, produisant cent mille quintaux et non plus deux cent cinquante mille. Les prix ont baissé en même temps. Sur la fin de 1901, ils touchaient à l'extrême limite de vingt et un francs. Le prix de la pomme de terre a suivi cette marche descendante. Le remède n’est pas facile à trouver. En effet, si la féculerie est forcée d'acheter à bon compte, encore faut-il que le cultivateur y trouve le sien.M. Dautel conseille une culture appropriée, le choix des meilleures espèces, le soin des tubercules de semence, l'emploi raisonné des engrais chimiques. A cet égard, les syndicats agricoles, les professeurs d'agriculture, les instituteurs, accomplissent une œuvre très louable. On connaît les travaux du vice-président de la chambre de commerce, M. Lederlin. Il faut lutter avec énergie contre la routine pour obtenir les rendements dont s’enorgueillissent les autres centres féculiers, l'Oise en première ligne. Nous avons une côte à regrimper, tendons le jarret; nous sommes des montagnards, après tout !N. D.
Article publié dans le journal Le Mémorial des Vosges