La guerre de Trente Ans

La guerre de Trente Ans dans l’arrondissement d’Epinal (2)GUERRE DE TRENTE ANS DANS LES VOSGES27 septembre 2010 - Par Au fil des mots et de l'histoireExtraits de la notice de l’abbé Idoux, publiée en 1911 et 1912,dans les Annales de la société d’émulation du département des Vosges.
Canton d’Epinal (Bailliage d’Epinal)Après avoir été menacé par la peste en 1626, désolé par le fléau en juillet, août, septembre, et décembre 1629, de nouveau contaminé en 1632, Epinal fut cette année-là même, occupé successivement par les compagnies de Belrupt, Mitry, Lenoncourt. Comme dans la prévôté d’Arches, ces troupes furent à Epinal une calamité par les scandales et les vexations qu’elles y commirent.Pendant que, dès le début des guerres de Lorraine, Saint-Dié et Raon tombaient, en 1633, aux mains du rhingraf Othon-Louis, Epinal était pris par le maréchal de Caumont-la-Force, qui s’y maintint jusqu’en 1635. En cette année, eut lieu le premier siège. Défendue énergiquement par Lamezan, la ville fut prise d’assaut par l’armée de Charles IV qui termina sa victoire en emportant la citadelle, et en taillant en pièces la garnison française.A la suite de ce fait d’armes qui produisit les premières ruines matérielles, la peste frappa de nouveau et la population, épouvantée, déserta la ville. La comptabilité d’Epinal n’existe plus pour les années 1635 et 1636, celle de l’hôpital apporte seule le témoignage d’une épouvantable désolation.Charles IV, ayant quitté la Lorraine pour porter la guerre, en 1636, en Franche-Comté, Epinal retomba aux mains des Français, qui y établirent pour gouverneur et commandant de place, monsieur de Juncet ou de Juncès, autrement dit La Jonchette. En 1637, survint la première occupation suédoise, alors ce fut l’oppression, l’exaction à jet continu, avec toutes les horreurs de la famine, et la difficulté inouïe de trouver des vivres à des prix exorbitants.Mais Charles IV reparut dans les Vosges en 1638. Le marquis de Ville fit lever le siège de Remiremont, et se présenta devant Epinal. Les portes de la ville lui furent ouvertes par un officier municipal. Après leur entrée dans Rualménil, les troupes lorraines, s’abritant avec des planches, entreprirent l’escalade du château, « par les barbacanes (meurtrières pratiquées dans le mur des forteresses), du côté du faubourg d’Ambrail ». La Jonchette, constatant qu’il ne pouvait lutter, dut se rendre le 19 août.Dès ce moment, Epinal resta aux Lorrains et bénéficia de la première neutralité négociée par l’abbesse de Remiremont, en prenant à sa charge l’entretien de 100 hommes de Lorraine sous le gouvernement de monsieur de Mitry.C’est alors qu’on mit une activité fébrile à réparer, avec les matériaux des nombreuse maisons vides d’habitants ou ruinées par les accidents de la guerre, les différentes brèches que les sièges précédents avaient faites dans les remparts et au château, à y accumuler des munitions que, de là, le duc faisait parvenir dans toutes les directions.Les années 1638 et 1639 virent les Cravates rôder aux environs d’Epinal. Dès le mois de mars 1639, on en trouvait aux environs de Mossoux, et ce fut à la fin de novembre, que 15 voleurs sortis de Jonvelle, vinrent à Chantraine, enlever des charrettes chargées de blé. En janvier 1640, les Loups de Jonvelle avaient encore dépouillé un marchand. La misère était affreuse. De plus, tant que la neutralité ne fut pas octroyée, la ville fut garnie des régiments de Le Poivre, Saint-Baslemont, Bornival, etc.Arriva le traité de Saint-Germain-en-Laye, où Charles IV, le 2 avril 1641, se laissa duper par Richelieu, comme il avait été dupé à Charmes en 1633. Mais le 28 avril, à Epinal, le duc signa devant notaire une protestation qui resta quelque temps secrète. Toutefois, Richelieu ne tarda pas à prendre ombrage de certaines démarches du duc de Lorraine, et bientôt, Du Hallier reçut de Paris l’ordre de recommencer les hostilités. La « petite paix » était finie.Dans les Vosges, ce fut un branle-bas général des troupes lorraines. Avec la disparition de la petite paix, la neutralité sombra. Bientôt, apparurent devant Epinal, les régiments de Du Hallier, et le 23 août, le canon battit les remparts et la citadelle. Le 25, la ville, défendue par les soldats du baron de Clinchamp, demanda à capituler. Il fallut subir les exigences du vainqueur, et même payer aux officiers de son artillerie 400 francs, « parce que le canon avait tiré ».Le siège avait été funeste à la ville et au château. Un certain nombre de maisons du faubourg d’Ambrail furent la proie des flammes, la toiture fut « grandement endommagée et rompue », au point qu’en 1644, monsieur de Montesson, gouverneur français d’Epinal dut faire construire un corps de garde, « et ce au sujet que les soldats ne savaient plus où se loger ni mettre à couvert, pour être ledit château sans aucun bâtiment ou logement, étant tout ruiné et n’ayant que les murailles autour d’icelui ». En 1642, après le siège, la ville n’avait plus que cent conduits et demi, environ cinq cents habitants.Dès 1641, ce fut l’occupation et les quartiers d’hiver, dans lesquels toute soldatesque fut la plaie d’Epinal. Les troupes de Turenne, de Magalotti, les Suédois d’Esme, Erlach, Kanofski, Roze, Schult, les soldats de Mazarin, La Ferté, Flekestin, Toubarre (Toubadel), vinrent successivement fouler la ville, opprimer les bourgeois, ravager les villages à plusieurs lieues à la ronde.Mais voici l’année 1650, et avec deux nouveaux sièges. Après avoir battu Roze Worms au bois de Xa, entre Vincey et Evaux, Philippe-Emmanuel comte de Lignéville-Tumejus, mit le siège devant Châtel, où il établit son quartier général, et il prescrivit au baron de Belrupt d’attaquer Epinal. Celui-ci campa à la cense de La Roche, et bientôt s’empara de la ville.Sous les ordres de monsieur de L’Espine, lieutenant de monsieur de Montesson, la garnison française débusquée, se réfugia au château. Ce fut le colonel L’Huillier (dit plus tard de Spitzemberg), aidé par les bourgeois d’Epinal, qui dirigea l’attaque de la forteresse. Après deux assauts énergiques, le château fut enlevé et la garnison faite prisonnière le 16 août 1650. Avec Epinal, Châtel, Mirecourt et Neufchâteau se rendirent aussi au comte de Lignéville.Pendant que le vaillant général menait sa campagne, il confia la garde d’Epinal à monsieur de Belrupt. Mais s’étant fait battre près de Saint-Mihiel, il dut se replier sur les Vosges, et commencement de décembre, les régiments de Verduisant, de Romécourt et de Silly, vinrent se joindre aux troupes du baron de Belrupt.Mis en goût par son succès de Saint-Mihiel, La Ferté accourut pour reprendre Epinal, mais monsieur de Belrupt, prévoyant ce retour offensif, n’avait pas perdu de temps. Il avait fait réparer les fortifications par ses soldats, et dès le mois de février 1651, avait consolidé le grand pont, afin d’avoir moyen de faire des sorties.Aussitôt qu’il fut en face d’Epinal, La Ferté battit les murailles à coups de canon. On lui répondit par une sortie qui resta sans effet. La canonnade ayant redoublé, bientôt une large brèche fut faite aux remparts. Toutefois, les assiégeants n’osèrent immédiatement tenter l’assaut. Ce que voyant, Belrupt et Romécourt détruisirent le grand pont et dirent à La Ferté que, si la brèche n’était pas assez large, eux-mêmes feraient abattre cinquante pas de muraille en plus pour lui donner moyen de pénétrer dans la ville.Piqués par cette bravade, les soldats français se précipitèrent à l’escalade, mais à coups de faux, les Spinaliens les repoussèrent et en firent grand carnage. La Ferté, découragé, leva le pied pour attaquer Neufchâteau, qu’il ne put réduire davantage. Au comble de l’exaspération, il écrasa les Lorrains de contributions de guerre plus lourdes que jamais et jura de prendre sa revanche sur Epinal et les autres villes reconquises par Lignéville. De fait, il revint avec une armée plus considérable, et assiégea Châtel qui, sur l’ordre de Charles IV, capitula le 2 septembre 1651, après quarante-trois jours de siège.Pendant ce temps, Remiremont, Bruyères et Arches avaient obtenu la neutralité et Epinal négociait pour y participer. Ce fut le baron d’Hagécourt, aide de camp de Charles IV, qui mena à bien cette entreprise. A la fin août, les Spinaliens, heureux d’avoir échappé à un nouveau siège, à toutes les angoisses et souffrances qui en résultent, faisaient « retirer tous les partys qui estaient aux champs après la neutralité faite ». En conséquence, la garnison lorraine, la cour souveraine alors à Epinal, monsieur de Belrupt le gouverneur, quittaient la ville, après avoir fait l’inventaire des munitions du château confiées au sieur de Franchebotte, commandant français « en iceluy ». Mais, comme conditions de la neutralité, Epinal dut faire raser les fortifications nouvelles, les palissades et les forts de la ville.Jusqu’au traité de Vincennes, Epinal n’aura plus qu’à subir les tracasseries de la garnison française qui lui a été imposée, qu’à payer de son mieux sa part des lourds impôts de Lorraine, qu’à tâcher de donner satisfaction aux multiples créanciers près desquels quantités d’argent ont été empruntées, pour faire face aux misères, rapines, exactions de vingt ans d’une épouvantable vie.Quand finalement les dernières fortifications et le château, tant de fois attaqués, tant de fois ébréchés, tant de fois défendus, viendront à crouler par la sape et la mine, Créqui aura passé pour niveler la Lorraine et balayer les dernières défenses des Vosges.Ce fut chose faite en 1671. Pour Epinal, on mit trois mois à cette besogne, et la ville dut payer 333 francs par mois aux démolisseurs, sans compter 60 francs à monsieur de Romain, qui surveilla les pionniers. De plus, elle paya 11 666 francs pour sa rançon, après avoir subi un dernier siège, que lui infligea, en septembre 1670, le maréchal de Créqui.On conçoit que ces troupes, sans cesse en mouvement autour d’Epinal, que ces différents sièges aient désolé, ruiné, écrasé, broyé, non seulement la ville, mais surtout les villages environnants.Les biens de la fondation Hurault pour les pauvres d’Epinal, furent perdus en ville, et à Girmont, Dogneville, Jeuxey, etc. Nombre de terrains restèrent introuvables, et presque toutes les maisons formèrent des monceaux de platras et de débris calcinés.Les archives d’Epinal nous montrent Fomerey, Golbey, encombrés de Suédois. Dès 1641, ces villages n’ont plus d’habitants. Dogneville compte deux conduits, Deyvillers et Girmont chacun un et demi, Thaon deux.En 1645, on ne pouvait trouver que deux charrues entières à Longchamp-Vaudéville et à Jeuxey, une seule à Girmont et aucune à Deyvillers. Dans toute la région, où se trouvait un certain nombre de papeteries, il n’y avait plus, en 1645, que celles des Grands-Moulins et de Grennevaux à Epinal, celles d’Arches et de Docelles.Quant au ban d’Uxegney, il était entièrement ravagé. Les forêts avaient été en pleins dégâts dès 1634 par le fait des garnisons d’Epinal, tant de Charles IV que de Louis XIII. Encore en 1665, il était impossible de faire la moindre coupe dans les forêts du ban d’Uxegney, parce que les bois avaient été totalement dégradés, tant par l’incendie qu’autrement. En 1651, il n’y avait plus qu’un seul habitant à Gigney, et depuis 1647, après le séjour des Suédois de Kanofski, Fomerey était entièrement désert. Dès 1647, il y avait à peine trois conduits dans tout le ban d’Uxegney.Au mois de septembre 1648, Gigney vit toutes ses maisons en flammes. L’année suivante, le château de Darnieulles servit de refuge aux gens de Bocquegney, qui abandonnèrent leur village et perdirent leurs biens, pendant que l’armée de France passait pour aller devant Epinal. Le curé d’Uriménil certifiait en 1653, qu’il n’y avait aucun habitant dans les hameaux du ban d’Uxegney « dont la plus grande partie a été brûlée et ruinée par les gens de guerre ». Le village lui-même, qui jadis comptait cinquante laboureurs, n’en avait plus que quatre en 1649. De 1635 à 1644, il fut complètement abandonné, et lorsque les survivants des désastres rentrèrent dans les ruines, ils étaient livrés à la dernière misère. D’où les terrains tombèrent en friches.
Dans le ban de Vaudicourt, on voit la même désolation. En 1653, « le restans des pauvres habitans » rappellent dans une supplique aus Dames de Remiremont, qu’avant les guerres, « ils estaient 260 et aujourd’huy ils sont reduictz tant hommes que vefves à 26, une partie qui mendient leurs vies, une autre qui gaigne à la sueur de leur corps et le petit nombre par louage de bestailz ».Si les sièges d’Epinal de 1650 et 1651 amenèrent ces résultats au ban de Vaudicourt, le dernier de 1670 ne lui fut pas moins désastreux. En 1710, Deyvillers n’avait retrouvé que 35 chefs de ménage, Dignonville 29, Dogneville 69, Golbey 23, Jeuxey 24, Longchamp 31, Vaudéville 5 et La Baffe 18.
Pour finir, parlons d’Arches.Depuis longtemps, il s’y trouvait deux localités bien distinctes. L’une, située sur un petit monticule, était siège prévôtal, s’était formée autour du donjon élevé au XIe siècle par le duc Thierry, avait été mise par Ferry III à la loi de Beaumont, avait ses privilèges et ses franchises, était ceinte de remparts et gardait ses allures aristocratiques : c’était la ville d’Arches. L’autre était le village d’Arches, assis dans la vallée, sur les voies romaines de Langres à Deneuvre et Bâle à Metz. Il remontait à une haute antiquité, et pour cela se nommait le Vieux-bourg.Dès l’année 1634, les moulins et battants étaient abandonnés à cause des incessants passages de troupes. En 1641, depuis longtemps, le receveur ne percevait plus rien pour le droit de passage. Le pont fut ruiné au commencement des guerres. En fin de compte, la ville fortifiée, le Vieux-bourg furent complètement désolés. A la fin du XVIIe siècle, tout cela formait encore un monceau de ruines. Avant les guerres, la ville avait 30 maisons. En 1585, on comptait 36 conduits dans le Vieux-bourg, et en 1652, il restait juste 3 conduits.« Est arrivé malheur, dit le receveur d’Arches, que les Suédois vindrent prendre quartiers d’hyver dans ladite prévosté, où ils demeurèrent jusques au mois de may de ladicte année 1644, ayant entièrement ruinez et pillés tous les lieux de ladicte prévosté ».La ville d’Arches n’est jamais sortie de ses ruines, elle doit entrer dans la liste des localités que la guerre de Trente Ans a rayées de la carte des Vosges. Seul, le Vieux-bourg s’est relevé pour former le village actuel d’Arches. En 1710, on y trouvait 27 foyers.Archettes, de l’autre côté de la Moselle, subit le sort d’Arches. Si en 1710, on y voit seulement 13 chefs de famille, c’est qu’en 1655, on n’y trouvait que 6 feux, alors qu’auparavant on en comptait 75. Or en 1645, les quelques pauvres ménages d’Archettes étaient à eux seuls astreints à fournir les fourrages à deux compagnies de la garnison d’Epinal.Somme toute, par les différents sièges d’Epinal, le canton entier et les villages limitrophes des autres cantons furent cruellement éprouvés et opprimés. Une ville forte détruite, une autre démantelée, la ruine et la dépopulation de tous côtés, tel est le bilan du canton d’Epinal à la date de 1670.
La guerre de Trente Ans dans l’arrondissement d’Epinal (1)GUERRE DE TRENTE ANS DANS LES VOSGES27 septembre 2010 - Par Au fil des mots et de l'histoire Extraits de la notice de l’abbé Idoux, publiée en 1911 et 1912,dans les Annales de la société d’émulation du département des Vosges.
Cantons de Bains et Xertigny (Bailliage d’Epinal)
Faut-il dire que les trois arrondissements de la plaine furent plus éprouvés que les deux de la montagne La peste faucha avec rage dans la plaine. La soldatesque, acharnée aux sièges multiples d’Epinal, Rambervillers, Châtel, Charmes, Mirecourt, Fontenoy, Darney, Châtillon, La Mothe, Neufchâteau, Jonvelle (Haute-Saône), se livra à toutes les abominations, à tous les brigandages. Bien que parfois assez étendues, les forêts de la plaine ne donnèrent pas de refuges aux paysans comme les profonds massifs boisés de la montagne.D’autre part, le sol était plus riche, les quelques récoltes en blé et en avoine qui s’y pouvaient faire étaient plus tôt pillées, parce qu’elles formaient une proie plus avantageuse que le sarrasin et le seigle des froides régions des Vosges. Enfin, le pays de la plaine, moins accidenté que celui de la montagne, était non seulement foulé par les marches normales des belligérants, mais encore sillonné par tous les petits détachements, par tous les maraudeurs et pillards.En revanche, d’après le dénombrement de 1710, nous constatons que pendant le demi-siècle qui suivit le traité de Vincennes, la population de la plaine se remonta plus vite que celle des pays de Saint-Dié, Remiremont et la Vôge.Enfin, remarquons immédiatement qu’il ne reste pas une seule place forte dans l’arrondissement d’Epinal. Tout a été rasé, sapé ou brûlé : Fontenoy-le-Château brûlé en 1635, Bruyères abattu en 1636, Rambervillers démantelé à la suite de différents sièges. Châtel et Epinal sautèrent finalement par les mines de Créqui. Canton de Bains.Les renseignements sont relativement peu nombreux pour donner quelque idée de la part que la Vôge eut aux malheurs de l’époque. Mais à défaut d’autres détails glanés ici et là, ce que l’on peut dire du sac de Fontenoy-le-château pourrait faire sentir que Fontenoy ne fut pas réduit au plus déplorable état, sans que les localités à quatre ou cinq lieues à la ronde, aient eu grandement à souffrir.D’autre part, les multiples assauts de Darney dans la même région, le voisinage de Jonvelle, qui fut pendant sept ans l’objectif des belligérants et dont les Cravates avaient fait leur quartier général, tout cela ne contribua pas à ménager la Vôge. Quant aux réquisitions et impositions de guerre, elle dut les subir comme toutes les prévôtés.Recueillons quelques données éparses.Le domaine que l’abbesse de Remiremont possédait à Bains et que l’on appelait Les Chazels, ne trouva plus de fermiers pendant les années antérieures à 1650. Aussi ces héritages tombèrent en une certaine confusion, et en 1715, on ne savait encore trop quelle était l’étendue primitive.En juin 1635, les régiments français de Clermont et de Gadlaer (?) étant logés à Bains, les paysans se sauvèrent dans les bois, avec ce qu’ils avaient pu emporter. Mais les soldats se mirent à traquer à travers les futaies pour piller les malheureux évadés. En second lieu, dans l’acte de 1643, nous sommes en présence des Suédois et de leurs pillages. Dans le doyenné de Bains, ils procédèrent comme dans la prévôté d’Arches. Partout, ce fut la ruine.Autrefois, il y avait un hôpital orné d’une chapelle, pour les pauvres étrangers venus à Bains faire une cure thermale. Cet établissement jouissait d’un certain revenu fondé sur nombre de propriétés foncières. Comme aux bains qu’elle avait transformés en mares, la guerre de Trente Ans fut fatale à l’hôpital et à sa chapelle.Dès le XIIIe siècle, le Chapitre de Remiremont avait moulin et battant sur le Bagnerot. Au XVe siècle, se fondèrent deux papeteries sur le même ruisseau. A ces établissements jusqu’alors prospères, le XVIIe siècle donna le coup de grâce. Ils furent incendiés. En 1657, ce n’était plus qu’un vulgaire chazal sans valeur, abandonné des anciens tenanciers, et le receveur des Grandes Aumônes de Remiremont procéda à un nouvel acensement des propriétés qui en dépendaient.Voyons où en arriva la population globale de Bains, Le Charmois et Les Voivres. Le plus ancien registre de l’état civil remonte à 1652. En cette année, on trouve deux naissances. 1653 n’en enregistre qu’une ! Pour les années suivantes, on va de trois à huit. Les années 1662 à 1664 n’en ont point. 1665 en marque une seule, et les deux années suivantes ont un vide complet. 1668 revient à une, 1669 à six et 1670 à trois. De 1671 à 1710, les chiffres passent par toutes les fluctuations possibles de sept à vingt-trois. Enfin, la natalité jusqu’à 1810 suit une marche ascendante régulière. En 1710, il y avait 48 ménages.Ici encore, nous pouvons remarquer que la population fut horriblement fauchée de 1633 à 1646, puisque 20 à 25 ans plus tard, ne se pouvaient former les jeunes ménages capables de repeupler le pays (seulement 46 baptêmes de 1653 à 1670).Alors faut-il être surpris que les terres se soient transformées en halliers, dont les gens de Bains, au début du XVIIIe siècle, firent des lots qu’ils se partagèrent, en les tirant au sort, pour opérer des défrichements ? Le vocable Notre-Dame de la Brosse n’est pas sans nous dire que les broussailles arrivèrent jusqu’aux portes de Bains. Car le lieu où, au XVIIIe siècle, fut bâtie la chapelle de la Brosse, était un de ces cantons que le sort attribua à un paysan du lieu. Il n’avait pas encore essarté tout son lot lorsque, au milieu de la brousse, il édifia un modeste oratoire à la Sainte Vierge.Passons maintenant à la localité voisine. En 1710, les deux Fontenoy, qui formaient la capitale du comté de Fontenoy-le-Château, comptaient déjà 212 habitants imposables. Et cependant, la peste, le fer et le feu, tous les fléaux s’abattirent sur cette petite place forte, posée en avant-garde sur les frontières de la Franche-Comté. On y retrouve toutes les horreurs que l’on rencontre dans toute ville prise d’assaut par des troupes enragées.Jusqu’à la fin de 1634, Fontenoy-le-Château, qui ne formait qu’une communauté avec Fontenoy-la-Côte, ne vit pas les envahisseurs, mais fut différentes fois un lieu de garnison pour les troupes lorraines. Il y eut particulièrement, en 1633, les régiments de Lenoncourt et de Charey.La ville fut ensuite réquisitionnée par les gens de guerre de la garnison, tantôt française, tantôt lorraine, d’Epinal. Mais en 1634, commencèrent les jours sombres de la bourgade. Quelle était la petite troupe lorraine qui y était enfermée ? Toujours est-il que Turenne arriva faire un siège à coups de canon, et finit par emporter la place, dans laquelle il mit en garnison un détachement des terribles troupes de Weimar.Mais Charles IV qui, en 1635, venait de faire son camp du Dropt, ne voulut pas laisser ses soldats inoccupés.Après avoir chargé Jean de Werth de reprendre Remiremont, il confia au baron de Sousse de reconquérir Fontenoy. En conséquence, celui-ci se présenta devant les remparts et se mit en devoir de faire un siège. C’était au commencement d’août. La garnison suédoise, se voyant alors serrée de près et prévoyant l’impossibilité de soutenir le choc des assaillants, prit un parti désespéré : elle mit le feu aux quatre coins de la ville. L’église, le prieuré, les halles, les maisons, le château, à peu près tout disparut dans les flammes. Quand le baron de Sousse entra dans Fontenoy pour y conquérir quinze drapeaux d’infanterie ennemie, il n’avança qu’à travers des ruines fumantes.La misère fut telle que la population qui, en 1623, donnait une somme de 80 naissances, n’entra plus en ligne de compte. Les registres sont fréquemment interrompus de 1635 à 1639. Quand ils sont repris régulièrement de 1640 à 1650, c’est pour n’accuser une moyenne annuelle de 30 baptêmes, puis pour offrir de nouvelles lacunes de 1650 à 1653. Et la raison ? « Nous avons dû quitter la ville à cause des vexations des soldats et des privations causées par la guerre dans les années 1650 et 1651 ». Cette fois encore, la natalité fléchit d’une façon terrible, on trouve à peine 12 naissances en 1665, c’est-à-dire quatorze ans après la campagne du comte de Lignéville. Il faut arriver à 1685 pour rencontrer 38 naissances. Et jadis Fontenoy possédait 2600 habitants !Les gens rescapés de l’incendie se sont réfugiés dans les forêts pendant l’hiver pour y vivre sous l’étreinte des plus dures privations. C’est à cette fuite des habitants que l’on doit l’existence du hameau actuel des Baraques. Pour se procurer un abri, ils élevèrent à la hâte des huttes, dont quelques unes continuèrent à être habitées, puis furent améliorées, pour finalement être transformées en maisons par les descendants des malheureux, qui n’eurent ni le courage, ni le moyen de relever les ruines de Fontenoy.Au mois d’août 1636, ce qui restait de Fontenoy fut occupé par 1 200 cavaliers de Weimar, qui pénetrèrent en Franche-Comté et brûlèrent non loin de là Amblévillers. De nouveau, il faut demander aux fourrés, une sécurité que n’offrent plus les remparts démolis, contre la rapacité et la cruauté des hordes barbares. Il faut alors disputer aux animaux sauvages la nourriture que l’on peut trouver dans les bois.Surviennent les années 1637 à 1640. Cette fois, ce sont les troupes lorraines qui accablent le pays. En 1639, des hommes de la terre et de la prévôté de Fontenoy furent mis à contribution par Catherine de Lorraine pour monter la garde au château d’Epinal. (Du mois d’août 1639 au mois de mai 1640, la ville et château de Fontenoy furent commandés par le capitaine Hunette).Or, nous savons que les soldats de Charles IV n’étaient pas plus tendres que les soudards de Richelieu. Les habitants de la cité en ruines et ceux des villages environnants furent tellement opprimés qu’ils poussèrent vers le duc de Lorraine un cri de détresse qui fut entendu. Le souverain défendit, sous peine de punition exemplaire, qu’il « fût logé, enlevé, pillé, fourragé, ni pris aucun timons, chevaulx, bestials, fourage ou autre chose quelconque par ses gens de guerre, dans les dites ville, faubourgs et villages ».Après la petite paix, apparaissent les réquisitions écrasantes des Suédois inondant les Vosges, le va-et-vient des troupes françaises avant et après le siège de La Mothe, les exactions prescrites pour les quartiers d’hiver d’Epinal.Comment les habitants de Fontenoy vont-ils suffire au milieu des décombres qu’ils sont impuissants à déblayer ? C’est contre eux la course, la razzia, l’enlèvement manu militari de leurs biens, de leurs officiers municipaux, pour se voir imposer 72 rations et demi pour une compagnie en 1646, et à loger une garnison suédoise. C’est après ces calamités que survinrent les occupations de 1650 et 1651, qu’il fallut fuir de nouveau devant les brigandages des soldats de La Ferté.Ce fut la dernière secousse que subirent les bourgeois de Fontenoy. Ils eurent bien leur part encore des impôts dont La Ferté écrasa la Lorraine. Toutefois, ils purent respirer et chercher à relever les ruines.Mais ce qui ne fut jamais relevé, ce fut la citadelle, ce furent les remparts. Fontenoy-le-Château resta démantelé et Fontenoy-la-Côte ne réoccupa plus son ancien emplacement. Encore la population, malgré son énergie, ne put-elle sortir vite de ses décombres. Le dénombrement de 1710, tout en inscrivant 212 chefs de famille (environ 900 habitants), nous dit : « Fontenoy-le-Chastel où il y a un château qui n’est pas en meilleur état que la ville ». Or, le château était en démolition !Avant les guerres, Fontenoy était le centre des transactions commerciales importantes entre la Lorraine et la Bourgogne, mais les ravages des Suédois et l’anéantissement de la ville, interrompirent pour de longues années l’ancienne activité, et les foires ne furent rétablies qu’en 1698 par le duc Léopold. Il va sans dire que la banlieue de Fontenoy fut dévastée sur une vaste étendue.Pour achever ce qui serait à dire du canton de Bains, nous devrions jeter un coup d’œil aux villages, mais comme la plupart relevait de la seigneurie franc-comtoise de Vauvillers, ou étaient terres de surséance, partant ne furent attachés à la Lorraine que par les traités de 1704 et 1718, les archives de Meurthe-et-Moselle ou des Vosges, ne fournissent aucune donnée propre au XVIIe siècle. Après ce que l’on vient de dire de Bains et de Fontenoy, force est de constater que cette partie de la Vôge ne fut guère épargnée.
Canton de XertignyDans le canton de Xertigny, nous ne sommes plus en présence des horreurs de Fontenoy, mais on rencontre toujours les calamités de l’époque.Le hameau de La Rue-Xertigny est un centre très peuplé, il fut détruit par les Suédois, et ravagé par la peste. S’il faut en croire la tradition, il ne resta qu’un homme et une femme qui, ayant contracté mariage, reformèrent la base d’une population nouvelle. Quoi qu’il en soit, on a retrouvé au Champ du Potet, des tombes et des croix, indiquant, pense-t-on, le cimetière des pestiférés.Par les registres baptistaires, on peut voir que la paroisse de Hadol fut fortement entamée à partir de 1635. Lorsqu’en 1632, on trouve 28 naissances, 29 l’année suivante et 21 en 1634, on n’en rencontre plus que 13 en 1635, pour tomber à 2 en 1636, à 3 en 1637, à 5 en 1638, à 2 en 1639 et 5 en 1640. De 1641 à 1650, elles oscillent de 10 à 19, mais en 1651, il n’y en a plus qu’une. En 1652, c’est le vide complet, puis il y en a une l’année suivante, et 3 en 1654.Il est certain que le canton de Xertigny fut sillonné par les Suédois, qui foulèrent en tous sens les régions d’alentour de 1634 à 1649, et même on en trouve encore à une époque où les pays voisins n’en voyaient plus. En 1652, alors qu’Epinal, Arches, Bruyères et Remiremont jouissaient de la neutralité du 5 mars 1651, les Suédois rodaient encore à Xertigny et les « lieux circonvoisins ».La contrée fut d’autant plus écrasée par les réquisitions qu’elle était plus proche des quartiers d’Epinal. Pour y échapper, les paysans s’ingéniaient à cacher le peu de bétail qui leur restait, mais les limiers spinaliens étaient en campagne pour le découvrir et le razzier. C’est ainsi que le bétail de Hadol fut caché à la ferme Cléron-Pierre, près de Senade, et fut éventré par un traître. Quarante cavaliers partirent pour le saisir. Si parfois les argousiers ne faisaient pas les rafles au gré de leurs désirs, ils s’emparaient des paysans incapables de payer les contributions désordonnées des intendants de France, et les jetaient aux fers. Témoin cette équipée où, en 1659, un parti d’Epinal emmena prisonniers à Fontenoy-le-Château les gens de la « terre de l’Alœuf et autres contribuables qui étaient délayants à payer leurs contributions ».Dès l’année 1638, toute la contrée est ravagée, c’est du moins ce qu’exposent les habitants de Hadol, dans une requête à laquelle, le 15 décembre, le duc de Lorraine fit droit. Alors qu’ils étaient soumis à la banalité du moulin de Giroménil, en temps de paix, ils avaient, disent-ils, chevaux, bœufs et autres commodités pour conduire leurs grains sans craindre les soldats. Mais en 1638, le moulin de Giroménil étant détruit depuis plus de deux ans, ils n’avaient plus de bœufs pour mener à un moulin banal, le peu de grains qu’il leur restait. D’autre part, ils ne pouvaient s’éloigner de leurs demeures sans risquer de tout perdre « pour raison de courses continuelles et pilleries des soldatz ». En conséquence, afin de moudre un peu de grains sans enfreindre la banalité, ils sollicitaient la permission de faire « moudre où ils pourront mieulx et de pouvoir faire ériger moulins en quelz lieux plus propres à leur commodité ».Ces courses de pillards aboutirent à des ruines. A Buzegney et à La Houssière (Hadol), se trouvaient des ermitages qui, en 1710, n’étaient pas encore relevés. De plus, La Houssière était un lieu considérable, si l’on en croit la tradition que des découvertes sont venues confirmer. Quand fut détruit ce hameau ? Il est difficile de le dire et rien ne prouve qu’il faille en attribuer la dévastation aux Suédois.Après le siège d’Epinal, qui fut un heureux coup de main du marquis de Ville en 1638, Uzemain et Uriménil furent occupés jusqu’au milieu de septembre par le régiment lorrain du colonel Tanière. L’année suivante, ce furent les troupes du baron de Clinchamp qui vécurent sur Uzemain. Partout, ce fut la pillerie. Et cependant, pour être protégés, ces villages payaient un droit de garde. On le réclamait encore en 1643 et 1644 à Dounoux, Uriménil et Moyenpal. Enfin, les localités du Ban d’Uxegney participèrent à tous les malheurs dont le ban fut victime. On verra les calamités que les différents sièges d’Epinal attirèrent sur la grande banlieue.Voyons maintenant où en était la population cinquante ans après la désolation. Nous sommes toujours en face de chiffres d’une trop sinistre éloquence, pour ne pas voir que la mort frappa à coups redoublés, et que le pays vide d’habitants, se releva péniblement.Le dénombrement de 1710 compte à Hadol 26 ménages, à Guménil 9, à Gérauménil 14. Dounoux en possède 28, Uriménil 40 et Safframénil 12. A Uzemain, le hameau de Méloménil avait 15 feux, et celui de Thiélouze 20. Xertigny n’inscrivait que 52 chefs de famille, Amerey 26, Moyenpal 20 et Razey 17. On trouve à la même époque 33 foyers à La Chapelle-aux-Bois, 6 à Hautdomprey, 19 à Hardémont, 20 à La Forêt et 22 à Grémifontaine. L’état de la population de Charmois-l’Orgueilleux n’a pas été trouvé, mais on voit 12 feux à Nobémont et 18 à Reblangotte. Enfin Le Clerjus, qui comme Amerey et La Chapelle, formait la Terre de l’Alœuf, possédait seulement 57 ménages.Quand on connaît l’énorme étendue du canton de Xertigny, on est vraiment stupéfait de voir, combien peu de ménages, il possédait douze après le retour de Léopold. Pas même cinq cents ! Chiffre insignifiant qui fournit à peine le double de la population que Fontenoy-le-Château, pourtant si éprouvé, avait reconquise.
Guerre de Trente Ans dans les VosgesLes ravages de la guerre de Trente Ans dans les Vosges (2)GUERRE DE TRENTE ANS DANS LES VOSGES2 août 2012 - Par Au fil des mots et de l'histoire
Extraits de la notice de l’abbé Idoux, publiée en 1911 et 1912,dans les Annales de la société d’émulation du département des Vosges.
De tous les fléaux, la peste fut le premier qui vint apporter la désolation dans le pays. C’était la peste orientale. A la faveur des guerres dont la Hongrie ne cessait d’être le théâtre, elle avait fait irruption en Allemagne et s’était glissée sur nos frontières. Elle s’y était montrée dès 1610, nous la trouverons même à cette époque à Rambervillers.Les précautions prises ne permirent pas au fléau de se propager, mais le mouvement des troupes au début de la guerre de Trente Ans, le firent réapparaître. En 1623, les villages des environs de Verdun étaient infestés. En 1625, la peste causait de grands ravages à Metz. On reprit en Lorraine l’édit de 1610 (Édit du 8 novembre 1610, promulgué par le duc Henri II, prohibant sous peine de la vie, de se rendre dans les lieux où le mal s’était déclaré, soit en Lorraine, soit ailleurs), et l’on ajouta d’autres mesures énergiques.Peut-être auraient-elles suffi à éloigner le fléau, si les années suivantes n’avaient pas été des temps de disette. La misère du peuple prépara le terrain à la contagion. Aussi la vit-on en 1629 à Pont-à-Mousson, et à Nancy dès le 3 avril 1630, pour y reparaître en 1631. Elle se répandit rapidement dans les campagnes, où les mesures sanitaires ne purent se prendre comme dans les villes et les bourgs, et où l’hygiène laissait peut-être à désirer. Dès la fin de 1631, elle avait envahi plusieurs centaines de villages.En 1629, la peste exerça ses ravages dans les Vosges. Les archives municipales de Rambervillers, Charmes, Epinal, Mirecourt nous la montre dans toute sa laideur de 1630 à 1637.La peste de 1610 sévit à Rambervillers. Tous les « molestés par contagion » furent ainsi expulsés de la ville, abandonnés ou à peu près. La municipalité leur fournit les vivres qu’on leur tendait, dit-on, au bout d’une perche. Combien de temps dura le fléau, quel fut le nombre des victimes ? Rien ne l’indique, mais la peste reparut à Rambervillers en 1631 et y fit de cruels ravages. Les années suivantes, le fléau reparut. En 1635, après la prise de la ville par Charles IV, on voit au compte une dépense pour « l’enlèvement des corps morts qui gisaient dedans et dehors la ville, pour le nettoiement d’une maison où se trouvaient dix-sept corps morts ». En 1637, la peste causa une telle désolation, qu’il devient impossible de constituer au complet le corps des officiers municipaux.A l’autre bout du département, à Lamarche, on se trouve en présence d’un état de choses aussi lamentable. « De temps immémorial, par une très bonne et louable coutume, la ville de Lamarche, ses faubourgs et Oreille-Maison ont été régis, gouvernés et administrés par quatre prud’hommes, vulgairement appelés féaultiers. Mais en 1658, il n’est plus possible de nommer lesdits quatre féaultiers. Par suite du malheur des guerres qui règnent depuis 1631, et des pestes et de la famine qui ont ruiné et décimé le nombre des habitants, la ville de Lamarche, qui renfermait en 1631, trois cent soixante feux, se trouve réduite en 1658 à quarante feux ».A Rambervillers, de 532 conduits soit environ 2650 personnes, que comptait la ville avant 1635, elle ne renferma plus que 80 conduits, 400 âmes, et encore tellement dénués, qu’il était impossible de faire rentrer les impôts ordinaires. C’est la situation que les administrateurs exposaient en 1643, à l’évêque de Metz, leur seigneur. Avec les années, elle ne s’améliora guère, puisqu’un recensement de 1675, ne donna à la ville que 262 habitants imposables, encore faut-il compter dans ce nombre 22 veuves, 3 filles et 29 soldats.Avant de gagner Charmes, jetons un coup d’œil sur la Haute-Meurthe. Là aussi, aux ravages de la guerre, vinrent se joindre de la peste et de la famine. Dès 1636, la famine fit sentir ses rigueurs dans le Val-de-Galilée, mais ce fut en 1640 que la peste fit son apparition dans le ban de Fraize. Elle y moissonna d’une façon terrible. Clefcy et Plainfaing, déjà dépeuplés par les assassinats des Suédois, ne comptèrent plus que quelques habitants. De toute la population des Aulnes de Fraize, trois vieilles filles seules furent, dit-on, épargnées par la mort. En 1642, les comptes de la prévôté de Saint-Dié et Raon, dans laquelle se trouve le Ban de Fraize, ne porte plus que 200 contribuables.Aux sources de la Moselotte, à La Bresse, vers 1637, la peste dépeupla le village entier et n’y laissa qu’une seule famille.A Charmes, les comptes de la ville pour 1636, nous apprennent que la peste fit son apparition en 1629. Elle frappa d’abord un grand nombre d’enfants, puis gagna les grandes personnes et s’abattit bientôt sur les villages d’alentour. « Les cadavres restaient jusqu’à quinze jours sans sépulture, en état de putréfaction. On ne trouvait plus à les faire ensevelir ».Le fléau reparut en 1631 et d’après une requête des habitants de Charmes au duc Charles IV, en date du 11 décembre, on constate que du 10 juillet au 20 novembre, la peste enleva 133 personnes de tout âge, malgré le dévouement des médecins et de trois religieux capucins.L’année 1633 revit la terrible maladie, mais ce n’est pas sans un cruel serrement au cœur qu’on jette les yeux sur l’état-civil de 1635. Toutes les horreurs fondirent sur la ville où, deux ans auparavant, Charles IV s’était vu infliger par le machiavélisme de Richelieu les humiliations du traité de Charmes. Pendant que la peste faisait rage, survenaient les abominations réservées à une ville prise d’assaut. En octobre, furent inhumées 128 grandes personnes et 61 enfants. En novembre, 108 habitants, non compris les enfants (parmi lesquels la mortalité fut toujours effrayante), passèrent de vie à trépas, les uns victimes de l’assaut de la ville, livré par les Suédois de Gassion le 22 novembre 1635, les autres, victimes de la peste. Ce n’est qu’en novembre 1636 que la contagion disparut. D’ailleurs, que lui restait-il à atteindre ?Comme à Rambervillers, les officiers publics de Charmes firent construire des loges d’isolement. Dès qu’une personne était contaminée, elle était enlevée sur une voiture, les habitants de la maison étaient enfermés avec défense de sortir et de recevoir de la visite. Pour tous les décès des pestiférés, on lit que les malheureux étaient inhumés au bois ou au bord de l’eau.Charmes, écrasé par la peste, la famine, les calamités des sièges et des assauts, la barbarie d’une soldatesque sauvage et l’oppression des lourds impôts de guerre, fut presque entièrement dépeuplé. Après la première occupation française, c’est-à-dire après le traité de Vincennes en 1661, la ville était réduite à dix-huit conduits et demi, à peu près cent habitants, on le constate par le rôle des imposables de 1662 !Remontons la Moselle, et faisons une courte halte à Châtel, nous y trouverons un spectacle non moins lamentable. Ce fut au mois de janvier 1630, que la peste se montra dans les environs. Aussitôt, défense fut signifiée aux paysans des villages d’entrer dans les murs pour n’importe quelle cause. Mais les précautions prises n’empêchèrent pas l’arrivée du fléau. Quelles en furent les victimes ? Il est à croire qu’elles furent nombreuses, car on lit aux archives de Nancy, que la « contagion » a tellement régné à Epinal, Charmes, Châtel-sur-Moselle, Rambervillers et villages voisins, que la libre fréquentation en a été interdite.Châtel revit le fléau en 1632, et c’est à dix huit cent mètres de la ville, près de l’ermitage Saint-Marin, dans la direction de Moriville, que l’on enterra les pestiférés. Mais ce fut surtout en 1635 que la maladie sévit avec rage. Soit à Châtel, soit dans les villages du bailliage, le désastre fut effrayant. L’agglomération des troupes dans l’intérieur des remparts, leurs allées et venues dans les environs, contribuèrent à développer et à propager les germes du mal. Les troupes françaises en garnison dans la citadelle, furent les premières contaminées. Dès le mois d’avril, il fallut aménager des huttes en dehors des remparts, à l’extrémité du grand pont. Mais bientôt, la maladie se répandit en ville. Vainement, le gouverneur redoubla de précautions, fit évacuer et désinfecter les maisons visitées par la contagion, ordonna aux « defforains » de quitter Châtel, où l’accumulation des étrangers venus pour chercher protection, fournissait un aliment trop bien préparé aux principes du mal. Bientôt, les vivants ne suffirent plus à enterrer les morts. On acheta un cheval et une charrette pour enlever pêle mêle les cadavres. Quiconque paraissait avoir les germes de la contagion, était aussitôt relégué hors des murs et mis en quarantaine. Aucune inhumation ne passa plus par l’église, qui fut plusieurs fois désinfectée.La désolation fut non moins grande dans les environs, soit par la peste, soit par la famine, soit par la cruauté des soudards qui étaient à la remorque de la France. Vaxoncourt, Moriville, les Verrières d’Onzaine furent entièrement dépeuplés. Hadigny, qui comptait 52 conduits, n’avait plus que son maire et trois veuves. Les onze maisons du « petit seigneuriage » étaient complètement vides. Le receveur de Châtel, parcourant les villages de son ressort, trouva les maisons incendiées, éboulées, abandonnées. Dans celles qui restaient debout, il ne rencontra que les cadavres des malheureux propriétaires tombés victimes du terrible fléau ou du fer des Suédois.Remontons jusqu’à Epinal. Dès l’an 1629, la ville a dépensé 5300 francs « pendant le temps de la contagion pour la nourriture fournie aux bourgeois malades placés dans les loges, pour le nettoyage des maisons infectées, et pour le vin donné aux servantes de la maison de ville qui passaient toutes les nuits à veiller à la sortie des pestiférés. Le fléau reparut en 1632, de nouveau les malades furent parqués aux loges.L’année 1636 fut celle qui couvrit la ville d’un immense voile de deuil. Pendant cinq mois, on n’enregistra aucune naissance et Epinal fut totalement abandonné. Si le compte municipal fait défaut pour cette année, en revanche, celui de l’hôpital existe et à chaque article des recettes, on trouve les annotations suivantes du receveur : mort – tous morts – mort et cautions aussi – maisons abandonnées, démolies, etc… Voici quelques détails sinistres fournis par le rôle de 1637 : « Jean Favelin, contre-forestier, est chargé de soigner les pauvres malades et de les conduire hors de la ville. Maurice Thallès est chargé de nettoyer les maisons déshabitées aux faubourgs d’Arches et d’Ambrail, qui étaient pleines d’infections, vilénies et ordures ». Le même document rapporte que les logements des portiers de la ville ont été pour la plupart bouchés parce que les portiers sont morts.Les maisons n’étaient pas seulement « déshabitées » aux faubourgs d’Arches et d’Ambrail, il y avait aussi des maisons vides au Petit-Rualménil. Comme les maisons délaissées pouvaient être un refuge pour les gens sans aveu et surtout des foyers d’infection, la ville fit démolir celles de la porte d’Arches et du faubourg d’Ambrail et l’on abattit celles qui étaient au Grands-moulins, pour en employer les bois aux palissades à faire sur les fortifications.Constatons en passant, qu’au Val-d’Ajol, dans le cours de l’année 1636, la peste enleva plus de cinq cents personnes, sans compter les enfants. On ne se donnait plus la peine de conduire les morts au cimetière, ils étaient enterrés où l’on pouvait, dans les sections éparses de cette immense paroisse. Au hameau de Clairegoutte, de la paroisse actuelle du Girmont-Val d’Ajol, tous les membres d’une même famille, au nombre de dix-sept, furent enlevés par le fléau. Un jeune homme seul resta.Si le fléau fit son apparition à Charmes et Epinal en 1629, rien n’indique qu’il ait sévi à Mirecourt à cette date, bien qu’il fut arrivé jusqu’aux portes de la ville. Il est vrai que les gouverneurs étaient en éveil. L’entrée de Mirecourt était absolument interdite aux étrangers. On trouve en effet une dépense au compte de 1629 « pour les gardiens des portes de la ville, pendant le temps où la contagion régnait à Epinal, Ville-sur-Illon, Valleroy-aux-Saules, Biécourt, Bettegney, Gorhey et Hennecourt.Mais en 1631, le fléau franchit les portes de Mirecourt. La maladie fait irruption dès le mois de juillet. Aussitôt, le conseil de ville construisit des loges au Petit Jardinel. En cette année, il y eu une dépense de 7298 francs pour la nourriture et l’inhumation des pestiférés.A Mirecourt, comme à Epinal et à Charmes, les Capucins soignèrent les malades évacués sur les loges.En face du fléau, les commissaires de santé et l’apothicaire, prirent toutes les mesures hygiéniques possibles, même par la force et la répression (Un particulier qui était allé à Remicourt, où régnait la contagion, fut mis au fond de la fosse de la Tour des Halles, pendant six jours, au pain et à l’eau). Le 8 août, ils traitèrent avec le chirurgien, et lui octroyèrent, pour soigner les malades, 60 francs par mois, plus un logement au Petit Jardinel. Enfin, un règlement de police interdit aux bourgeois, de faire sortir aucun meuble, de quitter la ville pour résider ailleurs et de visiter les malades. Du 22 août au 11 décembre, à cause de la peste, les assemblées municipales furent suspendues.A peine était-on remis des cruelles émotions de 1631, que la contagion reparut à Mirecourt. Le conseil de ville conféra à son mayeur, assisté des commisaires de santé, les pouvoirs les plus étendus pour veiller à l’hygiène publique. Le 5 août, survint une ordonnance de police prescrivant, sous peine d’amende de 50 francs, à tous bourgeois de faire la déclaration des malades dans les plus brefs délais. Aussitôt, la ville acheta un cheval et un tombereau, pour conduire les morts hors de l’enceinte et les transporter au bois des Petits Jardinels.Le 7 décembre, la peste avait disparu de Mirecourt depuis plus de quarante jours. Mais ce n’était là qu’une accalmie au milieu de la tempête, chaque année suivante vit des cas isolés assez nombreux jusqu’à la recrudescence de 1636. Dès le dernier mois de 1635, l’épidémie repris à Mirecourt avec une nouvelle intensité. Les gouverneurs eurent hâte de reconstruire des loges (les autres avaient été démolies en 1633) et de rééditer toutes les mesures d’hygiène décrétées en 1631 et 1632.Comme à cette époque, les guerres de Lorraine battaient leur plein, une foule de campagnards étaient venus chercher abri et protection dans les murs de la ville. Cette agglomération, ici comme à Châtel, offrait un aliment naturel aux ravages de la contagion. Émus de cet état de chose qui devenait un danger public, les gouverneurs édictèrent une mesure radicale d’une impitoyable rigueur. Le 2 avril 1636, « publication fut faite, au son du tambour, d’un ordre par lequel il était enjoint à tous les pauvres et les étrangers de sortir de la ville dans les 24 heures, sous peine d’être chassés par force ; les portiers ne devaient laisser entrer personne, sous peine de prison ». Camprémy qui, à titre de bailli, administrait Mirecourt au nom de Louis XIII, sanctionna de la peine du fouet, l’ordre des gouverneurs. La raison de ces rigueurs est formellement exprimée, c’est « l’augmentation de la maladie régnante ».Les villages environnant Mirecourt furent affreusement ravagés. Une requête de 1637 nous apprend qu’à Mattaincourt, Villers, Haréville et Hymont, tous les propriétaires moururent de la peste, que tout commerce fut interrompu par la contagion régnant à Mirecourt et dans les villages voisins, et que les courses et excursions de guerre empêchèrent la tenue des foires et marchés. Plus tard, Haréville fut repeuplé par des étrangers qui vinrent occuper les maisons abandonnées. A Houécourt, on parqua les pestiférés en dehors du village, en un lieu qui porte encore le nom de « Sauveuil ».Cette fois, Mirecourt fut réduite à une population de moins d’un quart de ce qu’elle était auparavant, et le peu qui restait était complètement ruiné. Comme à Rambervillers et à Lamarche, le nombre de bourgeois fut tellement réduit, qu’il devint fort difficile de composer le conseil de ville.Nous pourrions poursuivre ce coup d’œil général sur la désolation causée par la peste. Nous verrions que les régions de Saint-Dié, Remiremont, Neufchâteau furent décimées d’une égale sorte. Cueillons simplement quelques faits au passage. En 1632, il fallut réduire la ferme du coupel, ou droit sur les halles de Raon-l’Etape à cause de la contagion qui avait régné sur plusieurs villages. En 1633, elle était au château de Spitzemberg, et en 1643-1645, Raon était une ville déserte, où ne se tenait plus aucun marché. Les fermiers du domaine, dans l’office de Saint-Dié, étaient décédés, les héritages domaniaux abandonnés et en friches. Le Ban de Clefcy était dépeuplé. Dans la sénéchaussée de Remiremont, il en était de même. Le compte des domaines de Lorraine pour 1635 mentionne la peste à Neufchâteau, elle y fit de tels ravages que les fours bannaux restèrent à peu près sans emploi.Mais à quoi bon nous étendre davantage sur cette épouvantable calamité qui, de 1629 à 1640, causa tant de deuils ? Si encore les Vosges n’avaient eu à subir que cet horrible fléau qui semait partout la terreur et la mort ! Mais la guerre, l’abominable guerre, l’atroce famine, furent pour les survivants de la peste, choses plus affreuses que la plus hideuse contagion.