Yquem 1921, Yquem 1945, Yquem 1967... la dégustation magique du salon Arvinis 2009.

Mon métier m'envoie sur Paris ce samedi là, mais il n' y a aucun train qui puisse me permettre d'être en Suisse le lendemain dimanche pour 11 H. Or je ne louperai pour rien au monde cette dégustation, car elle est mon unique chance de pouvoir boire les plus grands Yquem du 20e siècle. Je décide donc de faire les 1000 Km aller retour Lyon- Paris dans la journée. A 2H30 je suis couché et à 8H je me sens frais et dispo pour aller goûter le fameux 1921 ! Je suis persuadé que ça sera la seule fois de ma vie que je le boirai...

 Ma femme est un ange , car c'est elle qui fait le taxi pour me permettre de ne pas recracher ces vins ; Je ne me sens pas capable d'un tel sacrilège. Alors elle se dévoue pour m' éviter de perdre mon permis sur la route ou à la frontière ou ailleurs ! C'est donc détendu que j'arrive à Morges pour le moment tant attendu.

Dans le salon privé, je distingue immédiatement les bouchons alignés sur une nappe blanche immaculée. Ils sont tous là. Je fonce sur le 1921 : Il sent bon et c'est bien une mise château. Idem pour le 1945. Je sens que les efforts de la veille ne seront pas vains et vont même bientôt me sembler naturels. 10 minutes plus tard, Dominique Fornage amène les vins. J'ai lus tous ses articles, mais je le découvre pour la 1ère fois. Son air jovial m'inspire confiance.

 Les bouteilles sont dans un état incroyable ! Même le 1921 est bas goulot. J'ai déjà les larmes aux yeux. Personne ne semble se connaître parmi les 13 privilégiés. Quel bonheur donc d'être avec un ami pour pouvoir partager ma joie et les émotions qui vont nous envahir. Libe semble être lui aussi ailleurs...

En route pour un voyage extraordinaire. Je suis conscient que des milliers de personnes rêveraient d'être à ma place, alors je profite en pensant à mes proches. Merci.

CHÂTEAU YQUEM 1976

C'est la 3éme fois que je goûte ce vin. Cette fois est sans aucun doute la meilleure. Le service et la température sont parfaits, ouf ! Il offre un nez très ouvert de coing, d'amande et de meringue avec une touche de cognac et d'anis à l'aération. Il semble être à maturité libérant des arômes  d'humus, de truffe et d'orange confite. On peut commencer à le boire avec plaisir, mais le long vieillissement lui apportera cette complexité sans équivalent. 96/100

CHÂTEAU YQUEM 1975

C'est la deuxième fois que je le bois. Il est toujours aussi sublime ! Pour tous les millésimes suivants, ça sera une première ... Ici la couleur est plus soutenue que le précédent. Le nez est d'une pureté sublime de parquet ciré, de mandarine confite et de noix de coco. Il sera d'ailleurs le seul a présenter cet arôme de façon aussi nette. La bouche est plus massive et surtout plus rôtie. Le caramel au lait, l'orange amère, le bois vanillé, et la pêche crémeuse  sont envahissants. La finale minérale termine le voyage en beauté. Pour ceux qui veulent boire Yquem, c'est celui que je conseillerais pour sa perfection , son prix encore accessible pour une folie d'une fois, et surtout sa maturité. Les 1988, 89 et 90 sont trop primaires actuellement et peinent encore à justifier pleinement leurs prix. 98+/100

CHÂTEAU YQUEM 1971

C'est un millésime un peu oublié en liquoreux qui a pourtant donné des merveilles ; J'en attendais donc beaucoup. Le nez me paraît moins net et précis que celui de ses cadets. Une touche d'hydrocarbures, puis un boisé plus humide lui donne un air moins séducteur. En bouche une sensation acidulée innonde immédiatement le palais, conférant à ce liquoreux un cachet fort intéressant. Le milieu de bouche est un peu monolithique sur le coing, mais le vin revient bien en finale. 94/100

CHÂTEAU YQUEM 1970

Le nez est cette fois clairement plus grossier. Mais c'est un peu couper les cheveux en quatre, car l'empreinte Yquem de bois vanillé et de miel est bien présente. Je suis obligé de tenir compte du contexte ! Une touche de "vieux" me dérange un peu. Il faut le boire... L'alcool légérement brûlant masque la belle palette finale. 90/100

CHÂTEAU YQUEM 1967

Le nez se présente un peu fermé. Patience ! Après 15 minutes , il se décide enfin et arrive même en fanfare. Le raisin de corynthe, la confiserie orientale ; On imagine sans peine les fruits d'été et exotiques séchés au soleil sur de la paille. Libe a écrit la même chose, c'est fou ! Il virevolte sur la mirabelle, le coing et l'abricot avec une touche de rose qui nous arrête en Alsace. La bouche est d'une onctuosité parfaite et rappelle l'orange sanguine enduite de caramel brun, tandis que la finale de safran laisse une marque indélébile plusieurs dizaines de secondes. Il est à la hauteur de toutes les louanges qui lui sont adressées. Une légende et peut être le plus grand Yquem du 20éme siècle lorsqu'il sera à maturité ! 99+/100

CHÂTEAU YQUEM 1966

Le nez est enthousiasmant grâce à ses parfums de cointreau, d'oeufs en neige et de cuiraço. La bouche m'évoque un peu plus du passerillage. Le couple acide-amer tranche nettement avec le précédent et semble plus agressif. Plus il s'aère et plus il s'améliore. Sa personnalité est intéressante. 92/100

CHÂTEAU YQUEM  1955

Broadbent classe ce millésime dans les années marquantes pour les liquoreux...Je suis excité. Cinquante ans est souvent la limite pour un vin : Il y a ceux qui entament leur déclin et ceux qui se transforment ; La chenille devient papillon et là, on part dans les étoiles. Contre toute attente, on est ici dans le 1er cas de figure. Le nez marque son âge avec du vieux fût et de l'humus. Le sirop d'érable, l'eucalyptus et la vanille bourbon sont pourtant là ! La bouche est un sucre candy liquide et la finale minérale semble presque désaltérante. A l'air il sèche malheureusement un peu et perd donc naturellement 1 point. 94/100

CHÂTEAU YQUEM 1950

Le nez hyper puissant m'évoque le pétrole et le plastique chaud. Puis viennent le caramel brûlé et le citron confit épicé. La bouche est un modèle de préservation. La pêche alcoolisée, l'orange amère, le sucre candy avec une salinité en finale  qui lui permet de tenir sans problème son rang. Je pense que c'est un vin sujet à débat: Il aura ses fans mais aussi ses détracteurs. Un cachet étonnant. De retour chez moi , j'ai découvert que Bettane l'avait adoré lors du marathon 1784- 1991. C'est idiot mais ça me rassure ! 95/100

CHÂTEAU YQUEM 1948

Le nez paraît plus infusé dans l'eau. J'ai l'impression de sentir un vieux graves très mûr ou peut être un Pavillon Blanc dans le style du 1937. La tourbe mariée aux agrumes. La bouche est un peu maigre et donc moins intéressante, mais elle s' équilibre tout de même vite sur le coing, la cire et l'abricot. Là encore il s'améliore à l'air et taquine le 1955. A noter que certains vins de cette série gagneraient probablement 1 ou 2 points en fin d'un repas classique. 93/100

CHÂTEAU YQUEM 1945 ( Bouchon d'origine)

Fredy Vifian de Tan Dihn m'avait montré sa bouteille en m'expliquant que c'était lui le maître et qu'il surpassait le 1921 et 1937. Broadbent pense la même chose depuis quelques temps. Le nez est d'une perfection sans pareil; Il est devenu papillon ! Le nougat, une hypothétique "mandarine amour", l'ananas rôti, la pêche enrobée de miel de sapin, et les épices de la route des Indes. La bouche est une douceur extatique, presque aphrodisiaque. On perçoit la mirabelle et la pomme qui auraient accroché au fond d'une gamelle caramélisée, puis la tatin d'abricots, l'anis, le pain d'épices et le thé noir. On y est ! Il est plus puissant que le 1921 , mais on verra plus loin que ce dernier offre une décoction de parfums plus aboutie. Si je ne devais en racheter qu'un, ça serait sans doute celui-ci... 100/100

CHÂTEAU YQUEM 1925

Le nez vieillissant est encore debout, mais un peu brûlé-iodé. En bouche, le sucre est toujours là, mais il a l'amertume d'un caramel raté et le quinquina annonce une fin toute proche. 87/100

CHÂTEAU YQUEM 1921 ( Bouchon d'origine)

Je peux vous avouer que je tremble comme une feuille. Des centaines de choses tournent dans ma tête ; Pourvu qu'il ne soit pas bouchonné, puis l'espoir que la conservation soit idéale....tant qu'à faire puisque je ne le boirais certainement qu'une fois, autant que la perfection soit au rendez vous. A mon palais elle y est ! Il faudrait demander à Dominique Fornage qui l'a bu 10 fois ce qu'il en pense par rapport aux précédentes...

 C'est le plus sombre, le plus mat de la série. Comme pour le 1967, le nez est un peu en retrait au départ. Il n'est pas aussi jaillissant que le 1945. Mais rapidement des arômes entêtants arrivent comme une grosse cavalerie qui me rappelle Arche Crème de tête 1906. La dragée, le sirop d'orgeat, le café , la fève de cacao puis le thé. La bouche est une douce liqueur d'une finesse totalement inattendue. On dirait le 1945 ayant acquis la sagesse et la sérénité d'une vie entière. La sucrosité est pourtant massive , mais je ne sais pas comment il réussit ce tour de force, on croirait boire une dentelle. La tourbe, l'abricot et la pêche trempés dans le caramel salé, l'after eight, l'orangette, le cuir et surtout ce safran, véritable touche made in Yquem. Dernier cadeau : Une magique décoction d'érable , de hêtre et de pêche en finale. Le plus abouti, un peu plus "intellectuel" que le 1945. Une fois je préfère ce dernier , puis l'instant d'après c'est le 1921.... Quelle chance de les avoir bu aussi parfait ! 100/100

 Par contre je précise que certains liquoreux tels Arche 1906, ou Château de Fesles "Chapelle" 1947 m'ont plus immédiatement bousculé. Les Yquem sont bizarres, on leur donne 100/100 en se disant qu'ils ne seront que 3éme ou 4éme de notre palmarès, puis avec les jours on se demande si finalement on a déjà eu une telle complexité en liquoreux. Pour ceux qui se posent des questions encore plus pointues, je dirais que Yquem 1921 ou 1945 ne m'auront pas donné autant de sensations presque surnaturelles que Petrus 1961, Cheval Blanc 1947 ou Clos des Lambrays 1937...cela peut aider à faire un choix, si une fois et une seule, on veut casser sa tirelire !

CHÂTEAU YQUEM 1920

Puisqu'il fallait que cela arrive , je préfère que le destin choisisse ce moment ! Il est bouchonné ! On perçoit tout de même derrière ce masque une belle sucrosité et une conservation intacte. Très rageant !  NN

 Pour accompagner un magnifique buffet, Dominique Fornage nous offre un rouge intéressant :

CHÂTEAU TALBOT 1975 Jeroboam

Nez superbe de cuir, de chocolat, d'herbes grillées et de cassis. En bouche il est un peu sec avec les tanins rugueux du millésime, dommage. 89/100

Dominque Fornage a bien voulu que j' emporte un peu d'Yquem 1921 dans mon verre pour que ma femme partage avec moi ce moment d'exception ; Elle le mérite bien , non?

Quelle journée hors du temps ! Il va me falloir des mois pour m'en remettre. La vie doit pourtant reprendre son cours et ce soir, dans quelques heures donc, nous fêtons les médailles des champions. Quel incroyable week end !

Voici les photos avec toutes ces bouteilles de légende ; Remarquez sur la dernière image les 3 verres avec le 1967, 1945 et 1921...Une palette colorée de peintre !