Palmer 1928, Petrus 1975, Climens 1928,  Musigny blanc 1992 : Ma grande dégustation de 2009.

Chaque année, j'essaie d'organiser une grande dégustation avec ma famille et mes amis proches. C'est un immense travail de réflexion et une recherche acharnée pour servir des vins rares, le plus souvent dans un état sanitaire irréprochable. Pour cette manifestation, il y a malheureusement eu quelques désistements de dernière minute ; J'ai donc modifié un peu le programme et allégé la quantité de vins prévus. Mais contre toute attente, ce changement précipité m'a fait sortir des vins auxquels je n'avais pas pensé au départ et qui pourtant, se révélèrent d'une classe incroyable. A 12 H 15 le repas est prêt et nous ouvrons les festivités.

PERRIER JOUET 1955

C'est peut être le plus grand millésime du siècle en Champagne. Malheureusement, au delà de 50 ans, la conservation devient plus aléatoire. Ici l'exemple est frappant, car la bouteille est parfaite : Niveau, couleur, mais pourtant il est mort. NN

DOM PERIGNON 1969

Comme la cuvée "Oenothèque" 1962, cette année 1969 est dans une forme éblouissante. Le cordon est intense et nerveux, comme celui d'un Champagne des années quatre-vingts. Le nez offre des arômes d'anis, de noisette et de brioche ; Il est encore bien trop jeune. En bouche, on est exactement dans le même esprit que Bollinger 1969 : Minéralité foudroyante et agrumes tranchants. On est au plus proche du terroir. La finale de craie et de levure de bière ajoute encore de la finesse à ce Champagne aérien. Certains lui reprochent un léger manque de corps, tandis que les autres adorent sa subtilité. 95/100

BILLECART SALMON N.F 1971

Les Billecart Salmon anciens ont quasiment disparu du marché. Je suis donc fier de servir cette cuvée NF sur un millésime à pleine maturité. N'oublions pas que le même vin sur le millésime 1959 a été couronné plus grand Champagne du XXème siècle. Cette fois, le nez, au sommet de sa gloire est bien plus puissant. On note des parfums de cacao, d'amande amère, de cannelle et de réglisse. La bouche est une vraie pâtisserie arabe, nappée de miel et de citron confit. Le milieu de bouche est piquant et acidulé comme certains vins de Loire. La finale d'écorce d'orange est magnifique ! 95/100

MUSIGNY Blanc 1992 Vogüé

Cela fait longtemps que je rêvais de goûter cette rarissime cuvée. Après deux heures de carafe, le vin est glorieux ! Comme me le fait remarquer Libe, la table s'agite dans tous les sens ; C'est un signe ! Le vin est grand, très grand. Le nez explose sur l'anis, le fenouil, l'ananas, la mirabelle, le tout nuancé d'une subtile touche de pétrole. La bouche ne ressemble à rien de connu. A l'aveugle, tout le monde est perdu sauf Luc qui lance avec audace : "Côtes de Nuit blanc". Bravo ! L'attaque de fruits pochés et d'herbes fraîches est d'une vinosité incroyable, mais le vin n'est jamais lourd car, subitement, il devient minéral et nous donne l'impression de manger des silex ! Le mariage avec la recette de pétoncles à la crème de truffe et pistache est sensationnel. Un monument de cette année mythique. 98+/100

CHABLIS Montée de Tonnerre 1976 Raveneau

Lorsqu'un vin est grand, il l'est dès l'ouverture. Celui-ci ne déroge pas à la règle. A peine le bouchon enlevé, je sens qu'il va frôler la perfection en accompagnement du plat de langoustines qui est maintenant servi. Le nez est un feu d'artifice : Caoutchouc, pneu, herbes de Provence, agrumes confits et mangue. L'attaque en bouche est l'une des plus exotiques que je n'ai jamais eu en Chardonnay. On a l'impression d'être sur un marché de l'île Bourbon. Le milieu de bouche, lui aussi légendaire, picote la langue comme les bonbons de notre enfance. Le final revient dans le registre massif et entêtant du caramel et du chocolat. Décidément, cette année 1976 a donné des Chardonnay totalement extravagants. Mon plus grand Chablis, au dessus des mythiques vieux "Clos" du même Raveneau ou Dauvissat. 99/100

CLOS VOUGEOT 1928 Confuron

La couleur brune n'est pas très rassurante. Le nez de cacao et de fruits rouges est intéressant mais la bouche, acide et tranchante, est presque insupportable. Dommage, car ce vin rare, dans une année qui l'est tout autant, sortait directement du Domaine et avait un niveau parfait. NN

CHÂTEAU PALMER 1928

La bouteille est magnifique, avec un niveau LB et un bouchon qui n'est pas totalement imbibé. Le nez, impeccable, délivre des parfums de cuir patiné, de menthol et de petites fraises des bois arrosées d'un nappage au chocolat. La bouche ne présente pas la moindre trace d'acidité. Le tannin est lourd et granuleux comme celui d'un 1945. La fraîcheur de l'eucalyptus associée au café et aux fruits noirs donnent un ensemble réjouissant. On sent que c'est un vin qui a vécu, mais c'est l'un des plus grands 1928 que j'ai bu. Je précise que ce millésime est souvent grand, mais en aucun cas aussi légendaire que la littérature le laisse imaginer. Il n'est pas tout à fait accompli et ne le sera certainement jamais. Curieusement, il souffre du défaut que l'on a pu reprocher à l'année 1945 par le passé : il ne s'est jamais complètement ouvert. Ironie du sort, l'année 1945, elle, est parfaite. 96/100

VOSNE ROMANEE Les Beaumonts 1947 Noëllat

Luc m'a provoqué il y a deux semaines avec une Romanée Saint Vivant 1945 d'une incroyable perfection. Je lui réponds donc ce soir avec cette bouteille. Le nez, somptueux, est un pot pourri de fraises des bois, d'épices orientales, de tabac et de roses. La bouche est joyeuse, déclinant des arômes de cacao, de café, de violette et de fruits rouges. L'alcool est colossal, mais pourtant le vin reste fin et digeste. C'est inexplicable !  C'est d'autant plus surprenant que la couleur du vin est claire, presque inquiétante. La finale offre une note de gibier "sucré" unique. Le plus grand Vosne de tous les temps ! 99/100

CHÂTEAU HAUT-BRION 1955

Le nez envoûtant est une décoction de réglisse, de graphite, de mine de crayon et de fourrure. Son élégance est digne d'un grand Lafite. La bouche est une dentelle mais la complexité est telle qu'il ne souffre pas derrière le Noëllat 1947. On note, tour à tour, de la fumée, des petits fruits rouges, de la mûre, de la quetsche et des herbes grillées. Je persiste et signe, 1955 est actuellement une année supérieure à la légendaire 1959. Pour moi les trois plus grands Haut Brion de l'histoire sont, dans l'ordre, 1945, 1961 et celui-ci. 98/100

CHÂTEAU PETRUS 1975

Au petit matin, après avoir ouvert ce vin de légende, j'ai décidé que 2 heures de carafe seraient nécessaire à son accomplissement.

Le nez diabolique est un festival de cassis, de caramel au lait, de mûre et de chocolat. La bouche est d'une puissance à tomber de sa chaise. La menthe, la réglisse, le cappuccino, et les baies écrasent les papilles, tandis que le tanin fougueux ne nous lâche pas. A l'aveugle plusieurs personnes s'écrient " quel monument ! 100/100 ! " . Bref c'est un peu mon cheval de bataille actuel... Encore une fois Petrus arrive à justifier sa côte folle à l'aveugle et face à d'autres vins légendaires. L'étiquette n'est pas encore découverte, mais pourtant tout le monde voit en ce cru le seigneur de la soirée. C'est un diamant brut auquel le temps apportera un éclat unique. A attendre 20 ans encore pour ressentir la même émotion que le 1961 m'avait procuré. 98+/100

POMMARD RUGIENS 1978 De Montille

Le nez sublime jaillit du verre, offrant des odeurs de grenadine, de fruits rouges, de fleurs et d'herbes humides. La bouche est un ton en dessous à cause d'une acidité trop prononcée. Est il encore trop jeune ? Difficile à dire. Quoiqu'il en soit, c'est un grand Pommard, et finalement, ça ne court pas les rues. La finale de groseilles et d'airelles laisse une belle impression de légèreté. 93+/100

CHÂTEAU LA GAFFELIERE 1950

Cette fois encore le niveau est parfait : Bas goulot. Il lui a fallu 6 heures et un passage en carafe d'un quart d'heure pour s'ouvrir.

Pour certains, c'est le deuxième immense vin du jour. Pour ma part, je le trouve un peu trop austère pour rivaliser avec la grosse artillerie précédente. Le nez noble et complexe offre une belle palette aromatique de cuir, de menthe, de fraise, de gibier et de cèdre. La bouche encore jeune, est presque austère. La réglisse, le cacao et la mûre sont pourtant là pour nous rappeler qu'avec un peu de patience, le masque de l'austérité tombe enfin pour nous révéler un autre bel exemple de ce millésime incroyable. 95/100

Y d'Yquem 1962

J'ai envie de tenter ce vin sur le fromage. Je garde un souvenir exceptionnel du 1971, mais celui-ci ne sera que bon. Le nez est superbe, évoquant l'amande amère, le miel, la cire et la truffe. La bouche est un peu trop amère pour être réellement passionnante. Certains convives sont persuadés qu'il a eu du sucre résiduel à un moment de sa vie, et que la digestion a enlevé une grande partie de la complexité. C'est une explication, mais je crois surtout que ce grand vin sec du Sauternais n'a jamais été, avec ce 1962, le meilleur exemple du domaine, quoiqu'en dise Broadbent. 91/100

Avant le vin de dessert, je tiens quand même à servir un vin rare que je n'ai pas jugé digne des autres lors de l'ouverture quelques heures plus tôt. J'avais en effet décidé de le remplacer par Haut Brion 1955. Je me dis que sa rareté et sa notoriété immense outre Rhin vaut la peine qu'on se force un peu pour le goûter ...

RIOJA MARQUES DE RISCAL RESERVA 1925

Il a obtenu la très convoitée note de 97/100 en Allemagne. Les critiques le classent comme l'un des 3 plus grands Rioja de tous les temps. Malheureusement le nez de vieux porto, de quinquina et de menthol peine à être enthousiasmant. La bouche buvable,  est en réanimation sans espoir de retour. NN

CHÂTEAU CLIMENS 1928

Je me suis battu contre le propriétaire du château en salle des ventes pour obtenir ce flacon légendaire. Le niveau est bas goulot, et la couleur acajou est à se damner. Le nez est à la pointe de sa maturité, il ne peut pas être plus beau. Des parfums d'oeufs en neige, d'abricots confits, de miel de sapin et de bougie tournoient dans le verre comme le tutu d'une danseuse d'opéra. La sucrosité est bien présente, mais délicate et sensuelle comme une caresse. L'orange amère, le caramel brun, les fruits secs nous laissent entrevoir un avenir sans fin pour ce Climens. Il ne madérisera jamais ...  Par contre le 1947 reste intouchable. 97/100

Comme toujours, l'assemblée réclament des bulles pour finir. Mes amis veulent du "jeune". J'ai envie de voir ce que la critique a dans le ventre. Je choisis donc le seul Champagne jeune qui a obtenu un 96-98/100 dans le dernier guide de Juhlin. C'est un petit producteur encore inconnu et j'avoue être curieux de découvrir ce nouveau génie de la Champagne.

CHAMPAGNE Apôtre 2004 David Léclapart

Le champagne est carafé 10 minutes. Je sers le vin, mais suis obligé de m'absenter quelques minutes. A mon retour, je me rends compte que les convives sont déchaînés. Le champagne se fait littéralement étriller ! Je leur explique ce qu'en pense notre ami Suédois et là le déchaînement vire à la "fureur" . Certains pensent que Juhlin a forcément goûté un échantillon préparé pour lui. Pour eux ce champagne peine à égaler un brut basique que savent faire la majorité des propriétaires.

Le nez de pomme et de noisette est assez simple, tandis que la bouche est acide et minérale, mais sans réelle complexité. Ce que je dis est mal interprété, car je soumets juste l'idée que notre compétence n'est peut être pas suffisante pour appréhender correctement ce vin et comprendre son potentiel... On me rit au nez ! Et je le comprends, car il est rare qu'un futur grand vin soit aussi monolithique et simple. J'entends même des choses assez drôles " Le nouveau Selosse en pire ! ".... A revoir un jour... Il me reste un 2002. 87/100

Je suis heureux car la plupart des vins étaient intacts, et certains touchaient même au divin. De plus les discussions tardives, m'ont permis de constater que je n'avais pas surestimés "mes enfants" dans mes commentaires et ma notation. La douzaine de convive présente avait en gros les mêmes notes que moi. Et l'anecdote du dernier champagne ne fait que mettre en relief l'amitié qui nous lie tous. Les amis sont là pour encenser les grands vins, mais là également pour oser dire quand c'est décevant. Il n' y a pas de place pour la complaisance ! Vivement l'an prochain...