Volnay Clos Des Chênes 1885 : Un Graal pour la Cène du XXIème siècle

François Audouze me fait un cadeau qui n'a pas de prix : Participer à l'un des dîners les prestigieux au monde. Les plus grands vignerons et propriétaires de la planète sont réunis en privé autour de deux des plus grands collectionneurs de vins de tous les temps. Bipin Desai, l'hôte, est entouré de 12 apôtres. Mais cette fois l'histoire sera différente puisque je serai le 14ème, conjurant ainsi le mauvais oeil qui pourrait ternir cette Cène du  troisième millénaire. Après une introduction éprouvante, je commence enfin à me détendre et profite pleinement de chaque instant.

Faisant suite à Bipin Desai, François nous fait un laïus d'anthologie et demande la permission pour ouvrir un trésor qui sort tout juste de La Tour d'Argent. Comme il le souligne malicieusement, nous ne sommes pas de bons amis : Nous le poussons sans vergogne à ouvrir cette incroyable rareté... Une page de l'histoire s'écrit et je suis là. Merci.

POL ROGER Winston Churchill 1990 Magnum

Quoi de mieux pour ouvrir le bal ? Des arômes mûrs d'acacia, et de fleurs d'oranger envahissent le verre. La bouche est crémeuse, évoquant la prune agrémentée d'une touche raffinée de fruits exotiques. Il semble déjà prêt à être bu avec un immense plaisir. 94/100

SALON 1985 Magnum

Le premier nez est moins séducteur, mais l'air lui donne un cachet exceptionnel. Les parfums de chèvrefeuille, de fougère et de fumée subtile sont un pur délice. En bouche il tranche comme une lame avec la fougue d'un jeune Mustang. Les agrumes, le foin ainsi qu'une note douce de malt envahissent le palais comme une marée montante. Laissons lui du temps, car il est porteur d'une superbe promesse. 95+/100

MOET & CHANDON  Grand Vintage Collection 1952

C'est la fameuse cuvée tant vantée par Richard Juhlin. Le nez explosif de charbon, de grillé et d'agrumes très mûrs est malheureusement pollué par une note de liège. La bouche très profonde est un vrai sirop de sureau et de clémentine avec un gaz subtil mais bien là. C'est l'un des champagnes les plus personnel et gourmand que j'ai pu boire. Au delà du côté quelque peu défectueux, le message est lisible comme une eau de roche. C'est bien la première fois de ma vie que je n'ai aucun mal à faire abstraction du liège... 93/100 ( sans pollution, je pense qu'il pourrait prétendre à 97/100 )

DOM PERIGNON Oenothèque 1975

Le nez plus discret,  possède néanmoins la classe indéniable de son terroir. On perçoit des nuances de paille, de fleurs et de silex. En bouche il est délicat et bien plus civilisé que la plupart des 75. La craie et l'écorce lui donne une belle précision, mais le boisé est un peu trop marqué pour me faire chavirer. 92/100

BATARD MONTRACHET 1930 Fleurot Larose

François prend quelques précautions en présentant ce vin comme une curiosité. Mais dès qu'il arrive dans mon verre, je sais que ce Chardonnay est grand, bien plus qu'un simple témoignage. Des odeurs ravissantes de thé vert, de racine, et d'iode lui donne un air sympathique de pavillon Blanc 1937. Les champignons et l'humus marquent l'âge du vin, sans le desservir une seule seconde. La bouche, parfaitement préservée, offre une belle déclinaison de zeste, d'écorce, de bergamote avec une touche de bouillon de viande. La minéralité lui confère une classe folle en finale. Aucune acidité, beaucoup de plaisir et de cachet  ! Que peut-on lui reprocher ? 94/100

CORTON CHARLEMAGNE Bonneau Du Martray 1982 Magnum

Un millésime un peu oublié en blanc, qui m'a pourtant procuré quelques belles émotions avec un Montrachet Lafon ou encore une Montée de Tonnerre Raveneau. Je suis donc très excité en plongeant mon nez dans le verre. Il lui faut un peu d'air pour s'exprimer pleinement, mais au bout de trente minutes, il trouve sa vitesse de croisière. Le pétrole, les fruits exotiques et la verveine nous comptent combien ce terroir est immense. La bouche est au sommet de sa trajectoire grâce à ses parfums de guimauve, de clairière humide, d'agrumes confits et de pierre à feu. L'acidité est parfaitement dosée, conférant à ce Corton un équilibre irréprochable. 94/100

MONTRACHET 1989 Bouchard P&F

Ce vin reste dans ma mémoire comme l'un des Montrachet les plus prometteurs du siècle. Je le retrouve ici un peu moins accompli, mais toujours porteur du message solaire de l'année. Le nez d'amande, de miel crémeux, de chêne grillé me donne envie de me précipiter sur la bouche. Elle est puissante, épicée à souhait, avec un registre confit qui pèse sur les papilles comme un sac de plomb. S'il évolue comme les 59 du domaine, il risque de faire parler de lui un bon moment ! 95+/100

CHÂTEAU MALARTIC LAGRAVIERE 1947

Le nez élégant d'anis, de cuir noble, de cèdre et de cassis me fait plus penser à un 1953 qu'à un 1947... La bouche est d'une fraîcheur impressionnante grâce aux parfums de menthe, et d'eucalyptus qui ouvrent le bal. La suite signe une maturité parfaite, cette fois plus tertiaire, de gibier, et de baies confites. L'acidité légère  donne à l'ensemble un côté aérien qui pourrait me pousser à finir, seul, la bouteille... Un terroir qui mérite décidément beaucoup mieux que ce que la critique en dit habituellement. 1961 était une dentelle, celui-ci est une gourmandise, tandis que 1916 est un chef d'oeuvre ! 95/100

CLOS DE TART 1985

Le nez sort comme un bouquet de roses, de violettes et de fruits rouges épicés. La suite m'impressionne un peu moins du fait de son manque de corps en milieu de bouche. Toujours fidèle au terroir, elle décline pourtant à merveille la ronce, la groseille et la roche. Une belle surprise ! 93/100

LA ROMANEE 1988 Liger Belair

Le nez timide de fourrure, de mûre et de cuir vient péniblement à nos narines, même après une longue aération. La bouche ne me séduit pas du tout : La trame acide et le goût de rafle signent un vin rustique et dur. S'ouvrira t'il un jour ? 87/100

RICHEBOURG 1946 DRC Magnum

Je suis bien sûr ému de boire ce vin apporté par Aubert de Villaine en personne, mais l'émotion est encore plus intense en saisissant mon verre : C'est la première fois que je goûte l'année de naissance de mes chers parents. S'il fallait n'en boire qu'un, gageons que ce serait celui-ci  !

Le nez impressionnant de framboises, de truffe, de pleurotes, et d'épices est un beau manège aromatique. La bouche, en forme, ne trahit pas un seul instant l'âge du vin. On note tour à tour des parfums de ronces, de groseilles, de terre, et d'herbes humides. Seule l'amertume finale l'empêche d'approcher les sommets. Un grand vin, dans une année plus que modeste. Bravo. 94/100

VOLNAY CLOS DES CHÊNES 1885 Café Anglais

La mythique mise du Café Anglais tant célébrée par Allen Meadows ! La seule, semble t'il, qui puisse donner autant d'émotions que les vieux Bouchard... Je ne tiens plus en place. Je vois que François est très préoccupé par le niveau du vin. Il insiste longtemps sur l'importance de ne pas juger trop sévèrement le liquide. Il faut le prendre pour ce qu'il est : Un témoignage unique d'une époque révolue. La couleur est presque dépigmentée : Rouille et pelure d'oignons... Je me dis qu'il risque de ressembler plutôt à un vinaigre qu'à un vin. N'y tenant plus, je me lance tel un aventurier dans une grotte encore inexplorée.

Le nez jaillit du verre. Je retiens à peine un WOWWW ! Des parfums de truffe, de café torréfié, de petite fraises des bois, de gibier et de caramel beurre salé imprègnent nos narines comme des peintures rupestres. L'aération donne une complexité sans limites à ce bouquet : Essence de rose, cendre et pruneaux. Dans ces moments là, une peur primale, inconsciente, de l'ordre de celle qui pousse le nourrisson à pleurer, à douter qu'il mangera assez pour survivre, vous paralyse un instant. " Et si la bouche n'était plus qu'une ossature ?". Le nez est tellement parfait que si la bouche ne suit pas, tout s'écroulera comme un château de carte.

Un aventurier arrive toujours à vaincre sa peur !

La bouche est un flot de fruits, réduit à sa plus simple expression ; Dépouillé du superflu, d'une pureté monastique, ce vin est devenu un jus. C'est la première fois que je bois un vin rouge totalement salé à l'attaque, minéral, presque rocailleux, qui se transforme ensuite en pur nectar de fruits noirs et rouges. Quel cachet ! Je me demande si c'est cela un vin rouge préphylloxérique ? Comme s'il lisait mes pensées, Aubert de Villaine ajoute : "Ce vin est forcément préphylloxérique pour avoir un telle pureté. On sent qu'il ne peut pas mourir !". Mon voisin ne sait pas comment le juger. Il m'explique qu'il n'a aucune référence pour l'aborder. Il ne connais pas ces parfums et ne sait donc pas s'il l'aime ou non... Je comprends fort bien ce point de vue. Personne n'a de références, et pourtant c'est une illumination. Finalement n'est-ce pas cela le Graal ? 100/100

CHÂTEAU RAYAS 1990

François m'avait demandé d'amener un Rhône. J'ai donc naturellement sélectionné ce vin mythique pour accompagner les ténors de la soirée. Je le laisse quelques minutes dans le verre, le temps de reprendre mes esprits.

Le nez hallucinant de bonbons anglais, de violette, de cendre, de fruits très compotés et de bâton de réglisse tourbillonne dans le verre comme un ouragan. Mon voisin me lance " Quel nez !". C'est vrai qu'il est très largement supérieur à celui de la bouteille que j'ai bue l'an dernier au restaurant.

La bouche est d'une colossale puissance, offrant des arômes de mûres, d'anis, de chocolat, de griottes, d'airelles et même de pastis. Un monument, d'une jeunesse frustrante, qui régalera nos petits enfants.

Nous sommes tous des disciples en quête d'une phrase, d'une pensée, qui pourrait guider notre route. Au moment où l'on s'y attend le moins, le maître Aubert nous fixe Olivier et moi même et lance " Avec le 1885, nous avions l'esprit, avec Rayas nous avons la chair". Celle-ci, il ne fallait pas la louper ! Nous l'avions attendu toute la soirée...

Certains convives ont moins apprécié ce vin que nous... Peut être que l'absence de plat l'a un peu desservi. En tous les cas, c'est de loin le plus grand que j'ai bu sur mes trois expériences. 97+/100

KRUG COLLECTION 1976 Magnum

Je suis au comble du bonheur : C'est le deuxième hommage de la soirée. Le premier était ce magnifique Richebourg 1946, tandis que ce Champagne est de mon année de naissance. Olivier est ravi de me voir aussi excité.

Le nez fabuleux explose comme une bombe sur la tarte tatin, la poire fraîche, le maracuja et le pain d'épices. La bouche gorgée de soleil, est l'une des plus exotique que je n'ai jamais bue. La bulle est parfaite, apparaissant subtile et intense en même temps. Je ne sais pas si l'effet magnum est responsable de cette féerie, mais, quoiqu'il en soit, ce 1976 s'affirme ce soir comme l'un des plus beaux exemples de Krug, supérieur à mon sens, à des légendes telles que le 1961 ou 1979. Seul le 1966 reste intouchable. 97/100

CHÂTEAU DE FARGUES 1990

Alexandre de Lur Saluces nous raconte avec passion la naissance de cette année mythique. C'est le plus petit rendement depuis le 1893. Cette année faite par la météo, a donné un vin superbe, aux effluves d'amande amère, de fruits secs, et d'écorce. La bouche offre une liqueur de rêve, évoquant le miel, les agrumes confits, les pruneaux et autres dattes Medjoul. Il est bien trop jeune encore, mais il me semble impératif d'en posséder dans sa cave. 93+/100

CHÂTEAU LAFAURIE PEYRAGUEY 1945

Je continue l'exploration de ce magnifique Sauternes. Après 1921, 1929, voici cette autre année incroyable pour l'appellation. La couleur d'un bel or profond est très engageante. Le nez est dans la continuité parfaite du précédent grâce à de nobles parfums de bazar Egyptien, et de fruits jaunes confits. La bouche est une dentelle de miel crémeux et de biscuits orientaux. Il me manque juste le rôti et la  puissance qu'offrait son lointain ancêtre de 1929. 94/100

Je crois qu'il sera bien difficile de revenir sur terre, car ce dîner était en quelque sorte l'accomplissement dont rêve tout passionné. Pourtant il faut que la vie continue. J'ai ce soir, une pensée pour le sportif qui devient champion Olympique ! J'imagine qu'au bout de quelques jours, on finit par comprendre que même lorsque l'émotion est à son comble, on retrouve toujours la soif inépuisable de la connaissance. La quête n'aura jamais de fin...