Traminer 1947 Beyer, le plus grand de tous !

Je pars rejoindre mon frère et sa famille en Alsace, et j'avoue que ces instants en compagnie de mon âme soeur, je les attends encore plus impatiemment, qu'un enfant attend le père noël.

J'ai pris dans mes bagages quelques munitions pour le week-end : Trotanoy 1970 et un Champagne de son année.

Nous attaquons dès le midi avec un vin que mon frère a ouvert depuis 2 heures.

CHÂTEAU PICHON COMTESSE 1959 Négoce

Malheureusement le vin est en bout de course. Certes il se boit encore, mais ces arômes de vieillard que l'on connaît pas coeur n'ont pas vraiment d'intérêt. NN

POMMARD Rugiens 1990 De Courcel

Le vin de secours me déstabilise complètement. Je le trouve délicieux, mais je ne sais absolument pas où le situer à l'aveugle... Le nez est une curiosité pour un Pinot : On perçoit du chêne vanillé, du sucre brun, de l'amande, ainsi qu'une touche de grenadine et d'olive. Je me place en Rhône nord 2001, La bouche est puissante, mais elle a en même temps une certaine élégance, teintée de fruits rouges, de cuir et d'épices. Je la trouve Bordelaise. Mon frère éclate de rire. Je panique... Ca ne peut pas être un Pinot ! Vexé, je me rattrape en criant " alors c'est un Pommard", certainement Comte Armand 1990. Presque... Il est vrai que ce dernier est d'une puissance hallucinante, encore bien plus impressionnant que le présent Courcel. Après une longue aération, le caractère de la Côte de Beaune se fait plus présent, il s'affine et devient plus complexe. Je ne toucherai plus une seule bouteille avant 15 ans au moins. 92+/100

CHAMPAGNE GONET Michel 1973 Blanc de Blanc

Y a t'il un chat noir ? C'est typiquement un vin qui a souffert d'un coup de chaud. Encore perlant, mais avec des arômes madérisés qui polluent trop l'ensemble. Dommage car ce producteur est très réputé pour ces vieux Blanc de blanc, et 1973 est une année parfaite pour la Champagne. A revoir... NN

PERRIER JOUËT 1955

L'an dernier, la bouteille que j'avais ouverte se présentait en parfait état, mais le vin, lui, était mort. Cette fois, le niveau est sous la coiffe, donc plutôt moyen, et pourtant le vin est impeccable. C'est à ni rien comprendre.

Le nez offre des parfums très nets de pomme verte, de limoncello, de dragée et de malt. Quel bonheur ! La bouche est en pleine forme avec un gaz discret, mais bien présent. On perçoit de la bergamote, ainsi qu'une belle déclinaison d'autres agrumes. Le quinquina et les épices d'orient agrémentent cette riche palette, tandis que la finale de bicarbonate et de sel fin, très originale donc, se prolonge de longs instants. 95/100

TRAMINER 1947 Léon Beyer

C'est censé être le vin qui remplace le Champagne de 1973... La couleur ressemble étrangement à un flacon d'urine : Même jaune soutenu et trouble. Le nez est un chef d'oeuvre qui me fait presque monter les larmes. Le pain chaud, le toast, la noisette, la violette sucrée, l'essence de rose et l'ananas grillé donnent un bouquet quasi exhaustif. A l'aveugle, je crie " Clos Zisser 1953" mais je suis moins sûr de moi ensuite, car en le goûtant, je réalise qu'il est plus puissant, plus liquoreux, bref encore bien supérieur... Quel est donc cette perfection ? Quand mon frère me donne l'année, je manque de tomber de ma chaise, car 1947 en Alsace, a presque disparu du marché. Seules quelques bouteilles de petits producteurs inconnus apparaissent parfois. Mais là, c'est le plus grand négociant ! J'avais déjà goûté le fameux SGN 1971 de Beyer qui était délicieux, mais ce 1947 est d'une autre race ; Un monument absolu, un Hymne à ce cépage qui a mon sens dépasse largement le Riesling au vieillissement. Le riesling est très réputé, car il s'apaise et gagne en pureté au vieillissement, mais le Gewurztraminer, quant il est bien né et soigné par son maître, crée littéralement de l'arôme.

La bouche huileuse est une liqueur d'un équilibre parfait, qui semble régit par le nombre d'or. La pureté des arômes est émouvante. J'ai immédiatement à l'esprit le héros de Süskind en train de distiller les produits de la nature pour ne garder que l'essentiel d'une odeur : L'arôme pur, sans la moindre altération. Ce que je ressens en bouche, c'est cela : Le vin s'est dépouillé du superflu pour ne garder que l'odeur et le goût parfaits de chaque composant. Le Maracudja, le litchi, l'abricot confit, l'orange caramélisée, la rose et l'écorce sont envahissants. C'est un peu la même perfection aromatique qu'un vin préphylloxérique. La finale dépasse sans problème la minute, avec un goût de torréfaction et de fève de cacao qui tapisse notre langue, comme une vague qui sans cesse s'écrase contre un rocher.

J'ai toujours eu le regret que mon frère n'est pas été présent à la dégustation d'Yquem 1921. Alors je lui explique en toute honnêteté, que ce Traminer 1947 est aussi grand qu'Yquem, si l'on oublie le prestige de ce dernier. La seule différence, qui d'ailleurs nous fait sourire, c'est qu'avec de l'argent n'importe qui pourra trouver Yquem 1921 en moins de 24 heures, alors que cet Alasce 1947 restera introuvable, même avec tout l'argent du monde. Et c'est aussi cette quête impossible qui me passionne dans le monde des vins anciens... Voici donc le plus grand Alace des mes 15 années de dégustation active ! 100/100

CHÂTEAU TROTANOY 1970

Après le fameux 1945 de la semaine dernière, je continue l'exploration de ce fabuleux domaine... Le nez superbe et parfaitement ouvert, rappelle l'anis étoilé, le pralin, la fumée et les champignons. En bouche, l'entrée en matière est une décoction de réglisse et de fruits noirs. On reconnaît surtout le cassis et la mûre. Il prend ensuite des faux airs de rive gauche grâce au doux parfum du cuir noble et du sous-bois. Un très grand Pomerol, supérieur à mon sens, aux magnifiques 1975 et 1982. 95/100

Une fin de semaine pleine d'émotions donc, qui donne du beaume au coeur pour patienter jusqu'aux vacances d'été ! Quel bonheur d'être en famille et de boire d'aussi grands vins ...